LA MATERNITE SUISSE D’ELNE, un berceau d’humanité au cœur de l’inhumain

S’il y a 20 ans l’on m’avait demandé de raconter quelque chose sur la maternité d’Elne, je n’aurais pas su. Impossibilité qui n’aurait pas été liée exclusivement à mon ignorance, mais surtout au manque d’information sur cette formidable aventure de solidarité et de lumière.

LA MATERNITE SUISSE D’ELNE, un berceau d’humanité au cœur de l’inhumain

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S’il y a 20 ans l’on m’avait demandé de raconter quelque chose sur la maternité d’Elne, je n’aurais pas su. Impossibilité qui n’aurait pas été liée exclusivement à mon ignorance, mais surtout au manque d’information sur cette formidable aventure de solidarité et de lumière.

Voici encore un chapitre de l’histoire qui est resté méconnu, voire ignoré pendant presque un demi-siècle.

A la base, une femme, Elisabeth Eidenbenz, née à Wila (Suisse) en juin 1913. Institutrice de formation, elle répondit à l’appel de l’Aide Suisse aux Enfants d’aller en Espagne. C’était l’année 1937 et la guerre sévissait la population civile dont tout particulièrement les enfants et les femmes. Elle mit en place des cantines, à Valencia d’abord et ensuite à Madrid. Elle suivit les presque 500000 personnes qui, après la chute de Barcelone, traversèrent les Pyrénées, dans cette tragédie dénommée La Retirada.

Le calvaire continua après l’arrivée sur le territoire français. Accueillies sous la pluie, le froid et la neige, ces centaines de milliers de personnes furent conduites dans des camps de concentration improvisés, situés en Cerdagne, dans le Vallespir et sur la côte. Les dénommés “camps sur la plage” (Argelès-sur-Mer, Barcarès, Gurs, Saint-Cyprien, Rivesaltes…) étaient de vastes surfaces de sable entourées par des barbelés et avec la mer pour horizon. Sans être dans la moindre mesure assurées les conditions d’habitabilité, l’entassement et l’insalubrité ne tardèrent pas à avoir leurs effets sur les hommes, les femmes et les enfants qui y étaient internés.

La situation sanitaire était particulièrement dramatique pour les femmes sur le point d’accoucher. Les hôpitaux et les cliniques refusaient de les accueillir et le taux de mortalité à la naissance y était alors proche du 100 %.

Elisabeth Eidenbenz, qui était rentrée en Suisse, décida de retourner dans le midi français, pour aider les femmes et les enfants.

« Un fragile havre de vie dans un paysage de mort »

Dans un bâtiment qui autrefois était une usine, le château d’en Bardou, dans la petite ville d’Elne, à côté de Perpignan, elle mit en place une maternité. Entre décembre 1939 et avril 1944, Elisabeth Eidenbenz et son équipe ont permis la naissance de plus de 600 enfants, dont les mères étaient d’abord des femmes espagnoles réfugiées et plus tard, à partir de 1941, également des femmes juives et tsiganes. Sorties par Elisabeth Eidenbenz des camps, les femmes étaient soignées avec dévouement et affection pendant les derniers mois de leur grossesse, afin de leur permettre de faire naître leurs enfants dans les meilleures conditions possibles. Dans la Maternité il y avait des infirmières suisses et des aides-soignantes, parfois recrutées parmi les réfugiées, puis formées.

« Nous accueillons les femmes de n ‘importe quelle nationalité. La misère n’a pas de patrie, ni le malheur ».

Vu les conditions d’insalubrité et de détresse dans lesquelles les femmes se trouvaient, il va de soi que, sans l’intervention d’Elisabeth Eidenbenz et son équipe, la plupart d’entre elles aurait péri dans l’accouchement. Cette poignée de volontaires a donc aussi sauvé les mères et leur a assuré également la possibilité d’allaiter les nouveau-nés, en leur permettant de se nourrir correctement et de se remettre suite à l’accouchement. Les enfants en bas-âge ont été aussi pris en charge dans la Maternité.

Temps d’exil et de solidarité

Comme le dit Frédéric Goldbronn, « au milieu de la barbarie qui se déchaînait alors sur l’Europe, la maternité d’Elne fut un îlot de paix, un fragile havre de vie dans un paysage de mort. Jusqu’à ce jour de Pâques 1944, où des officiers allemands réquisitionnèrent le château et fermèrent la maternité. »

Si le contexte historique actuel n’est plus celui de la fin de la guerre d’Espagne et de la deuxième Guerre Mondiale, il n’est pas moins vrai que, en regardant des images des camps « sur la plage », nous y retrouvons les mêmes éléments que dans celles de nos jours. En montrant l’exposition à la Maternité du CHEM, nous avons donc voulu signaler les dégâts et les conséquences de la guerre et de la violence, avec un volet historique et un volet lié à l’actualité. De même, nous avons voulu rendre hommage aux personnes qui s’engagent dans la défense et la protection des plus démunis et rappeler le besoin de solidarité et d’entraide. Car, si dans toutes les époques de l’histoire des injustices sont commises, dans toutes les époques de l’histoire il est possible d’agir pour restituer aux êtres humains la droit à une vie digne de ce nom.

Rappel du besoin de solidarité et de l’entraide

En 2002, au même endroit où elle a accompli son immense travail, Elisabeth Eidenbenz a reçu la médaille des justes des nations. C’est la même année de la sortie du film de Frédéric Goldbronn « La maternité d’Elne », que nous verrons le 6 avril à 19h30 au Kinosch (Kulturfabrik), en présence de son réalisateur. Voici quelques extraits de la lettre qu’Elisabeth Eidenbenz lui a adressée, après en avoir reçu la cassette :

« Cela a été merveilleux de revoir notre vieille maison dans laquelle nous avons vécu tant de choses, et surtout les gens qui l’ont autrefois fait vivre.

Je reçois très souvent des lettres et des appels téléphoniques d’anciens enfants qui ont vu le film et qui aimeraient en savoir davantage sur moi. Je n’aurais jamais cru pouvoir avoir encore une fois, après soixante ans, un rapport avec ces gens qui un jour ont été essentiels dans ma vie.

Ces rencontres m’accompagnent désormais comme une douce lumière au fil de mes dernières années à vivre et je vous remercie de tout cœur pour cela. »

Laissons à Frédéric Goldbronn les mots de la fin, en attendant le moment de le rencontrer personnellement à Esch : « […] ce ne sont pas seulement des enfants qui ont été sauvés à la maternité suisse d’Elne, mais aussi une certaine idée de l’humanité. En permettant à ces enfants de naître et de survivre à l’écart des camps, cette maternité a permis aussi à l’humanité de renaître symboliquement à travers eux. Ces enfants, qui ont aujourd’hui atteint l’âge des bilans, sont les produits et les porteurs de cette humanité, ils en sont les dépositaires. D’où viennent-ils ? Qu’ont-ils fait de cet héritage ? Quel est le fil qui les relie ? Quels sont les contours, intellectuels et sensibles, de cet échantillon d’humanité ? Telles sont les questions auxquelles ce film entend chercher une réponse. »

L’exposition restera ouverte jusqu’au 16 avril, au couloir de la maternité du CHEM (Esch-sur-Alzette).

Rendez-vous au Kinosch : http://kulturfabrik.lu/en/program/details/event/la-maternite-delne/

Culture

21-Mar-2017 Par

Das Essen ist lecker, die Kunst ist fad!

Wenn sich Kunst selber auf den Arm nimmt, darf man sich dann als Kritiker erlauben ironische Kommentare über die Kunst zu machen? (Eine nicht so ernst gemeinte Kunstkritik in der « post-närrischen » Jahreszeit.)

Das Essen ist lecker, die Kunst ist fad!

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Wenn sich Kunst selber auf den Arm nimmt, darf man sich dann als Kritiker erlauben ironische Kommentare über die Kunst zu machen?

(Eine nicht so ernst gemeinte Kunstkritik in der « post-närrischen » Jahreszeit.)

Jedem treuen Besucher des Casinos, in Luxemburg Stadt, wird wohl auch die Tendenz aufgefallen sein, dass die eigentliche Austellungfläche für zeitgenössische Kunst in regelmässigen  Zeitabständen reduziert wurde, zugunsten einer grösseren Fläche für sogenannte « restaurative » Zwecke : Bar und  Restaurant.

 Frage :Ist es einfacher das Essen zu verdauen anstatt die Kunst?

Die Antwort lautet eindeutig : JA!

Den Beweis  dafür liefert z.B eine kürzlich bei Schülerinnen  einer 1re E (LGL) gemachten Umfrage. »Welche Kunstmuseen  der Stadt Luxemburg sind dir bekannt ? »

Nur eine Schülerin von 25 bennante dabei das oben genannte Casino.

Eine Nachfrage an die Lehrer(innen) warum das denn so sei, ergab  eine klare Antwort :

« wir gehen schon lange nicht mehr mit Schulklassen ins Casino, weil die dort gezeigte Kunst, Schüler und Schülerinnen weit überfordert und weil man oft selber als Lehrer seine Mühe hat die ausgestellten Werke intellektuel zu verdauen.

Eines steht  fest. Gehen mehr Leute ins Museumscafé  als ins Museum selbst,dann ist das Essen eben besser als die Kunst!

Im Informationsflyer  zur Austellung « La commedia dell’arte :Kunst als Maskerade » wird dem Besucher folgendes vorgeschlagen :«possibilité de dîner au ca(fé)sino suite à la visite ». Wäre es hier nicht realistischer gewesen zu schreiben : » Possibilité de dîner au caf(é)sino sans aucune visite! »

Frage :Kann man schwer verdauliche Kunst besser in einem komfortablen Sessel geniessen?

JA!

Der Besuch der Austellung » La Commedia dell’Arte :Kunst als Maskerade », die zufällig gut in eine postnärrische Jahreszeit passt, da in diesem volkstümlichen Theater alle Schau-spieler Masken tragen, verlangt eine  bessere Sitzgelegenheit. Und die hat man hier leider nicht. Man muss nähmlich ungefähr 60 Minuten auf einem unbequemen Hocker ausharren, um sich die vier Videoarbeiten von Alexander Glandien, Loïc Vanderstichelen , Jean-Paul Jacquet  und Clara Thomine anzuschauen.

Die Sitzgelegenheiten in der Bar sind viel bequemer  als jene in der sogenannten Blackbox. Nach einer Stunde  nicht gerade spannender Visionierung der 4 Videoarbeiten, spürt man doch Schmerzen im  unteren Rückenbereich. Ist das bewusst so gewollt, damit man sich nachher erleichtert in einem der komfortablen  Designersesseln der Bar des sogenannten « Aquariums » nierderlassen kann um ein Glas Champagner zu geniessen ?

Frage :Ist Kunst bewusst oft so komplex dass man sich als Zuschauer dumm vorkommt und sich nachher den Katalog kaufen muss um zu verstehen was der Künstler uns  im Grunde mitteilen wollte?

Auch hier  lautet die Antwort : JA!

Es gibt  zu dieser Austellung kein Buch aber ein kleines Faltblatt auf dem man nachlesen kann , dass die Videoarbeiten sich alle  auf ironische Art und Weise mit dem Thema « the making of » von Kunst befassen.

