Palestine: après la Suède, le Luxembourg?

Pour la première fois, le parlement a débattu de la reconnaissance de l'Etat de Palestine sur l'initiative de déi Lénk. La décision est ajournée mais a de réelles chances d'être prise.

Palestine: après la Suède, le Luxembourg?

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Le Luxembourg est-il sur le point de reconnaître l’Etat de Palestine ? C’était l’un des sujets débattus cette semaine à la Chambre des députés à l’occasion des débats autour de la déclaration de politique étrangère.

L’on sait le ministre des affaires étrangères Jean Asselborn est particulièrement impliqué sur la question. Si l’on peut contester, de manière générale, la politique étrangère du Luxembourg pour son alignement atlantiste, il faut concéder qu’au moins sur cette question, Asselborn voit clair.

Probablement plus clair que d’autres. Il en aurait même fait une question personnelle, après de nombreux voyages dans la région, où l’homme sensible qu’il est fut confronté aux conditions de vie inhumaines dans les Territoires occupés de Cisjordanie ou le camp à ciel ouvert qu’est devenue la bande de Gaza. L’on entend même parfois se lamenter l’un ou l’autre diplomate plus enclin aux intérêts sionistes. Asselborn leur tiendrait tête paraît-il. Qu’il continue ainsi !

Asselborn et la Palestine

Le problème, c’est que la politique étrangère du Luxembourg se heurte à des intérêts économiques dans la région à cause d’entreprises luxembourgeoises actives dans les territoires occupés. Une question parlementaire d’André Hoffmann, adressée à l’ancien ministre de l’économie et du commerce extérieur Jeannot Krecké à ce sujet avait reçu pour réponse que l’économie et la politique, cela n’a rien à voir l’un avec l’autre. Dont acte !

Ces entreprises savent-elles seulement qu’elles risquent de se rendre coupables de complicité de crime de guerre, car c’est bien de cela qu’il s’agit, au plus tard lorsque la Palestine sera enfin reconnue comme Etat ? Actuellement, une plainte pour reconnaître la colonisation comme crime de guerre a été déposée auprès du Tribunal pénal international par le ministre palestinien de la justice. L’un ou l’autre entrepreneur actif dans la région devra donc se poser la question si les quelques bénéfices qu’il tire de son activité dans les Territoires occupés justifient d’éventuels et sérieux démêlés avec la justice internationale.

Du commerce illégal…

Petite parenthèse : les campagnes de boycotts de produits israéliens s’inscrivent dans cette logique. Décriés par les milieux pro-israéliens (surtout de droite) comme étant des campagnes antisémites à l’image des campagnes nazies (« Kauf nicht beim Juden »), elles visent les produits issus des Territoires occupés. Une occupation non seulement illégale (en violation avec la résolution 446 du Conseil de sécurité), mais qui commerce avec des produits (agrumes, olives, dattes…) issus de spoliations de terres ayant appartenues à des exploitant palestiniens.

Le problème, c’est que ces produits portent l’annotation « Made in Israel », ce qui, en plus d’être erroné, ne permettent pas de distinguer les produits des terres occupés de ceux provenant réellement d’Israël. Le brouillage volontaire des autorités de Tel-Aviv se retourne ainsi contre elles. En clair : pas d’occupation, pas de boycott – occupation, boycott.
Revenons à notre semaine parlementaire : le groupe déi Lénk à la Chambre a déposé une motion invitant le gouvernement luxembourgeois à reconnaître l’Etat de Palestine.

Nota bene : la motion ne contient pas de date précise pour cette reconnaissance pour la simple raison que, d’un point de vue légal, le parlement ne peut prescrire au gouvernement une action à un moment donné ; l’exécutif étant libre de choisir le moment approprié. C’est peut-être bête, mais c’est ainsi.

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La reconnaissance de l’Etat de Palestine tourne autour d’une question centrale : la reconnaissance de cet Etat doit-il être l’aboutissement des négociations avec Israël ou doit-il en constituer un préalable majeur ? Pour celles et ceux qui n’auraient pas suivi le débat à la Chambre : tous les groupes politiques estiment que la reconnaissance de l’Etat de Palestine est légitime. Mais tous ne s’accordent pas forcément sur la manière de procéder.

