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En Espagne, un droit de mémoire toujours mis à mal

Paca Rimbau Hernández

En Espagne comme ailleurs, l’on entend des phrases conformistes et accommodantes, du genre «A quoi bon remuer le passé?», ou encore «à quoi bon rouvrir des plaies?», ou encore «Il faut regarder de l’avant», ou encore « dans une guerre chaque camp commet des atrocités». Une particularité plutôt espagnole, c’est pourtant que ces questions, emmenant à l’inaction et à l’amnésie, bénéficient depuis la fin de la guerre (1939) du soutien des forces politiques et militaires au pouvoir, héritières en bonne mesure de l’armée et de l’«esprit national» qui ont plongé les Espagnols dans une guerre devenue civile et dans un après-guerre qui a duré quarante ans et notamment quand on s’attaque à ladite «mémoire historique».

 

Loi d’amnistie

Francisco Franco est mort en novembre 1975 et sa tombe se trouve dans le «Valle de los Caídos» (Vallée des Tombés), monument qu’il a fait construire comme dernier hommage aux «héros et martyrs de la Croisade».
Un processus connu sous le nom de «Transición» (Transition) s’est initié ensuite, avec à la base un engagement des deux côtés, visant à ce qui avait déjà été prôné en 1956 par le Parti Communiste: la «réconciliation nationale». La méthode adoptée, hélas, n’a pas favorisé, loin de là, la solution. En octobre 1977, a été promulguée la loi d’amnistie qui a été appliquée aux opposants au franquisme et qui a permis la sortie de prison de centaines de personnes, mais qui a, également, empêché la mise en question des tortionnaires. L’article 2 est explicite: L’état espagnol renonce, par cette loi, à ouvrir tout procès ou à exiger des responsabilités contre «les crimes commis par les fonctionnaires et l’application de la loi contre l’exercice des droits des individus».
L’impunité était servie. Cette même loi a permis, en 2012, au «Tribunal supremo» (Cour suprême) d’accuser le juge Baltasar Garzón d’avoir commis un acte de prévarication, car en 2008 il avait voulu mener une enquête sur 114 000 disparus de la guerre.
Bilan de l’opération: des milliers de personnes restent en Espagne, en 2017, sans savoir où se trouvent leurs parents, leurs grands frères et sœurs, ou sans pouvoir faire valoir le droit de les enterrer et de leur dire -tout en se le disant à elles-mêmes et le disant aux membres plus jeunes de leur entourage- que si leur mort a été brutale, le combat contre l’amnésie finira par l’emporter sur la volonté de les ensevelir à toujours dans l’oubli.

 

Droit de mémoire

En 2016, partout, des commémorations liées au fatidique 18 juillet 1936 se sont déroulées. 18 de juillet qui a signé la condamnation de l’Espagne à une dictature pendant 40 ans et qui a ouvert les portes à l’horreur que l’Europe a connu jusqu’à 1945. Qui a semé nos pays de morts et d’orphelins, de rancœur et de désarroi, de blessures encore ouvertes pour beaucoup. Récemment, des manifestations ont revendiqué l’abrogation de la loi de 1977, qui reste une entrave majeure à l’accomplissement du devoir -et droit- de mémoire. Parce que, oui, se souvenir devrait servir à honorer et à apprendre à ne pas reproduire des erreurs, à rester vigilants et à ne pas conjuguer le verbe résister au passé.
Parler de mémoire pour moi rejoint Jorge Semprún, pour qui celle-ci, au lieu de nous coincer, devrait servir à nous faire avancer. Elle doit également nous renvoyer aux exemples de solidarité et d’engagement citoyen, qui, heureusement, sont nombreux dans l’Histoire et qui remettent à leur place les phrases si souvent entendues « les choses ne changeront jamais» ou «cela a toujours été ainsi». Car, comme le disait l’anarchiste italien Amedeo Bertolo, nous devrions garder le pessimisme pour des temps meilleurs.
Voici deux occasions de rafraîchir la «bonne» mémoire:
https://www.chem.lu/le-chem/espace-presse/communiques-de-presse/l-exposition-la-maternite-d-elne-s-installe-au-chem
http://kulturfabrik.lu/en/program/details/event/la-maternite-delne/