Dass Kunst oft  als Thema die Kunst selbst sein kann ist wohl nicht ganz neu. Die so-gennante Konzeptkunst der 70ger Jahren des letzten Jahrhunderts befasste sich bereits ausgiebig mit diesem Thema. Der Begriff « Tautologie » wurde in die Kunstwelt eingeführt. Nur wird das, im Falle dieser Austellung,  nicht so intellektuell präsentiert, sondern eher mit einem humorvollem Unterton.

In diesen Videos geht es z.B um Preisverleihungen, ein wichtiger Bestandteil der Kunstszene die sich immer  gerne selber feiert. (« Popcorn » von Clara Thomine).Es geht  um Kunst ohne echte Konfrontation (« La nature » von Clara Thomine) und um  die Vorbereitungen einer Austellung  (« Making of », Alexander Glandien), die der Künstler für seine eigene Austellung verfilmte.In « La Cascade »  von Loic Vanderstichelen wird sich über einen Kunstexperten  lustig gemacht , der beauftragt wurde die Inventur der Sammlerstücke eines Museums zu machen, das vergrössert werden soll. Bei allen Videos werden stereotype Diskurse und Kommentare über Kunst karikaturiert.

Welch ein Genuss um  einmal volkstümlicher über moderne, zeitgenössische Kunst  reden zu dürfen.

Zum Abschluss darauf ein dreifach donnerndes Hellau ! Hellau ! Hellau !

Politique

06-Mar-2017 Par

Fraudeurs fiscaux et lanceurs d’alerte: un Parquet qui ne voit que d’un œil

Une statistique fort révélatrice, publiée en novembre et concernant les (non) poursuites des fraudeurs fiscaux par le Ministère public au Luxemburg, est passée presque inaperçue. Or, il en ressort clairement que le Parquet général ne poursuit guère les grands fraudeurs fiscaux – ce même Parquet qui est très expéditif pour inculper des lanceurs d’alerte qui nous informent sur l’évitement, voire la fraude fiscale. Comment est-ce possible que la haute finance exerce une telle influence sur l’Etat Luxembourgeois et son Ministère public?

Fraudeurs fiscaux et lanceurs d’alerte: un Parquet qui ne voit que d’un œil

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Une statistique fort révélatrice, publiée en novembre et concernant les (non) poursuites des fraudeurs fiscaux par le Ministère public au Luxemburg, est passée presque inaperçue. Or, il en ressort clairement que le Parquet général ne poursuit guère les grands fraudeurs fiscaux – ce même Parquet qui est très expéditif pour inculper des lanceurs d’alerte qui nous informent sur l’évitement, voire la fraude fiscale. Comment est-ce possible que la haute finance exerce une telle influence sur l’Etat Luxembourgeois et son Ministère public?

D’abord il faut noter que l’Administration des Contributions directes (ACD) n’a commencé à confectionner des statistiques concernant les affaires pénales, qu’à partir de l’année 2010. De même, il y a lieu de rappeler qu’au Luxembourg, la plupart des infractions à la loi fiscale sont qualifiées comme délits et ne révèlent pas du droit pénal.

Ces statistiques ont été détaillées en novembre dernier par le gouvernement dans une réponse à une question parlementaire du député David Wagner ([1]). Il en ressort que pendant les années 2010 à 2015, au total 67 dossiers ont été transmis par l’ACD au Parquet, parmi lesquels 52 sont susceptibles de constituer des infractions pénales fiscales et 15 des infractions de droit commun ([2]).

Sur ces 67 dossiers transmis par l’ACD pendant les années 2010 à 2015, le Parquet n’en a ouvert que 26, les autres 41 ayant été classés sans aucune suite – c’est frappant!

Si on considère encore qu’en matière pénale l’ACD ne transmet au Parquet que des dossiers concernant des cas graves – c’est-à-dire avec des enjeux financiers considérables et s’il y a récidivité – le fait que le Parquet classe plus de 60% de ces dossiers sans aucune suite est révélateur. Ceci témoigne d’une volonté caractérisée de laisser impunis les véritables fraudeurs fiscaux.

Il y a des années ou l’impunité pour les fraudeurs est particulièrement frappante. Ainsi, en 2010, sur 17 dossiers transmis, aucun n’a été ouvert! En 2012, sur 13 dossiers transmis par l’ACD au Parquet, un seul a été ouvert, et en 2015, sur 13 dossiers transmis, seulement 4 ont été ouverts …

La plupart des dossiers classés sans aucune suite

Sur les 26 dossiers ouverts pendant les années 2005 à 2010, 16 ont fait l’objet d’une enquête préliminaire ordonnée par le Parquet. Par enquête préliminaire, l’on entend la procédure effectuée par la police grand-ducale sur ordre du Parquet et tendant à rassembler les preuves d’une infraction et à repérer le ou les auteurs, mais interdisant les actes coercitifs comme des perquisitions ou des saisies. Néanmoins l’enquête préliminaire permet au Parquet de s’arranger avec le fraudeur afin que celui-ci paye les impôts dus à la hauteur d’une somme qui doit trouver l’accord du directeur de l’ACD et d’une amende à fixer par le Parquet. Or, nous ne savons pas dans combien de cas un tel accord a été trouvé. Nous savons néanmoins que 10 dossiers ont effectivement fait l’objet d’une instruction préparatoire – qui autorise des perquisitions ou saisies par la police – et que tous ces dossiers ont abouti à des procès, qui, en plus, ont tous, à une seule exception, été gagnés par l’État.

Résumons: 67 dossiers ont été transmis par l’ACD au Parquet – ce qui paraît déjà très peu dans un espace de six ans et dans un pays où des millions d’euros – ou faudrait-il dire des milliards d’Euros – transitent chaque jour. Plus de 60% n’ont même pas été ouverts et seulement 10 font l’objet d’une instruction préparatoire aboutissant à un procès. Que dire d’une telle complaisance du Ministère public avec les grands fraudeurs fiscaux?

Entendons- nous bien: Le Parquet bénéficie d’une pleine autonomie pour enquêter et poursuivre une affaire ou bien pour la classer sans suite. Mais attention: autonomie ne veut pas dire neutralité – comme l’illustre parfaitement le présent cas (et il y en a d’autres). Néanmoins, le ministre de la Justice peut «enjoindre le procureur général d’État d’engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le ministre juge opportunes» ([3]). Effectivement, le ministre de la Justice ne peut pas exiger du Parquet de ne pas suivre une affaire, comme le prévoit la législation française. Mais, il peut, par contre, demander au Parquet d’enquêter et de poursuivre une affaire déterminée – mais il ne l’a pas fait. Les fraudeurs s’en félicitent.

Deux poids et deux mesures

Une chose est certaine: les lanceurs d’alerte des LuxLeaks, qui ont rendu attentive l’opinion publique sur l’évitement fiscal massif à l’aide de tax rulings confectionnés par les Big Four et autres conseillers fiscaux, n’ont pas bénéficié de la même clémence du Parquet. Sur demande directe de PwC, qui s’est constitué partie civile à cette fin, le Parquet a tout de suite ouvert et instruit leur dossier et l’a porté devant le tribunal correctionnel. Le Parquet s’est même obstiné à faire appel général contre la décision du juge en première instance d’acquitter le journaliste Édouard Perrin sur base de la protection que lui confèrent les droits fondamentaux, notamment le droit à l’information et la liberté de presse.

Ce même Parquet, qui n’a même pas jugé utile de faire une enquête propre sur les tax rulings et le Leak auprès de PwC; un Parquet qui, par contre, s’est complètement fié à l’enquête interne de PwC, qui lui a été remise «au coin du feu» lors d’une «perquisition» qui ne mérite pas son nom. Ainsi, nous avons appris lors du procès LuxLeaks que le Parquet avait l’extrême gentillesse de prévenir PwC à l’avance de la «perquisition» dans leurs locaux, une perquisition qui se limitait à demander gentiment copie de l’enquête interne menée par PwC à l’encontre des lanceurs d’alerte! C’est aussi ahurissant que la réponse du représentant du Parquet à la question du pourquoi de l’absence d’enquête propre du Parquet chez PwC, à savoir que «ceux-ci» (PwC) sauraient de toute façon «mieux faire une telle enquête que la police judiciaire». C’est effectivement ce que le représentant du ministère public, David Lentz, a répondu à la question de Me Bernard Colin, qui demanda lors du procès en première instance, pourquoi le Parquet n’aurait pas effectué sa propre enquête chez PwC au lieu de se fier complètement à l’enquête interne de PwC!

Un Parquet qui se fie à la haute finance

Un Parquet, qui s’obstinait – lors de la première instance du procès dit LuxLeaks – de qualifier les lanceurs d’alerte et le journaliste de vulgaires criminels et qui militait pour mettre en prison ceux qui ont ouvert les yeux au monde entier sur des pratiques industrielles d’évasion et de fraude fiscale, ce même Parquet ne juge même pas utile d’ouvrir les dossiers des vrais fraudeurs et n’en fait instruire qu’un sur 4! Dès lors, il parait conséquent que ce Parquet ne se soit même pas donné la peine d’examiner, à travers une instruction adéquate, si les pratiques de tax rulings dévoilées lors du scandale LuxLeaks étaient illégales ou non! Là encore, les Big Four sont crus sur parole, bien qu’au fil du temps, il s’avère de plus en plus qu’une grande partie des rulings confectionnés par les Big Four et entérinés par un préposé de l’ACD fort courtois, sont parfaitement illégaux à plusieurs égards!

Inculper les uns, ménager les autres, pose beaucoup de questions sur l’impartialité d’un ministère public qui devrait traiter tout un chacun de la même façon et poursuivre toute infraction avec la même diligence. Ce n’est certainement pas de ce ministère public que nous pourrons nous attendre à une enquête rigoureuse sur l’évasion fiscale et l’évasion de capitaux à travers des sociétés offshore, comme celles organisées de manière aussi industrielle – telle que viennent de révéler les Panamas-Papers – par différents avocats d’affaires et Big Four dans des juridictions offshore. Rappelons que l’enquête de l’ACD à cet égard s’est heurtée à l’opposition farouche du barreau ([4]) et que, pour le moment, rien ne laisse entrevoir que le Parquet endosserait cette enquête.