C’est bien évidemment la position de l’ADR qui est la plus tranchée. Oui, pour la reconnaissance mais uniquement suite à la conclusion d’un accord entre Israël et l’Autorité palestinienne. Ce n’est un secret pour personne : l’ADR est le parti le plus pro-israélien du parlement, comme il est le plus atlantiste de tous, surtout depuis la prise en main des questions étrangères par leur député national-conservateur, anticommuniste primaire et islamophobe Fernand Kartheiser.

Cette position est celle prônée par le gouvernement Netanyahou-LiebermannBennett à Tel-Aviv. Ce gouvernement, dont le premier ministre Benyamin Netanyahou, selon les dires de l’ancien ambassadeur d’Israël en France, Elie Barnavi, ferait figure d’aile gauche tant les autres coalitionnaires se situent à l’extrême de l’extrême-droite, est aux mains des partisans de la droite messianique du « Grand Israël » – qui n’a plus grand-chose à voir avec les pionniers de la fondation de l’Etat hébreux.

Les illusions des attentistes

De plus, aussi bien le ministre des affaires étrangères – l’ancien videur de boîtes de nuit russe Avigdor Liebermann – vit dans une colonie illégale, à l’instar du ministre de l’industrie, l’homme d’affaires Naftali Bennett, qui se vante d’avoir tué beaucoup d’Arabes.

Reconnaître l’Etat de Palestine suite à la conclusion d’un accord signifie, dans le contexte politique actuel, ne jamais le reconnaître. Reconnaître l’Etat signifierait la fin des colonies, la fin du projet d’extension maximum de l’Etat d’Israël. C’est-à-dire la raison d’être des partis de Liebermann et de Bennett et d’une bonne partie du Likoud.

Ce n’est donc pas pour rien que le mouvement de reconnaissance unilatérale de l’Etat de Palestine, indépendamment des négociations, se met en branle. Sans pression extérieure sur le gouvernement israélien, aucune avancée n’est possible. Le risque est grand : au train où va la colonisation, Jérusalem risque d’être vidée des Arabes et la Cisjordanie devenir une extension d’Israël. La stratégie du gouvernement de Tel-Aviv consiste à mettre la « communauté internationale » devant le fait accompli.

La colonisation et la politique du fait accompli

La décolonisation en sera d’autant plus périlleuse à l’instar de la décolonisation de l’Algérie, dont le rapatriement des 2 millions de Pied-Noir vers la France faillit faire basculer la République dans la guerre civile ou le coup d’Etat.

La position du CSV, présentée par le député Laurent Mosar est représentative des illusions que certains se font : oui, à la reconnaissance de la Palestine, mais de concert avec les Etats membre de l’Union européenne. Chose ardue sachant que l’Allemagne et la République tchèque s’y opposeront probablement, ainsi que peut-être le Royaume-Uni, pris entre les positions contradictoires de son parlement (qui a voté une résolution similaire le 13 octobre) et de son gouvernement.

La reconnaissance de la Palestine sur la bonne voie (pour l’instant)

Le LSAP semble toutefois bouger sur la question : il faudra reconnaître la Palestine, peut-être même de manière unilatérale comme la Suède, mais après avoir tenté de trouver une solution au Conseil de sécurité de l’ONU, dans lequel le Luxembourg siège jusqu’à la fin de l’année, ainsi que d’avoir trouvé un consensus européen. C’est la position d’Asselborn, socialiste lui-même, et s’il s’y tient, la reconnaissance de la Palestine par le Luxembourg n’aura finalement qu’été retardée de quelques semaine. Une position que partagent grosso modo le DP et les Verts.

Comme l’on pouvait s’y attendre, la motion déposée par Serge Urbany de déi Lénk a été relayée au sein de la commission des affaires étrangères pour discussion et pourrait subir quelques « réajustements ». En principe, il se pourrait qu’elle revienne en séance plénière à la mi-décembre pour y être adoptée. Reste à veiller à ce que les « réajustements » qu’elle subira ne lui ôtent toute substance. Mais on ne peut raisonnablement pas imaginer qu’elle rejoigne la position minoritaire de l’ADR.