Politique

01-07-2016 Par

Les paradoxes du 23 juin

Institutionnellement la sortie du Royaume Uni de l’Union Européenne n’est ni une catastrophe ni une aubaine. Pourtant, c’est un paradoxe: la Grande Bretagne repart, le néolibéralisme continental reste.

Les paradoxes du 23 juin

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Institutionnellement la sortie du Royaume Uni de l’Union Européenne n’est ni une catastrophe ni une aubaine. Lorsque le Royaume Uni avait rejoint la communauté européenne dans les années 1970, à la demande du gouvernement conservateur de Heath, soutenu par M. Thatcher, il avait ramené dans ses bagages l’orientation de la pensée unique néolibérale, qui est devenue le crédo consensuel de l’UE. C’est un paradoxe: la Grande Bretagne repart, le néolibéralisme continental reste. Du point de vue socio-économique, l’UE est anglo-saxonne, avec ou sans brexit.

Un autre paradoxe : la votation du 23 juin risque de faire éclater le Royaume-Uni plus que l’Union Européenne. L’hystérie provoquée par les Johnson et Farage a ravivé les tensions internes à tel point que la sécession de l’Ecosse, de l’Irlande du Nord (vers la République d’Irlande) et même du petit Gibraltar (réclamé par l’Espagne) sont subitement remises à l’ordre du jour. C’est un désastre pour les Tories et ses chefs Cameron et Johnson qui avaient interverti leurs positions il y a quelque temps : le premier ayant été plutôt eurosceptique dans le passé et le second, fils d’un fonctionnaire de la bureaucratie bruxelloise, aurait difficilement pu avoir ses positions actuelles de en tant que maire de Londres.

Les très nombreux électeurs britanniques, laissés-pour-compte du néolibéralisme, dont une grande partie de la classe ouvrière appauvrie ou précarisée, ont perdu leur autonomie de classe en suivant les Tories, porteurs du libéralisme le plus pur et les racistes de l’UKIP. Certains commentateurs de gauche se trompent royalement en interprétant le vote pro-brexit simplement comme une réaction anti pensée unique libérale. Concernant les classes laborieuses, ce vote est une colossale déviation de ses intérêts les plus élémentaires vers des voies irrationnelles et réactionnaires.

Alors, un « exit de gauche » est-il pensable ? Bien sûr que oui. Mais nous ne sommes pas dans l’abstrait. Le brexit ne peut pas être réactionnaire et progressiste à la fois. Concrètement, la gauche anticapitaliste doit se poser la question- dans le cas de la Grande-Bretagne comme dans d’autres cas – comme l’a posée récemment un certain Yannis Varoufakis, qui n’est pourtant pas mon maître à penser : Dans quelle mesure peut-on mieux faire passer dans un Etat national, libéré des institutions de l’UE, la répartition des richesses, les droits du travail, l’antiracisme, l’internationalisme (il faudrait rajouter la transition énergétique, les droits de l’homme et des femmes et bien d’autres objectifs encore.) ? Ce n’est certainement pas le cas en Grande Bretagne en 2016. Les trois familles politiques, qui ont gouverné le pays ces dernières décennies sont pénétrées par l’idéologie libérale, même au (New) Labour, l’establishment neo-Blairiste essaye de se débarrasser de Corbyn. Les travailleurs britanniques n’entrent pas au paradis

Il y a cependant un petit b-mol à opposer à ce raisonnement. Le faux-fuyant des « régulateurs de Bruxelles » manquera aux politiciens pour excuser chômage et inégalités croissantes. Désormais, ils seront tenus pour responsables eux-mêmes.

Les craintes généralement formulées avant la votation du 23 juin concernaient la contagion nationaliste, chauvine, xénophobe sur le continent. Ce n’est certainement pas anodin. Il y a de l’autre côté le redémarrage de la discussion sur « l’Europe que nous voulons » telle qu’on l’a connue lors du débat sur la constitution européenne. Subitement les gens qui nous gouvernement et notamment la social-démocratie émettent des mea culpa et parlent même de refondation, terme jusque-là employé par la gauche de la gauche. Il faut saisir l’occasion pour s’engager sur une voie anticapitaliste et se méfier des chausse-trapes. « Mieux vaut moins et mieux », une Europe débureaucratisée se concentrant sur l’essentiel par exemple le marché des capitaux, la libre concurrence, l’union bancaire, la sécurité des frontières extérieures et – pour faire passer la pilule – une extension du programme Erasme aux lycéens. En bref, une vraie Europe libérale-anglo-saxonne. Paradoxal, mon cher Watson ?

Le débat à la gauche de la gauche ne souffre plus les attitudes purement défensives ni les formules générales, comme la refondation de l’Europe. La confusion est générale, on ne pourra pas continuer à jongler entre un fédéralisme de gauche et une « vraie » Europe des peuples.