Tableau: Dossiers transmis par l’ACD au Parquet ([5])

Année (1) (2) (3) (4)
2010 17
2011 10 7 6 1
2012 13 1 1 0 (1) Dossiers transmis par ACD au Parquet
2013 9 7 3 4 (2) Dossiers ouverts par la Parquet
2014 5 7 3 4 (3) Enquêtes préliminaires ordonnées par Parquet
2015 13 4 3 1 (4) Instructions préparatoires (par juge d’instruction)
Total 67 26 16 10    

_____________________________________________________________________

[1] Cf. Réponse du ministre des Finances Pierre Gramegna et du ministre de la Justice Félix Braz à la question parlementaire no 2479 du 17 octobre 2016 de Monsieur le Député David Wagner concernant diverses poursuites en matière fiscale; voir la question sous www.chd.lu/wps/PA_ArchiveSolR/FTSShowAttachment?mime=application%2fpdf&id=1393636&fn=1393636.pdf et la réponse sous www.chd.lu/wps/PA_ArchiveSolR/FTSShowAttachment?mime=application%2fpdf&id=1393637&fn=1393637.pdf

[2] Voir tableau en annexe

[3] Art. 19 du Code d’instruction criminelle

[4] Voir ma prise de position «Un bâtonnier trop partisan de la haute finance» sous www.justin-turpel.lu/un-batonnier-trop-partisan-de-la-haute-finance/

[5] Ces chiffres sont extraits de la réponse à la question parlementaire dont question sous (1)

Culture

03-Mar-2017 Par

Die E-Sektion ist ein junger Damenclub, die moderne Kunst ein alter Herrenclub!

Warum ist die E-Sektion in luxemburgischen Gymnasien nicht attraktiv genug für Schüler?

Die E-Sektion ist ein junger Damenclub, die moderne Kunst ein alter Herrenclub!

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Warum ist die  E-Sektion in luxemburgischen Gymnasien nicht attraktiv genug für Schüler?

Seit der Gründung der E-Sektion vor gut 40 Jahren, scheint die Zahl der Schüler stetig zurück gegangen zu sein. Im Jahre 2017 kann man davon ausgehen, dass auf den meisten Kunstsektionen in unserem Lande  95% Schülerinnen und nur 5% Schüler eingeschrieben sind!

Diese Diskrepanz ist nicht gut für das Arbeitsklima in der Klasse selbst  und schränkt die Lehrer bei der Suche nach geeigneten Thematiken auch eher ein.

Wie ist das zu erklären ?

Nun nach eigenen Aussagen der betroffenen Schülerinnen selbst, wird  Schülern oft abgeraten sich für diese Sektion zu entscheiden.

Zu einem seitens der Eltern, weil viele von ihnen noch immer befürchten, dass man mit einem Diplom der E-Sektion später keinen guten Job finden würde.

Zum anderen aber auch seitens der Lehrerschaft selbst, was beweist dass das Fach Kunst noch immer seitens vieler « Kollegen und Kolleginnen » diskriminiert wird.

Die Schüler werden aber oft auch von ihren eigenen Mitschülern gehänselt, wenn sie ihr Interesse für diese Sektion offen zutage legen. Mit Argumenten « da wird ja nur ein wenig gepinselt », werden dann viele Schüler demotiviert, die an sich aber das nötige Talent besäßen um die Sektion erfolgreich ab- schließen zu können.

Das Argument, diese Sektion biete zu wenig  handwerkliches, technisches und digitales und schrecke daher manch einen Schüler ab, ist sicherlich richtig. Hier müssten sich die verantwortlichen Lehrer mehr Gedanken machen und eine Änderung der Programme vornehmen. Kunst ist ja längst auch schon im digitalen Zeitalter angekommen!

Im Interview wurde von den Schülerinnen noch ein weiteres Argument gebracht. Die Sektion sei nicht männlich genug. Es würde zu viel Wert auf den Ausdruck von Emotionen gelegt , auf Imagination und Intuition.

95% Mädchen und 5% Jungen auf Kunstsektionen  ist eine Tatsache, doch  in der realen Kunstwelt ist es ganz genau umgekehrt!  Sie wird bestimmt von 95% Künstlern und 5% Künstlerinnen.

Der amerikanische Kunstkritiker Jerry Saltz wunderte sich schon 2007 dass im MOMA (NY) nur 5-8 % Frauen ausstellen durften. 2010 gab es bei der Schau « Abstract Expressionism  at the Museum of Modern Art » von 105 ausgestellten Werken nur 5 die von Frauen realisiert wurden. Die Bilderkollektion des Metropolitain Museum (NY) besteht zu 95 % aus Bildern von Künstlern und nur zu 5% aus Bildern von Künstlerinnen !

Retrospektiven von Künstlerinnen sind daher auch eher selten. 2016 zeigte  das MOMA (NY) nur eine Retrospektive von einer Künstlerin. International bekannte Galerien stellen im Durchschnitt nur 10% Frauen aus. Und auch in den bekannten Kunstmagazinen sind  Künstlerinnen immer noch stark unter- repräsentiert. Arbeiten von Künstlerinnen werden preislich auch noch immer unterbewertet. Bis heute hat noch kein Werk einer Künstlerin die Millionengrenze überschritten.

Warum ist das so ?

Die klassische Antwort lautet :  Bildende Kunst  war während Jahrtausenden immer eine reine Männerdomäne gewesen. Sie war immer männlich da sie meist mit der Idee von Macht verbunden war. Und Macht ist eine typisch männliche Eigenschaft. Künstler streben danach genauso machtvoll zu werden wie ihre Auftraggeber selbst : Fürsten, Könige oder Päpste.

Frauen kamen erst später in den Kunstbetrieb. In Deutschland war das erst seit dem Beginn der Weimarer Republik der Fall. Bis dahin war es den Frauen untersagt ein Studium auf der Akademie der Künste anzufangen.(dieses Verbot wurde dann später von den Nazis wieder eingeführt !)

Kunst war früher eher ein handwerklicher Beruf, oft physisch sehr anstrengend, denkt man nur an die schwere bildhauerische Arbeit eines Michelangelos zurück.

Gibt es heutzutage dazu noch andere Ursachen?

Meist können Künstler sich meist auf längere, ununterbrochene Berufskarrieren berufen. Künstlerinnen dagegen müssen ihre Karriere oft wegen familiären Angelegenheiten (Schwangerschaft usw..) unter- brechen.

Sind Künstler sind  im hart umkämpften internationalen Kunstmarkt meist besser gerüstet, da hier oft mit harten Bandagen gekämpft werden muss? Können  sich besser verkaufen und  sie sind hartnäckiger ?

Sicher ist, sie wollen eher berühmt werden als Frauen.

Künstlerfrauen finden meist nur Anerkennung wenn sie  als Ausnahmeerscheinung angesehen werden können.

Sponsoren bevorteilen Künstler weil  sie oft das Männlich, Kreative und Erfolgreiche symbolisieren.

So liebe Kunstlehrer und Kunstlehrerinnen. Ein guter Ratschlag. Kunststudium und Kunstbetrieb braucht mehr Gleichberechtigung. Daher macht eure Sektion attraktiver für männliche Bewerber und setzt euch für Gleichberichtigung im Mudam, Casino, und anderen kulturellen Institutionen ein. Es wäre ein Schritt in die richtige Richtung. Vielen Dank.  (MAPK)



(Quellen: Emma: Artikel über die Gorilla Girls, 2016/ Interview mit SchülerInnnen der E-Sektion, LGL, 2017)

Politique

03-Mar-2017 Par

Février 1917 : spontanéité et organisation

Il ne fait aucun doute que la révolution de février était le produit d’une irruption spontanée. Aucun parti, aucun dirigeant n’a planifié les évènements. Personne n’a compris que les grèves et manifestations qui ont commencé le 23 février allaient aboutir au bout de quelques jours à la chute de l’autocratie.

Février 1917 : spontanéité et organisation

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Il ne fait aucun doute que la révolution de février était le produit d’une irruption spontanée. Aucun parti, aucun dirigeant n’a planifié les évènements. Personne n’a compris que les grèves et manifestations qui ont commencé le 23 février allaient aboutir au bout de quelques jours à la chute de l’autocratie.

Trotsky, qui allait jouer un rôle de premier plan dans la révolution mais qui se trouvait à New York quand elle a éclaté, affirmera plus tard : « personne, absolument personne – on peut l’affirmer catégoriquement d’après tous les documents – ne pensait encore que la journée du 23 février marquerait le début d’une offensive décisive contre l’absolutisme ».

Lénine, qui deviendra le principal dirigeant de la révolution, déclara dans un discours devant les jeunesses socialistes suisses, le 9 janvier 1917  à Zurich: «le silence de mort qui règne actuellement en Europe ne doit pas nous faire illusion. L’Europe est grosse d’une révolution », en analysant ensuite la guerre et ses conséquences. Mais il a été si loin d’imaginer que cette révolution était sur le point de commencer en Russie qu’il a conclu son discours en disant : « nous les vieux, nous ne verrons peut-être pas les luttes décisives de la révolution imminente ».

Soukhanov, un menchevik de gauche, qui à la différence de Lénine et Trotsky était présent à Petrograd et nous a laissé un témoignage passionnant des journées de février, affirme : « pas un seul parti se préparait au grand bouleversement. »

Pour sa part, le bolchevik Kaiurov, qui joua un rôle actif dans l’insurrection, affirmera plus tard que le 23 février, « personne ne pensait à une telle possibilité imminente de révolution ».

Spontanéité, mais…

Il est clair donc que la révolution était le fruit d’une explosion spontanée de femmes et d’hommes, d’ouvrières et d’ouvriers, qui en avaient eu assez des pénuries alimentaires. Révolution spontanée donc : personne ne l’a prévue, personne ne l’a appelée. Pourtant, il faudrait compléter et nuancer cette appréciation.

Il ne faut pas imaginer qu’avant la révolution la population russe et la classe ouvrière en particulier n’était qu’une masse amorphe. D’abord, la révolution de 1905 était tout récente. Des centaines de milliers d’ouvriers qui y avaient participé étaient encore en activité. Et une forte minorité était directement influencée par les différents courants du Parti ouvrier social-démocrate (1). Parmi eux le courant bolchevik était de loin le plus actif.

Sur un arrière-fond de combativité ouvrière renouvelée, les bolcheviks profitaient des quelques acquis de la révolution de 1905. En décembre 1910 ils ont lancé un hebdomadaire légal, Zvezda, qui en l’espace de quelques mois est passé de paraître une fois par semaine à deux et puis trois fois. En avril 1912 ils ont lancé le quotidien Pravda qui a rapidement atteint une circulation d’entre 40,000 et 60, 000 exemplaires, chiffre énorme pour la Russie de l’époque, autour duquel étaient organisé des groupes de lecteurs. L’autre grand axe du travail légal est représenté par la fraction parlementaire bolchevique. Aux élections pour la quatrième Douma (parlement) en 1912, les bolcheviks ont fait élire six députés contre sept pour les mencheviks. Mais les collèges électoraux où furent élus les députés bolcheviks regroupaient 1.144,000 ouvriers d’industrie contre 136,000 pour les mencheviks. La Douma n’avait que peu de pouvoirs, mais les députés avaient un statut protégé, au moins jusqu’à l’éclatement de la guerre, quand ils ont été arrêtés. Ils ont non seulement pu faire des discours au Parlement qui était ensuite imprimés et diffusés : ils  avaient aussi la possibilité de se déplacer dans les quartiers populaires et assurer les liens avec les structures clandestines du parti.

Le parti clandestin

En 1913, le directeur du département de police tsariste écrivait : « il y a maintenant des cercles, cellules et organisations bolchevistes dans toutes les villes. Une correspondance et des contacts permanents ont été établis avec presque tous les centres industriels ».En juin 1916 un rapport de la police estimait qu’il y avait 2,000 bolcheviks à Petrograd. A la fin de cette année, Chlyapnikov, représentant du comité central à Petrograd, donnait une estimation de 3,000. A titre de comparaison, en février 1917 à Petrograd il y avait quelques centaines de mencheviks et 150 militants du courant de Trotsky. Un recensement rétrospectif de 1922 arrive à un chiffre de 23,000 bolcheviks dans tout l’empire russe. Dans des conditions de clandestinité et de répression, c’était considérable. Si ce n’était pas encore un parti de masse, c’était un socle solide pour l’émergence d’un tel parti une fois l’autocratie renversée.

Trois mille bolcheviks à Petrograd, cela voulait dire des groupes dans toutes les usines et dans les quartiers populaires. Un travail était aussi entretenu en direction des soldats stationnés à Petrograd. Quant aux marins de la Flotte de la Baltique, stationnés surtout à Kronstadt, et qui joueront un grand rôle dans la révolution, le travail clandestin parmi eux n’avait jamais complètement cessé depuis 1905 et se poursuivait pendant la guerre, malgré la répression et les arrestations.

Dire que la révolution de février fut spontanée au sens d’avoir démarré des usines sans appel d’un parti quelconque ne signifiait pas qu’il n’y avait pas d’organisation ni de direction pendant la semaine du 23 au 27. Ce sont les militants dans les usines et les quartiers qui dirigeaient le mouvement, qui organisaient les grèves et les manifestations. Et pas le moins important, qui allaient à l’encontre des soldats et nouaient le dialogue avec eux. Dans moins d’une semaine le mouvement est passé de grèves et manifestations contre la pénurie alimentaire aux revendications politiques qui culminaient dans celle du renversement de l’autocratie et d’une république démocratique. Cette évolution n’est pas tombée du ciel. Elle était le fruit de l’expérience de 1905, de la propagande social-démocrate systématique, mais aussi du travail de ses militants au jour le jour.

Le 25 février, le rapport de la police secrète tsariste prônait la fermeté contre les manifestations, notant les débuts de fraternisation entre les soldats et les manifestants. Le rapport se concluait : « Si le moment devait être perdu et la direction prise par la couche supérieure du mouvement clandestin révolutionnaire, les événements assumeraient des proportions très larges ». C’est exactement ce qui s’est passé.

Quant à l’identité de cette « couche supérieure du mouvement clandestin », il n’y a pas de mystère. Dans son « Histoire » de la révolution Trotsky pose la question, « qui dirigeait la révolution de février ? » et arrive à la conclusion : « des ouvriers conscients et bien trempés qui surtout, avaient été formés à l’école du parti de Lénine ». Au cours de l’année 1917, ce parti gagnera, par un travail politique patient, l’adhésion de la majorité des ouvriers et des soldats, au cours d’une série d’épreuves où les contradictions et les débats du processus révolutionnaire s’exprimaient aussi dans ses propres rangs.

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Note 1. Comme la plupart des autres partis de gauche, membres de la Deuxième internationale, le parti russe s’appelait « social-démocrate ». Ce n’est qu’après le schisme du mouvement socialiste international autour de la guerre en 1914 et la Révolution russe que le courant révolutionnaire adoptera l’appellation « communiste ». Les principaux courants du parti social-démocrate à Petrograd étaient les bolcheviks, les mencheviks et les mezhrayontsi, le courant de Trotsky.

International

03-Mar-2017 Par

« Podemos » devant des choix stratégiques!

L’Espagne vient de vivre les deux années politiques les plus mouvementées de son histoire récente. Doublement touché par la crise de 2008 et l’implosion de sa propre boule spéculative, le pays avait vu la création du ˮmouvement des indignésˮ en 2011, suite à l’augmentation des frais d’inscription universitaires de 42%. Ce mouvement a débouché en janvier 2014 sur la création de « Podemos » comme formation politique avec l’objectif de transposer la colère de la rue vers les parlements.

« Podemos » devant des choix stratégiques!

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L’Espagne vient de vivre les deux années politiques les plus mouvementées de son histoire récente. Doublement touché par la crise de 2008 et l’implosion de sa propre boule spéculative, le pays avait vu la création du ˮmouvement des indignésˮ en 2011, suite à l’augmentation des frais d’inscription universitaires de 42%. Ce mouvement a débouché en janvier 2014 sur la création de « Podemos » comme formation politique avec l’objectif de transposer la colère de la rue vers les parlements. En mai de la même année, « Podemos » faisait une percée avec 8% lors des élections européennes ! Lors des élections communales de mai 2015 les mairies de Madrid, Barcelone, et Valence étaient emportées par « Podemos ».

Tout, absolument tout, semblait alors possible. La révolution sociale par les urnes semblait a porté de main. Après la capitulation de Syriza en Grèce, la gauche européenne attendait les élections espagnoles avec impatience comme une seconde secousse contre l’ordre néolibéral…

Malheureusement le rêve à fait place à une douche froide. Deux ans après, Manuel Rajoy est toujours premier ministre, le parti conservateur reste le premier parti et le PSOE social-démocrate le second pilier du système bipartite, conserve sa deuxième position dans le parlement devant Podemos.

Où réside le problème ? Comment expliquer ce phénomène d’une façon logique ? Dans un pays avec 21% de la population au chômage, où la moitié de la jeunesse n’a pas de travail, où tous les secteurs du peuple ont été touchés par la régression sociale. Comment la caste maudite et discréditée des politiciens établis, ont pu résister à l’orage de deux élections en 7 mois ?

Une interrogation autocritique, mais en même temps objective et constructive s’impose. Lors du scrutin du 20 décembre 2015 et plus encore lors de celui du 26 juin 2016, plusieurs aspects négatifs dans l’attitude de « Podemos » sont devenues visibles. Il ne faut jamais perdre de vu que ce parti/mouvement c’est créer d’un mouvement social de protestation spontané et suite à l’initiative de quelques intellectuels. Il soufre donc de plusieurs faiblesses initiales :

(-) La première est à chercher dans la conception du parti comme ˮmachine de guerre électoraleˮ qui a comme but essentiellement de transposer la colère populaire en voix électorales. Podemos s’est configuré comme un parti centré clairement sur la compétition électorale et la communication politique qui néglige complètement non seulement l’organisation et la structuration de ses bases militantes par en bas, mais également tout travail d’implantation sociale et l’intervention dans des mouvements sociaux et des syndicats.

(-) L’effet d’une stratégie politique qui se base avant tout sur des techniques de communication a été de favoriser une structure hautement hiérarchisée, personnalisée et centralisée dans laquelle les directions locales et régionales ont été très subordonnées. La méthode majoritaire et plébiscitaire d’élection des organes internes qui disposent alors d’un de facto monopole de décision, a souvent débouché sur une paralysie organisationnelle.

(-) Le résultat de cette faiblesse est apparu clairement après la première ˮnon-victoireˮ le 20.12.15. La droite était restée le premier parti et le PSOE n’a pas été dépassé. L’intervalle entre les élections de décembre 2015 et celles du 26 juin 2016 a été marqué par les négociations sur l’investiture et la proposition de Podemos d’un gouvernement de coalition avec le PSOE.

Dans ce débat Podemos à fait mauvaise figure et a émis trop de messages contradictoires. Ils n’ont pas réussi à articuler un programme concret et clairement anti-austérité vis-à-vis du PSOE qui aurait fait apparaître clairement que ce dernier s’opposait à toute mesure anti-austérité sérieuse. Par contre ils ont multiplié les signes de compromis pourris, comme le renoncement de Podemos à la promesse de la fin de la «réforme du travail» du ˮsocialisteˮ Zappatero de 2011, qui a été voté jadis avec les voix du parti conservateur. Iglesias et Errejon iront même jusqu’à affirmer dans ces moments que la crise du régime aurait vécu et que Podemos doit et va devenir un parti normal… etc. Ou la déclaration de Pablo Iglesias qui dit: « Nous avons appris à Madrid et à Valence qu’on change les choses depuis les institutions. Cette imbécilité que nous disions quand nous étions d’extrême gauche, selon laquelle on change les choses dans la rue et non dans les institutions, est un mensonge ».

Le résultat de cette politique était en juin 2016 une campagne électorale molle, manquant de propositions concrètes et où les mobilisations sociales n’étaient tout simplement pas prévues par Podemos. Le programme était tout simplement faible et pas à la hauteur d’un parti radical de gauche. Un Parti « anti-système » qui transforme ses options politiques dans quelques mois pour une « alternance parlementaire » de coalition avec la social-démocratie, sans programme anti-austérité claire ne doit pas s’étonner quand il perd de crédibilité. Podemos ensemble avec I.U. a perdu 1 million de voix en sept mois d’intervalle (5 049734 contre 6 139494 en décembre 2015)!

La question nationale reste une plaie (ou si en veut, un problème) majeur en Espagne. Une grande partie de la classe ouvrière voit dans le séparatisme catalan et basque un danger matériel pour leur future. Le danger d’un nouveau nationalisme chauvin, des divisions réactionnaires supplémentaires et des discriminations, sont le cauchemar de beaucoup de travailleurs dans la péninsule. La position d’un référendum sur l’indépendance en Catalogne de Podemos inquiète beaucoup de ses sympathisants, (qui dans l’expectative d’une coalition Podemos-PSOE ont préférer voter PSOE pour éviter un processus d’éclatement dans l’état espagnole). Seule la perspective d’une société anti-capitaliste « internationaliste » pourra dompter l’égoisme nationaliste. Ce positionnement n’est pas claire dans l’attitude de Podemos.

Depuis le « P.P. » de Rajoy, avec l’appui des libéraux de ˮCiudadanosˮ et grace à l’abstention de la majorité des députés du PSOE a pu sauver son gouvernement. Après cette douche froide, Podemos a tenu un congrès le 11 février, lors du quel un recentrage vers les mouvements sociaux a été opéré. Pourtant avec 71 députés au parlement (et troisième force), ils ont dorénavant une force politique énorme pour appuyer chaque mouvement d’opposition extraparlementaire. Il semble que la majorité du parti autour de Pablo Iglesias, a compris les lacunes de Podemos et va s’engager a les combler. Les luttes sociales à venir vont démontrer ci les militants pourront prendre les choses en main.  La formidable leçon de la biennale passée est qu’un parti « antisystème » ne pourra gagner sans que parallèlement une immense mobilisation de masse lui trace le chemin.

International

10-Fév-2017 Par

En Espagne, un droit de mémoire toujours mis à mal

En Espagne comme ailleurs, l’on entend des phrases conformistes et accommodantes, du genre «A quoi bon remuer le passé?», ou encore «à quoi bon rouvrir des plaies?», ou encore «Il faut regarder de l’avant», ou encore « dans une guerre chaque camp commet des atrocités». Une particularité plutôt espagnole, c’est pourtant que ces questions, emmenant à l’inaction et à l’amnésie, bénéficient depuis la fin de la guerre (1939) du soutien des forces politiques et militaires au pouvoir, héritières en bonne mesure de l’armée et de l’«esprit national» qui ont plongé les Espagnols dans une guerre devenue civile et dans un après-guerre qui a duré quarante ans et notamment quand on s’attaque à ladite «mémoire historique».

En Espagne, un droit de mémoire toujours mis à mal

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Paca Rimbau Hernández

En Espagne comme ailleurs, l’on entend des phrases conformistes et accommodantes, du genre «A quoi bon remuer le passé?», ou encore «à quoi bon rouvrir des plaies?», ou encore «Il faut regarder de l’avant», ou encore « dans une guerre chaque camp commet des atrocités». Une particularité plutôt espagnole, c’est pourtant que ces questions, emmenant à l’inaction et à l’amnésie, bénéficient depuis la fin de la guerre (1939) du soutien des forces politiques et militaires au pouvoir, héritières en bonne mesure de l’armée et de l’«esprit national» qui ont plongé les Espagnols dans une guerre devenue civile et dans un après-guerre qui a duré quarante ans et notamment quand on s’attaque à ladite «mémoire historique».

 

Loi d’amnistie

Francisco Franco est mort en novembre 1975 et sa tombe se trouve dans le «Valle de los Caídos» (Vallée des Tombés), monument qu’il a fait construire comme dernier hommage aux «héros et martyrs de la Croisade».
Un processus connu sous le nom de «Transición» (Transition) s’est initié ensuite, avec à la base un engagement des deux côtés, visant à ce qui avait déjà été prôné en 1956 par le Parti Communiste: la «réconciliation nationale». La méthode adoptée, hélas, n’a pas favorisé, loin de là, la solution. En octobre 1977, a été promulguée la loi d’amnistie qui a été appliquée aux opposants au franquisme et qui a permis la sortie de prison de centaines de personnes, mais qui a, également, empêché la mise en question des tortionnaires. L’article 2 est explicite: L’état espagnol renonce, par cette loi, à ouvrir tout procès ou à exiger des responsabilités contre «les crimes commis par les fonctionnaires et l’application de la loi contre l’exercice des droits des individus».
L’impunité était servie. Cette même loi a permis, en 2012, au «Tribunal supremo» (Cour suprême) d’accuser le juge Baltasar Garzón d’avoir commis un acte de prévarication, car en 2008 il avait voulu mener une enquête sur 114 000 disparus de la guerre.
Bilan de l’opération: des milliers de personnes restent en Espagne, en 2017, sans savoir où se trouvent leurs parents, leurs grands frères et sœurs, ou sans pouvoir faire valoir le droit de les enterrer et de leur dire -tout en se le disant à elles-mêmes et le disant aux membres plus jeunes de leur entourage- que si leur mort a été brutale, le combat contre l’amnésie finira par l’emporter sur la volonté de les ensevelir à toujours dans l’oubli.

 

Droit de mémoire

En 2016, partout, des commémorations liées au fatidique 18 juillet 1936 se sont déroulées. 18 de juillet qui a signé la condamnation de l’Espagne à une dictature pendant 40 ans et qui a ouvert les portes à l’horreur que l’Europe a connu jusqu’à 1945. Qui a semé nos pays de morts et d’orphelins, de rancœur et de désarroi, de blessures encore ouvertes pour beaucoup. Récemment, des manifestations ont revendiqué l’abrogation de la loi de 1977, qui reste une entrave majeure à l’accomplissement du devoir -et droit- de mémoire. Parce que, oui, se souvenir devrait servir à honorer et à apprendre à ne pas reproduire des erreurs, à rester vigilants et à ne pas conjuguer le verbe résister au passé.
Parler de mémoire pour moi rejoint Jorge Semprún, pour qui celle-ci, au lieu de nous coincer, devrait servir à nous faire avancer. Elle doit également nous renvoyer aux exemples de solidarité et d’engagement citoyen, qui, heureusement, sont nombreux dans l’Histoire et qui remettent à leur place les phrases si souvent entendues « les choses ne changeront jamais» ou «cela a toujours été ainsi». Car, comme le disait l’anarchiste italien Amedeo Bertolo, nous devrions garder le pessimisme pour des temps meilleurs.
Voici deux occasions de rafraîchir la «bonne» mémoire:
https://www.chem.lu/le-chem/espace-presse/communiques-de-presse/l-exposition-la-maternite-d-elne-s-installe-au-chem
http://kulturfabrik.lu/en/program/details/event/la-maternite-delne/

Divers

10-Fév-2017 Par

1917: la Révolution de février

Cette année marque le centième anniversaire de la Révolution russe. Goosch va publier une série d’articles au cours de l’année pour retracer les étapes de cette révolution. Nous ne serons pas les seuls à nous y intéresser. Pour certains, ce sera l’occasion de réduire l’événement à un putsch dirigé par le Parti bolchévique et de télescoper deux décennies d’Histoire pour montrer une continuité entre la révolution et sa négation stalinienne, qui culminait dans la terreur des années 30. Dans le but évident de discréditer l’idée même de révolution. Nous voulons au contraire démontrer le caractère de masse, donc démocratique de la Révolution de 1917.

1917: la Révolution de février

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Cette année marque le centième anniversaire de la Révolution russe. Goosch va publier une série d’articles au cours de l’année pour retracer les étapes de cette révolution. Nous ne serons pas les seuls à nous y intéresser. Pour certains, ce sera l’occasion de réduire l’événement à un putsch dirigé par le Parti bolchévique et de télescoper deux décennies d’Histoire pour montrer une continuité entre la révolution et sa négation stalinienne, qui culminait dans la terreur des années 30. Dans le but évident de discréditer l’idée même de révolution. Nous voulons au contraire démontrer le caractère de masse, donc démocratique de la Révolution de 1917.


La révolution

Il n’y a pas une seule définition de ce qui constitue une révolution. Mais un élément clef est celui avancé par Léon Trotsky, qui était à la fois un de ses principaux acteurs et auteur de la première grande histoire de la Révolution russe. Pour lui, «le trait le plus incontestable de la Révolution, c’est l’intervention directe des masses dans les événements. (…) L’histoire de la révolution est pour nous, avant tout, le récit d’une irruption violente des masses dans le domaine où se règlent leurs propres destinées».

C’est justement ce qui se verra tout au long de l’année 1917. Et nous essayerons de comprendre pourquoi et comment ces «masses» ont fait irruption et comment leurs actions ont culminé dans la Révolution d’octobre. L’histoire de la révolution est aussi, bien sûr, celle de partis et de leurs dirigeants. Mais dans une véritable révolution, les partis et leurs dirigeants sont jugés par leur capacité de comprendre les événements et les aspirations populaires et d’avancer des propositions qui correspondent à la situation. Et ceux qui ne sont pas à la hauteur, cèdent la place à ceux qui le sont.


Février 1917

La révolution éclate dès le mois de février. En quelques jours, l’autocratie des tsars Romanov, une dynastie au pouvoir depuis trois siècles, est renversée. Comme toujours, personne ne l’a vue venir, même et peut-être surtout ceux qui œuvraient pour une telle issue. Il ne s’agit pourtant pas d’un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Cette révolution venait de loin, mais aussi de tout près.
La révolution venait de loin, parce qu’il y avait eu en 1905 ce qu’on pourrait appeler une répétition générale. Tous les acteurs qui allaient marquer l’année 1917 étaient déjà en place. Au niveau des classes sociales, l’aristocratie, socle du régime, la nouvelle bourgeoise capitaliste, la classe ouvrière, la paysannerie. Sans oublier les nationalités enfermées dans cette «prison de peuples», qui luttaient pour le droit de déterminer leur propre avenir. Sur le plan politique, il y avait notamment les partis conservateurs; les partis libéraux partisans d’un régime constitutionnel, monarchie ou république; les différents courants sociale-démocrates et socialistes révolutionnaires.
Dans ce panorama, il faut distinguer la nouvelle bourgeoisie et la jeune classe ouvrière, les deux classes fondamentales et antagonistes dans le mode de production capitaliste qui s’imposait inexorablement sur une société archaïque à peine sortie du féodalisme, où la paysannerie constituait l’écrasante majorité de la population. La bourgeoisie, tout en se renforçant sur le plan économique, était politiquement faible. Elle avait tellement peur des ouvriers et de la révolution qu’elle ne pouvait pas s’émanciper des anciennes classes dirigeantes et de l’autocratie. La classe ouvrière par contre était jeune, dynamique, combative, concentrée dans les entreprises modernes et énormes. L’enjeu de la révolution se résumera à la question: laquelle de ces deux classes allait prendre le devant?
La révolution de 1905 avait été défaite. Mais elle a laissé des traces. Un Parlement (la Douma) avec des pouvoirs très limités, une presse sujette à la censure, mais qui existait. Mais surtout la mémoire des soviets, ces conseils ouvriers et populaires qui étaient la forme d’organisation et d’action du mouvement ouvrier et qu’on retrouvera en 1917.


Des grèves politiques

La défaite de la révolution de 1905 a entraîné une forte répression. Mais le mouvement ouvrier commence à remonter la pente à partir de 1912. Un indice utile du niveau de mobilisation est fourni par les chiffres des grèves politiques, c’est-à-dire qui dépassaient le niveau de l’entreprise et des revendications immédiates. Les trois revendications centrales des bolcheviks, qui constituaient le plus fort courant sociale-démocrate au début de 1917, avaient toutes un caractère politique, global, dirigé contre le régime: une république démocratique, la journée de huit heures, l’expropriation des grandes propriétés terriennes.
En 1905, il y avait eu 1,8 millions de journées de grève politique. Au creux de la vague, en 1909-11, quelques milliers par an. En 1912, on compte 550,000 journées, en 1913, 502,000 et pour les six premiers mois de 1914, 1.059,000. En juillet 1914, juste avant l’éclatement de la première guerre mondiale, il y avait une grève générale à St Petersburg, avec des barricades et des batailles rangées avec la police.
L’éclatement de la grande guerre a déclenché une vague de chauvinisme, en Russie comme ailleurs. Dans un premier temps donc, l’élan des luttes ouvrières est brisé. Mais au fur et à mesure que les effets de la guerre se font sentir, le mécontentement s’accroît et crucialement, il touche les soldats.
Pour reprendre les chiffres des grèves, on voit une nouvelle remontée: 150,000 journées en 1915, 300,000 en 1916, plus de 500,000 pour les deux premiers mois de 1917. Au cours de ces grèves, les ouvriers étaient parfois aidés par des soldats: des liens ont été tissés.
La guerre a mis à nu toute l’arriération de l’empire russe. De tous les principaux pays belligérants de la Première guerre mondiale, la Russie était la moins équipée pour conduire une guerre moderne, surtout face à la puissance économique et militaire de l’Allemagne. Une série de défaites militaires et le manque d’équipements a conduit à une désaffection croissante dans les rangs de l’armée, aux refus de combattre, aux désertions. Elle a aussi produit des pénuries alimentaires dans les villes, ce qui fournira l’étincelle pour la révolution de février.
Le 9 janvier 1917, jour de la commémoration du Dimanche sanglant, le massacre de manifestants pacifiques, qui avait déclenché la révolution en 1905, 150.000 ouvriers de Petrograd ont participé à une grève politique. Parmi les plus de cent entreprises qui ont débrayé ce jour-là, certains faisaient grève pour la première fois depuis 1905. Au cours des manifestations ouvrières de rue on pouvait voir des soldats applaudir et toucher leurs casquettes en signe de solidarité. Le 14 février, jour de l’ouverture de la Douma, plus de soixante usines ont débrayé. Le 18, une grève a démarré dans un atelier des gigantesques usines Putilov. Le 21, les grévistes ont été licenciés. La grève s’étendait alors à d’autres ateliers et le 22, la direction a lockouté les 30.000 ouvriers de l’usine.


Février

Le 23 février, c’était la Journée internationale des femmes. La veille, un groupe de femmes a discuté avec un dirigeant ouvrier du comité bolchevique du quartier ouvrier de Vyborg, Kaiurov, qui leur a conseillé de rester calmes, de ne pas faire grève. Les conseils de caution de Kaiurov exprimaient l’analyse des dirigeants locaux, que l’heure de l’affrontement n’était pas encore arrivée, qu’ils n’étaient pas assez forts, que la liaison avec les soldats n’était pas assez solide.
Pourtant, le lendemain les évènements se sont précipités. Quelques usines du textile, à main d’œuvre féminine, ont débrayé, exigeant du pain: des usines de Vyborg ont aussi fait grève pour protester contre le manque de pain noir dans les boulangeries. Le 16, le rationnement de pain avait été introduit et dans la semaine qui suivait le mécontentement des femmes, qui faisaient la queue devant les boulangeries, s’exprimait fortement et parfois violemment. Ce fut aussi le cas le 23. Petit à petit, la grève s’étendait à d’autres quartiers et les grévistes partaient en manifestation, rejoints notamment par des étudiants. Des drapeaux rouges commençaient à faire leur apparition. Au cours des jours suivants on entendait de plus en plus, «à bas l’autocratie!» et «à bas la guerre!»
En évoquant les événements six ans après, Kaiurov rappelait aussi son indignation devant le manque de discipline des femmes. Pourtant il a conclu: «Mais une fois qu’il y a une grève de masse, il faut appeler tout le monde à descendre dans la rue et en prendre la direction». Le 25, les bolcheviks de Petrograd lançaient un appel à la grève générale. Il était temps. A ce moment-là, 200.000 ouvriers de Petrograd avaient déjà devancé le mot d’ordre du parti…


La jonction avec les soldats

La préoccupation de Kaiurov et de ses camarades concernant la liaison avec les soldats était bien fondée. Mais la question a trouvé sa réponse dans les faits. Non sans hésitations. Face à la mobilisation des ouvriers et du peuple qui se renforçait de jour en jour, les soldats se trouvaient devant un choix qu’ils auraient peut-être préféré ne pas avoir à faire. Après quelques hésitations, ils ont refusé de réprimer les manifestants. Dès le 26, il y avait la mutinerie du régiment Pavlovsky, dont 19 des meneurs ont été mis aux arrêts: ils seront libérés le lendemain. Le 26, le régiment Volinskii avait été envoyé contre des manifestants et a tiré sur la foule, tuant une quarantaine de personnes. De retour à leur caserne, ils ont discuté et résolu de ne faire jamais plus cela. Quand leur capitaine arrivait le lendemain pour les mobiliser, il était accueilli par des cris: «Nous ne tirerons pas». Finalement ils ont tiré – sur lui, le tuant sur le coup. Ayant ainsi franchi le Rubicon, ils ont envoyé des émissaires partout aux régiments de la capitale afin d’étendre la révolte. Avec succès: Ce jour-là, quelques 70,000 soldats se sont joints aux centaines de milliers d’ouvriers pour manifester. La jonction entre les ouvriers et les soldats fut décisive. Les jeux étaient faits.


Vers le «double pouvoir»

Déjà le 24 février, certaines usines avaient commencé à élire leurs délégués à un soviet qui n’existait pas encore au niveau de la ville. Mais le 27, un groupe de dirigeants ouvriers, certains libérés de prison dans la journée, se sont réunis pour établir le soviet de Petrograd, dont la première réunion a commencé plus tard dans la soirée.
Nous avons parlé exclusivement de Petrograd. C’était la capitale et le mouvement ouvrier y était le plus fort. Tout au long de l’année, Petrograd sera à l’avant-garde de la révolution. Cependant, pendant ces journées de février, les forces révolutionnaires furent victorieuses partout dans le pays, et partout se formaient des soviets.
Parallèlement, les dirigeants bourgeois de la Douma ont établi un Comité provisoire, qui deviendra un Gouvernement provisoire, sous la présidence du Prince Lvov. Certains d’entre eux auraient préféré passer à une monarchie constitutionnelle. Il était trop tard: le 2 mars, le Tsar Nicolas a abdiqué et son frère Michel n’a pas voulu le remplacer. Ainsi la dynastie s’est-elle terminée en eau de boudin. Le 8 mars, Nicolas a été arrêté.
Ces deux institutions, le soviet et le gouvernement provisoire, représentaient au fond les intérêts de classes opposées. Pendant des mois elles vont coexister. C’est ce qu’on a appelé un «double pouvoir», qui ne prendra fin qu’avec la victoire des soviets en octobre. Mais de février à octobre, la révolution aura vécu des crises et des luttes politiques au sein même des soviets.

International

10-Fév-2017 Par

La résistance marque des points aux Etats-Unis et ailleurs

Depuis son investiture, Donald Trump a multiplié les provocations et les prises de positions ultra-droitières. La réponse du peuple américain ne s’est pas fait attendre : les mobilisations de masse se sont multipliées, avec des résultats réels. En Europe, ce sont les Roumains qui font une démonstration de force historique en obligeant leur gouvernement à retirer un projet de loi visant à protéger les membres du parti au pouvoir faisant l’objet d’enquêtes pour corruption. Le mouvement populaire n’est pas exempt de certains accents populistes, mais il constitue avant tout une réaction légitime envers une politique antisociale et corrompue.

La résistance marque des points aux Etats-Unis et ailleurs

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Depuis son investiture, Donald Trump a multiplié les provocations et les prises de positions ultra-droitières. La réponse du peuple américain ne s’est pas fait attendre : les mobilisations de masse se sont multipliées, avec des résultats réels. En Europe, ce sont les Roumains qui font une démonstration de force historique en obligeant leur gouvernement à retirer un projet de loi visant à protéger les membres du parti au pouvoir faisant l’objet d’enquêtes pour corruption. Le mouvement populaire n’est pas exempt de certains accents populistes, mais il constitue avant tout une réaction légitime envers une politique antisociale et corrompue.

Aux Etats-Unis, l’activité frénétique du nouveau président a provoqué des réactions populaires massives qui lui causent de plus en plus de soucis. Le Congrès à majorité républicaine a dû s’incliner face à l’indignation publique et abandonner sa tentative d’étouffer une institution de contrôle de la moralité politique. Trump a spectaculairement réduit son propre décret interdisant l’entrée aux États-Unis de sept pays majoritaires musulmans. Il a une difficulté sans précédent à obtenir la confirmation de ses nominés au Cabinet, même si les règles du Sénat ont changé pour rendre les confirmations plus faciles que jamais. Les conservateurs au Congrès ont mis leurs grands plans pour privatiser Medicare et les terres publiques en attente. Et la volonté d’abroger la Loi sur les soins abordables se heurte à de très gros problèmes.

Rien de tout cela n’est le fait d’une « autocensure » de la Maison Blanche. C’est uniquement la résistance massive de la population qui en est la cause. Le résultat est que des vies ont été sauvées, et que beaucoup d’autres vies ont échappé aux calamités annoncées.

Trajectoire déviée

La résistance a infléchi considérablement la trajectoire que Trump avait tracée. Et surtout, elle a modifié la façon de penser et d’agir d’une fraction importante de la classe ouvrière américaine, des jeunes et des minorités. Les masses en mouvement commencent à prendre conscience de leur force et de la possibilité de peser sur la politique, même face au pire des gouvernements. C’est la plus grande menace pour Trump et toute sa clique.
Voici quelques points importants marqués contre le trumpisme :
• Le plan visant à annuler la promotion de l’ « Affordable Care Act » a été abandonné
• 500 000 titulaires de carte verte ont obtenu l’exemption des ordres d’immigration de Trump.
• Le ministère de la Défense a obtenu l’autorisation d’accorder des exemptions à l’interdiction pour les Irakiens qui travaillent avec l’armée américaine.
• La plupart des doubles citoyens (les Allemands, plus récemment) semblent obtenir des exemptions de l’interdiction de Trump.
• Un plan républicain de la Chambre pour une vente massive des terres publiques a été annulé.
En outre, un voyage planifié à Harley-Davidson dans le Wisconsin a été annulé parce que la compagnie n’a pas voulu faire face aux protestations. Le PDG de Disney a annulé un voyage prévu à la Maison Blanche. Et la liste n’est pas terminée… Même si certaines victoires sont plus symboliques que d’autres, une chose est claire : la « lune de miel » dont bénéficient traditionnellement les nouveaux présidents élus n’aura pas duré un seul jour pour Donald Trump.

Ce n’est qu’un début…

Bien entendu, l’administration Trump tente de faire croire que chacune de ses marches arrière n’ont rien à voir avec la résistance populaire, mais que c’est Donald Trump lui-même qui les a initiées, ou bien que ce sont les médias qui ont créé la confusion… Les célèbres « faits alternatifs » (en clair : le bricolage par les porte-parole de la Maison Blanche d’une histoire qui ne tient pas debout afin d’essayer de dissimuler la vérité) sont devenus un motif de plaisanterie mondial, ce qui montre à quel point plus personne ne croit aux explications de Donald Trump. Tout comme le slogan « America First » a suscité de nombreuses vidéos humoristiques venant de plusieurs pays voulant se positionner ironiquement en 2ème position (Netherlands 2nd, Danemark, Belgium, et même Luxembourg 2nd…). Bref, Donald Trump est devenu l’homme le plus puissamment ridicule du monde.
Ridicule, mais toujours debout et pas du vraiment prêt à s’avouer vaincu. Les 1ères victoires contre Trump sont encore fragiles et ses plans les plus dangereux sont toujours sur la table, notamment en ce qui concerne la protection sociale et l’ « Obama Care » qui, malgré ses faiblesses, a le mérite d’exister.
Il faut toutefois souligner les premiers succès de la résistance populaire, dont les grands médias n’ont pas vraiment relaté l’impact et le caractère déterminant. Ils constituent un premier pas et un encouragement évident à renforcer le mouvement.

… Continuons le combat

Le combat ne fait donc que commencer et la résistance devra continuer à s’organiser pour obliger l’administration Trump à abandonner pour de bon ses funestes projets.
Aux Etats-Unis, la construction d’une nouvelle force politique est plus que jamais nécessaire, afin de donner aux 99% un relais politique représentant réellement ses intérêts. Car actuellement le Républicains et les Démocrates sont les fidèles défenseurs des intérêts de Wall Street, même s’ils ont des désaccords sur la manière d’organiser la domination de l’establishment.
La classe des milliardaires au pouvoir aux États-Unis et à l’étranger est profondément divisée sur la façon de traiter Trump. Obama et Clinton veulent que nous « donnions une chance à Trump », mais faut-il attendre que la planning familial soit démantelé, ainsi que Medicaid, avant de prendre des mesures. Certains démocrates, comme ceux qui ont refusé d’assister à l’inauguration de Trump, disent vouloir lutter contre l’ordre du jour de Trump. S’ils sont sérieux à ce sujet, alors ils pourraient mettre en place des barrages routiers qui seraient très efficaces, vu la très mince majorité des républicains au Sénat. Par exemple, une obstruction pourrait empêcher la nomination d’un juge de droite de la Cour suprême, lequel pourrait mettre en péril le droit à l’avortement inscrit dans la Constitution. Malheureusement, les démocrates n’ont pas voulu prendre de telles mesures déterminées dans le passé pour arrêter les assauts de l’administration Bush.
Aux Etats-Unis comme dans d’autres pays, le sentiment de révolte et la défiance envers les institutions capitalistes grandit à vue d’œil, ce qui crée une opportunité réelle pour construire de nouvelles forces politiques déterminées à s’attaquer au cœur du problème, à savoir l’exploitation capitaliste la concentration des richesses par une infime minorité de privilégiés (pour rappel, 62 personnes détiennent autant de richesses que la moitié de l’humanité).

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Publié par Resistance Report sur jeudi 2 février 2017

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Politique

10-Fév-2017 Par

Un bâtonnier trop partisan de la haute finance

Le 9 janvier 2017, Me François Prum a donné, en tant que bâtonnier du barreau du Luxembourg, une interview stupéfiante à la Radio 100,7, dans laquelle il a pris singulièrement parti pour les avocats d’affaires ainsi que la haute finance. Par ailleurs, Me Prum s’est largement prononcé sur les LuxLeaks et le procès en cours, de même que sur le rôle de la presse, qu’il accusa – tout comme les citoyens ayant manifesté leur solidarité avec les inculpés du procès dit LuxLeaks – de ne pas respecter la justice, de la mettre sous pression, voire de la traquer …

Un bâtonnier trop partisan de la haute finance

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Un bâtonnier trop partisan de la haute finance

Le 9 janvier 2017, Me François Prum, a donné, en tant que bâtonnier du barreau du Luxembourg, une interview stupéfiante à la Radio 100,7 dans laquelle il a pris singulièrement parti pour les avocats d’affaires ainsi que la haute finance ([1]). Par ailleurs, Me Prum s’est largement prononcé sur les LuxLeaks et le procès en cours, de même que sur le rôle de la presse, qu’il accusa – tout comme les citoyens ayant manifesté leur solidarité avec les inculpés du procès dit LuxLeaks – de ne pas respecter la justice, de la mettre sous pression, voir de la traquer …

Que Me Prum, en se prononçant sur le procès LuxLeaks, se manifeste en pur défenseur des intérêts de la haute finance et de l’oligarchie financière et qu’il se rallie aux avocats de PwC pour demander des sanctions pénales contre les lanceurs d’alerte LuxLeaks, pourrait parfaitement se comprendre, s’il s’exprimait en son opinion personnelle, en tant que simple avocat inscrit au bureau. Mais qu’il défende ce point de vue en tant que bâtonnier – c’est-à-dire en tant que «primus inter pares», en tant que premier représentant d’un ordre de quelque 2.500 avocats au Luxembourg, qui ne sont certainement pas tous des avocats d’affaires – est tout à fait inquiétant. ([4]) C’est une gifle à la figure de tant d’autres avocats, dont ceux de la défense, qui devraient être représentés aussi bien par le bâtonnier que les avocats de la haute finance.

Une ignorance singulière du droit supérieur

Tout aussi grave est l’argumentaire sur lequel Me Prum fonde son discours. «Des personnes qui ont révélé un tel secret, qui ont copié des données qu’ils révèlent plus tard, ont commis une infraction inacceptable qui nécessite en tout cas une sanction.» ([2]) Il poursuit : «Nous avons des règles, le droit pénal est un droit précis qui doit être interprété de façon précise.» ([3]) Un point, c’est tout. Que le droit se compose d’un ensemble de règles et non exclusivement du droit pénal – Me Prum l’omet tout simplement.  Que le droit européen – et dans le présent cas surtout la convention européenne des droits de l’homme (CEDH) – fasse partie de ces règles, qui ne se limitent aucunement au droit interne, et que le droit européen et la CEDH, y compris sa jurisprudence abondante, constitue même une norme hiérarchiquement supérieure au droit interne, est complètement ignoré ou semble échapper au représentant de l’ordre des avocats du Luxembourg. Pour un juriste, une telle omission constitue une grave erreur. En mettant l’action d’un lanceur d’alerte – un mot qui n’a pas passé les lèvres du bâtonnier, alors même que le tribunal a retenu la qualification – au même niveau que celle de quelqu’un «qui crierait sur les toits ou communiquerait à la presse ce qui ne lui plait pas à l’intérieur d’une entreprise» ([5]), Me Prum dénigre ceux et celles qui, dans l’intérêt général, alertent l’opinion publique sur des disfonctionnements inadmissibles. Devons nous rappeler que c’est justement la question de la protection de lanceurs d’alerte qui agissent dans l’intérêt général, qui est au cœur de ce procès?

Une ignorance très répandue au Luxembourg

Comment une norme juridique supérieure au droit interne, comme la jurisprudence de la CEDH, peut-elle être ignorée aussi systématiquement aussi bien par des représentants de l’ordre judiciaire  (dont le procureur d’Etat adjoint, David Lentz, lors du procès LuxLeaks en première instance, sans parler des Vogel et Urbany), que par des représentants du gouvernement (cf. les propos identiques du premier ministre Xavier Bettel) ([6]) ?  Cette ignorance était évidente lors du réquisitoire du procureur d’Etat adjoint en première instance du procès LuxLeaks; elle a également légitimé l’appel du Parquet contre le jugement concernant le journaliste Edouard Perrin. Heureusement, le premier avocat général, John Petry, a su changer de cap lors du procès en appel, en se concentrant sur la jurisprudence de la CEDH, tout en s’excusant publiquement au nom du Parquet pour avoir inculpé le journaliste. Ainsi, le débat sur la jurisprudence de la CEDH concernant les lanceurs d’alerte de LuxLeaks est (enfin) lancé – contrairement aux intentions des Prum, Lentz, Bettel et consorts.

L’ignorance du droit (européen) supérieur et le parti pris pour la cause des avocats de PwC ne sont d’ailleurs pas les seules contradictions de Me Prum révélées lors de cette interview. D’un côté on peut se réjouir de la déclaration de Me Prum disant que «cette évolution est devenue nécessaire et [qu’il] ne trouve pas normal que des multinationales établissent leur holding au Luxembourg pour faire imposer tous les bénéfices qu’ils ont fait au fil des années exclusivement par une plateforme luxembourgeoise, bien que les activités n’aient pas été effectuées ici» et qu’il serait «parfaitement compréhensible que ce ne soit pas normal» et que ce serait incontestablement «le mérite du procès LuxLeaks d’avoir délayé qu’on ne peut plus continuer ainsi.» ([7]) D’autre part, il ne lui vient pas à l’esprit que la cause de «cette évolution qui est devenue nécessaire» trouve sa racine justement dans l’action des lanceurs d’alerte, qu’il veut voir sanctionnés pénalement pour leur action.

Le droit d’informer mis en cause

Pour conclure, Me Prum reproche à la presse de commenter des procès « sans connaitre les détails d’une matière souvent très technique et difficile». Il fustige le fait «que les procès soient largement discutés à l’extérieur de la justice». Le procès LuxLeaks en serait «un bon exemple, si on voit que le Palais de justice et en l’occurrence la cour soit pratiquement occupés par des personnes avec des drapeaux, tel qu’on se croit à une grande manifestation». Selon lui, ce seraient «ces phénomènes, qui ne respectent pas la justice et qui essayent de mettre la justice sous pression.» Il rajoute que «la presse – non seulement luxembourgeoise» aurait «malheureusement repris partiellement ce rôle (…) en se focalisant sur un scoop ou au dénigrement … »! ([8]) Me Prum se plaint en revanche moins de la presse lorsque celle-ci répond à ses sollicitations quand il s’agit de défendre ses clients en dehors du prétoire, et les occasions n’ont pas manqué ([9]). Il s’agit donc, de toute évidence, de brandir un argument d’autorité tout à fait illégitime contre ceux qui ne défendent pas les intérêts de la place financière, plutôt que d’une approche visant à expliquer de manière transparente le fonctionnement de celle-ci.

Me Prum fait encore semblant d’ignorer que la liberté d’informer (tellement bien décrite par le nom du collectif initié par Elise Lucet : «Informer n’est pas un délit») et le droit de savoir des citoyens sont des droits fondamentaux, font également partie d’une norme juridique supérieure.

Qui donc fait pression sur la justice: ceux et celles qui informent sur le déroulement d’un procès, qui débattent ouvertement des droits de l’homme, ou bien ceux qui ignorent ce droit et revendiquent l’application pure et simple du droit pénal sans égard aux droits de l’homme?

La prépondérance des avocats d’affaires

Me Prum fait preuve par contre de beacoup plus d’enthousiasme lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts de la place financière et de ses avocats d’affaires. Une des raisons pourrait être le fait que le nombre d’avocats d’affaires au Luxembourg augmente avec une vitesse fulgurante.  Selon le bâtonnier lui-smême, le Luxembourg compte actuellement un nombre d’avocats d’affaires presqu’égal à celui des avocats généralistes. En plus – et Me Prum le souligne à juste titre – tout avocat peut exercer simultanément le métier d’avocat d’affaires et celui d’avocat du contentieux, la préoccupation pour les affaires semblant ainsi largement dominer la profession de l’avocat. Le bâtonnier estime qu’avec le Brexit et autres phénomènes semblables, le nombre d’avocats d’affaires va encore augmenter au Luxembourg. Or, est-ce une raison pour que le chef du conseil de l’ordre de tous les avocats plaide ouvertement la seule cause des affairistes financiers, aux dépens des autres? – Certainement pas!

Le bâtonnier serait – au minimum – obligé de respecter une stricte neutralité à cet égard. Prendre ouvertement parti pour les ‘Big 4’, la haute finance et les affairistes, contre ses collègues qui défendent par exemple la cause des lanceurs d’alerte, est contraire à cette obligation de neutralité, d’autant plus que l’argumentaire juridique à la base de ce parti pris (considérer le seul droit pénal en ignorant le droit européen comme norme supérieure – voir ci-dessus) fait abstraction de la hiérarchie des normes juridiques en vigueur.

Me Prum enterre la hache de guerre entre le barreau et les ‘Big 4’ …

Rappelons que c’est Me Prum qui a fait enterrer la hache de guerre entre les trois ‘Big 4’ EY, KPMG et PwC et le barreau. Ce conflit était dû – selon un article pertinent de Camille Frati publié sur Paperjam.lu en date du 11 juillet 2016 ([10]) –au fait que «des juristes des grands cabinets d’audit empiètent de plus en plus sur les prérogatives des avocats, notamment en rédigeant des prospectus de fonds d’investissement, une documentation réglementée. Or, la loi du 10 août 1991 sur la profession d’avocat stipule que ‘nul ne peut (…) donner, à titre habituel et contre rémunération, des consultations juridiques ou rédiger pour autrui des actes sous seing privé, s’il n’est autorisé à exercer la profession d’avocat’». Ceci «avait conduit le Barreau à taper du poing sur la table en engageant plusieurs actions en justice contre PwC, EY et KPMG depuis 2012 pour exercice illégal de la profession d’avocat.» Or, Me Prum était d’avis que, «surtout dans le contexte de la tornade LuxLeaks», «il faut renoncer à faire la guerre, car nous avons un avenir ensemble», d’autant plus que «le Brexit renforce cette nécessité de coopérer alors que la Place veut attirer les professionnels devant quitter la City.» ([11])

… et protège les mandataires d’opérations offshore

C’est encore Me Prum qui s’est opposé en tant que bâtonnier à ce qu’un avocat (d’affaires) devait rendre compte au fisc de ses activités pour certains clients en les aidant à transférer une partie de leurs capitaux dans une juridiction offshore, on l’occurrence le Panama. Suite aux révélations des Panama Papers, l’Administration des contributions directes avait demandé à certains avocats d’affaires, dont la fonction de mandataire avait surgi dans les Panama Papers, de communiquer des détails ([12]) de ces opérations au fisc, ce qui suscita une réaction vive du bâtonnier, qui s’y opposait farouchement ([13]), non pas sans rappeler que le code de déontologie des avocats ([14]) dispose que «le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps, sauf dispositions légales contraires». Même «dans les hypothèses limitativement prévues par la loi dans lesquelles l’avocat doit, sur demande spécifique de la cellule de renseignement financier, fournir à celle-ci des informations en relation avec la loi concernant la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme, l’avocat est obligé de fournir ces informations au Bâtonnier de l’Ordre et à lui seul», qui, après vérification des conditions légales, «transmet les informations et/ou pièces reçues à la cellule de renseignement financier». Une récente étude du groupe des Verts européens a montré que les intermédiaires (dont les cabinets d’avocats d’affaires) sont un rouage essentiel au processus d’évasion fiscale généralisé ([15]).

Un jeu de cache-cache inacceptable

En d’autres termes: aucun avocat n’est autorité à collaborer directement ni avec la justice, ni avec toute autre institution de contrôle; tout doit passer par le bâtonnier. Si ceci nous parait tout à fait normal et adapté pour les informations obtenues par les avocats du contentieux par leurs clients, la protection des agissements des avocats d’affaires dans le cadre de la fuite de capitaux et d’évasion fiscale – même si ces pratiques ont toujours été déclarées comme légales – sont une autre paire de manche. En fait, cette attitude implique que le contrôle de la légalité de ces pratiques – comme celles dévoilées dans les Panama Papers, et bien d’autres – devient tout simplement impossible!  Sachant que c’est en l’occurrence le bâtonnier qui veille au respect de jeu de cache-cache, on ne peut que s’interroger: ne faudrait-il pas adapter les règles concernant les avocats d’affaires aux nouvelles réalités?

O tempora, o mores!  ([16])

Justin Turpel,
membre du comité de solidarité avec les inculpés du procès dit ‘LuxLeaks’

[Article  repris du Blog de Justin – voir sous www.justin-turpel.lu]

——————————-

[1] Diffusé à la radio 100,7 dans l’émission “Invité vum Dag” le 9.1.2017 sous https://www.100komma7.lu/article/aktualiteit/fir-eng-prazis-applikatioun-vum-strofrecht
Podcast: https://www.100komma7.lu/podcast/137457

[2] “Als Bâtonnier geet et mir haaptsächlech drëms datt d’Leit an onsem Beruffsstand hiren Secret präservéieren, well dat ass ee vun deenen absoluten noutwendegen Parameteren fir iwwerhaapt kënnen ze fonctionnéieren. Ech sinn der Meenung datt dat natierlech an anere Professiounen och de Fall ass, dat ass net nëmme meng Meenung, mee dat ass einfach reglementär sou zréckgehale, sou datt déijéineg Leit déi sou ee Secret wéi dat dote reveléieren, Donnéeë matgoen loossen an dann se herno reveléieren, egal op wéi eng Aart a Weis, déi hunn do nécessairement eng Infraktioun begaangen, an dat ass eppes wou mir och net kënne dermadder liewen. D’Donnéeë changéiere dobaussen, et ass eng grouss Moral universelle am gaangen sech ze kreéieren, mee entretemps ginn nach ëmmer eis Prozesser an de Geriichtssäll gefouert an net um Trottoir. Wann déi Donnéeën do matgaangen sinn ,wou de fait matériel schéngt etabléiert ze sinn, dann ass do op alle Fäll eng Sanktioun drop ze spriechen.”

[3] „Mir hunn Regelen, den droit pénal ass ee ganz präzisen Droit an e muss och präzis interpretéiert ginn…”

[4] Voir à cet égard également le «Discours du Bâtonnier François Prum lors de la réception du Barreau du 19 octobre 2016», où Me Prum disait notamment: «Les répercussions de ce monde qui change sur notre profession sont très importantes. La présomption d’innocence fait place à la condamnation par la grand public, le secret des affaires est ébranlé par une nouvelle Morale Universelle, les voleurs d’informations sont célébrés comme des  héros. Souvent l’avocat se trouve au beau milieu du tumulte et est bêtement critiqué comme co-auteur ou complice de ces mandants voire même comme architecte de montages sulfureux pour permettre à ces derniers de frauder le fisc. Mais l’avocat sait se défendre contre ces attaques infondées, propagées souvent par la voix de la presse et des milieux qui ignorent nos lois et font fi du fonctionnement des marchés et de l’économie en général.» sous https://www.barreau.lu/communication/news/discours-du-batonnier-francois-prum-lors-de-la-reception-du-barreau-du-19-octobre-2016

[5] „… ech mengen, wa mer eisen Finanzsecteuren bis ufänken all Kéiers wann een der Meenung ass datt iergend wéi eppes net grad sou leeft an engem Betrib wéi hien sech et selwer virstellt, dat dann einfach un d’grouss Klack hänkt, oder tel quel un d’Press weider gëtt, dann ass ganz einfach net méi an deene Milieuen ze schaffen wou de Secret absolument noutwendeg ass.”

[6] Cf. www.solidarite-deltour-perrin.lu/?p=424

[7] „Datt déi Evolutioun do nécessairement huet musse kommen, an datt et engem net normal ka schéngen, datt Konzerner déi am Fong hier Holding zu Lëtzebuerg herno einfach domiciliéieren an probéieren hire ganze Benefice deen se gemaach hunn iwwert Joren exklusiv iwwert eng Lëtzebuerger Plattform imposéiert ze kréien, wou d’Geschäfter selwer hei net gelaf sinn, ech mengen dat liicht engem ganz einfach an an dat ass den Merite op d’mannst un dësem LuxLeaks-Prozess, datt des Saache bësselche méi breet getrëppelt ginn, an datt een do sech ganz kloer an dem Sënn méi muss un d’Realitéiten halen an dat et net kann sou weidergoe wéi et war.”

[8]Et ass natierlech ganz oft, datt d’Press heiansdo ee Prozess kommentéiert ouni genee am Detail ze wëssen – all déi Saachen sinn jo oft och ganz technesch, sou datt och schwéier ass. Deen Depli deen eben déi lescht Jore komm ass, dat ass datt Prozesser eben ganz vill bausse debattéiert ginn – ech mengen LuxLeaks ass ee gutt Beispill, wann een do gesäit datt de Palais de Justice an déi Kéier d‘Cour praktesch besat ginn mat Leit mat Fändelen, et mengt een et wier een op enger grousser Manifestatioun, et sinn alleguer déi Phänomener do , déi d’Justiz am Fong och net respektéieren an déi bësse probéieren se ënner Drock ze setzen. An de Rôle den huet d’Press – ech schwätzen net nëmme op Lëtzebuerg bezunn – de Rôle den huet d’Press leider bësselchen iwwerholl (…) … op ee Scoop, op Hetz drop lass ass …”

[9] Par exemple: http://paperjam.lu/news/arrestation-brutale-dune-avocate-fiscaliste, http://paperjam.lu/news/des-ex-deloitte-risquent-la-case-prison, http://paperjam.lu/news/imprimerie-faber-fait-aveu-de-faillite, http://paperjam.lu/news/les-coulisses-dun-naufrage.

[10] Voir www.paperjam.lu/news/le-barreau-et-trois-big-four-enterrent-la-hache-de-guerre

[11] Dans ce contexte, on peut se demander si les dispositions du code de déontologie des avocats du Luxembourg, qui précise que «l’avocat doit veiller à éviter de tomber sous la dépendance du mandant», et que «l’exercice de la profession d’avocat est incompatible avec toute activité de nature à porter atteinte à l’indépendance ou à la dignité de l’avocat» ne concernent pas directement les avocats d’affaires occupés par les ‘Big 4’ et par autres consultants puissants. «Lorsque l’indépendance de l’avocat n’est plus garantie dans un dossier déterminé, le bâtonnier, ou son délégué, pourra lui ordonner de déposer son mandat. Avant de prendre une quelconque décision, le bâtonnier veillera à obtenir la prise de position de l’avocat.» Une telle instruction vis-à-vis d’un mandataire d’opérations offshore soupçonnées illégales, a-t-elle été effectuée, par exemple suite aux demandes de l’Administration des Contributions par rapport à certains mandataires révélés par les Panama-Papers?

[12] L’ACD requérait de ces avocats les noms des sociétés concernées, ceux de leurs bénéficiaires économiques et des personnes habilitées à effectuer des transactions pour le compte de ces sociétés.

[13] Voir www.paperjam.lu/news/le-batonnier-hausse-le-ton-face-aux-contributions-directes

[14] www.legilux.public.lu/eli/etat/leg/ri/2013/01/09/n1/jo

[15] Citation de l’étude: «Ces intermédiaires sont souvent inconnus du grand public, mais jouent un rôle-clé dans l’existence de sociétés-écrans dans les paradis fiscaux. Ce sont des banques, des cabinets d’avocats ou comptables, des consultants, qui agissent seuls ou ensemble, selon les pays, pour fournir des conseils ou établir des schémas fiscaux complets pour leurs clients, qui auraient rarement pu avoir ces idées tout seuls. En d’autres mots, ils sont indispensables au business de l’évasion fiscale »; L’étude complète (en anglais) peut être consultée sous: http://www.greens-efa.eu/files/doc/docs/d6bd745c6d08df3856eb6d49ebd9fe58.pdf; voir également un résumé intéressant de dans Mediaprt.lu sous https://www.mediapart.fr/journal/economie/240117/au-coeur-de-levasion-fiscale-les-incontournables-intermediaires

[16] «Quelle temps! Quelles mœurs!» ou encore «Quelle époque! Quelles moeurs!» Cicéron dans le 2e livre des Verrines, 70 av. J.C et dans la 1ère harangue (plaidoirie) des Catilinaires, 63 av. J.-C