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11-Mar-2019 Par

Diem25-Quel avenir pour un mouvement transnational au Luxembourg ?

Alors que les élections approchent, des questions se posent au Luxembourg et ailleurs sur l’avenir que peut avoir un mouvement comme Diem25, une fois le scrutin passé. La question mérite d’être posée, tant l’approche envisagée par Diem25 jure par rapport à celle envisagée par d’autres partis européens. En effet, si la plupart des partis envisagent la stratégie européenne comme un passage depuis une structure nationale vers une structure supranationale, Diem25 a choisi l’option inverse : Construire d’abord une structure européenne qui aura ses sous-groupes par la suite.

Diem25-Quel avenir pour un mouvement transnational au Luxembourg ?

Alors que les élections approchent, des questions se posent au Luxembourg et ailleurs sur l’avenir que peut avoir un mouvement comme Diem25, une fois le scrutin passé. La question mérite d’être posée, tant l’approche envisagée par Diem25 jure par rapport à celle envisagée par d’autres partis européens. En effet, si la plupart des partis envisagent la stratégie européenne comme un passage depuis une structure nationale vers une structure supranationale, Diem25 a choisi l’option inverse : Construire d’abord une structure européenne qui aura ses sous-groupes par la suite.

Le procédé peut surprendre, tant nous sommes peu habitués à procéder de cette façon, mais c’est justement cette innovation qui est au cœur de notre ADN politique. En effet, le niveau national est celui dans lequel les citoyens et citoyennes ont l’habitude de vivre, débattre et projeter leur action démocratique. Les cours d’histoire à l’école, l’habitude, et les discours des médias produisent même chez les plus internationaliste, une prison mentale du nationalisme, qu’il n’est pas aisé de briser.

Et pourtant tous les défis auquel notre époque nous confronte mettent en exergue la nécessité de sortir des limites de cette prison pour pouvoir franchir un palier dans l’émancipation humaine. Que l’on parle du changement climatique, du pouvoir hégémonique des multinationales ou de la nécessaire prise de pouvoir des citoyen.ne.s sur des instances comme l’Union européenne ou l’ONU, tout devrait nous pousser à briser cette prison qui aujourd’hui tue dans l’œuf tout espoir d’avoir des lendemains plus lumineux.

En 2017 est sorti un livre nommé « Les classes sociales en Europe » que tout militant.e progressiste se devrait de lire. S’appuyant sur les statistiques d’Eurostat publiées depuis 2012, il permettait le 1eraperçu global des dynamiques sociales sur notre continent. Une chose ressortait de manière particulièrement limpide : Les classes sociales supérieures sont infiniment plus homogènes transnationalement que les classes moyennes et populaires. Les premières parlent deux à trois langues en commun, possèdent les mêmes codes et capital culturel, et plus important encore forment l’essentiel de la classe politique et de la haute administration nationale et européenne. Il n’y a donc rien d’étonnant que dans cet entre soi homogène et réduit l’on soit bien plus à même de défendre ses intérêts que dans les autres couches de la société.

A la question « quel avenir pour un mouvement transnational comme Diem25 au Luxembourg ? » la réponse est donc que cet avenir est pertinent. La dynamique militante du mouvement climatique en 2018 puis 2019 montre de manière éclatante que les prochaines victoires du mouvement social en Europe, puis dans le monde se feront en transcendant les frontières. Chaque jour, chaque semaine et chaque mois qui passent sur ce sujet et sur d’autres sont à présents autant de comptes à rebours que nous devons avoir en tête, alors saisissons l’instant et plantons les graines transnationales pour le prochain printemps.

International

11-Mar-2019 Par

Accord des Prespes : une bonne nouvelle pour l’Europe?

Les gouvernements de la Grèce et de l’ancienne République yougoslave de Macédoine se sont rencontrés, sur le bord du grand lac Prespa, sur le point frontière entre les deux États, pour signer un accord, par lequel ils mettent fin à une dispute qui avait éclaté depuis la déclaration, en 1991, de l’indépendance de cette république fédérée yougoslave.

Accord des Prespes : une bonne nouvelle pour l’Europe?

Les gouvernements de la Grèce et de l’ancienne République yougoslave de Macédoine se sont rencontrés, sur le bord du grand lac Prespa, sur le point frontière entre les deux États, pour signer un accord, par lequel ils mettent fin à une dispute qui avait éclaté depuis la déclaration, en 1991, de l’indépendance de cette république fédérée yougoslave.

L’enjeu, irrationnel et difficilement compréhensible pour les non-initiés, portait sur le nomde cet État issu de l’éclatement de la Yougoslavie. Une levée des boucliers du côté grec, dont les gouvernements, avec un soutien populaire vociférant, considéraient que la Grèce était titulaire d’une espèce de copyright© sur le nom ‘Macédoine’ depuis le temps d’Alexandre le Grand…

Côté grec, les gouvernements successifs des deux principaux partis, Néa Démokratia (PPE) et PaSoK (S & D), après s’être livrés à une surenchère au plus grand patriote, ont compris qu’il fallait débloquer la situation et trouver une solution de compromis : à savoir une dénomination composée avec une désignation géographique. Mais, pris eux-mêmes au piège de leur rhétorique nationaliste, ces deux partis n’ont jamais osé avancer une solution.

De l’autre côté de la frontière, et puisque les nationalismes s’alimentent mutuellement, le parti de droite nationaliste VMRO (également affilié au groupe PPE) a promu un culte de l’antiquité, se référant, lui aussi, à Alexandre le Grand…

Les deux nationalismes opposésconsidéraient, et considèrent toujours, tout compromis comme une ‘trahison’ : l’un soutenant que ce nouvel État n’avait aucun droit d’utiliser le mot ‘Macédoine’, l’autre, au contraire, n’acceptant aucun ajout à la dénomination ‘République de Macédoine’. Même principe, conclusions opposées…

Syriza, le parti principal de gauche grec, arrivé au gouvernement en 2015, avec Alexis Tsipras comme premier ministre, a hérité non seulement d’un pays dévasté par l’austérité et la corruption, mais aussi de cette guéguerre nationalisteavec l’ancienne République yougoslave de Macédoine.

Heureuse coïncidence, côté nord de la frontière, le VMRO a perdu le pouvoir sous le poids de la corruption. Le gouvernement social-démocrate de Zoran Zaev a souhaité une résolution du différend avec la Grèce.

Les négociations entre les deux gouvernements ont abouti à l’accord des Prespes, par lequel la Grèce reconnaît l’autre partie sous le nom ‘République de Macédoine du Nord’, à utiliser à l’intérieur comme vers l’extérieur. Mais l’histoire ne se termine pas là. Il fallait que l’accord soit ratifié par les parlements des deux pays. On y est parvenu de justesse.

Le parti de la droite grecque (Néa Démokratia,PPE), suivi par le parti de centre gauche «patriotique» (PaSoK, S & D) a cautionné les manifestations menées par toutes les variantes de l’extrême droite, y compris les Nazis, une partie du clergé et des descendants d’anciens combattants !

Les partis grecs en question, animés d’une volonté d’opposition acharnée contre le gouvernement de gauche, ont agi contrairement à la position de leurs groupes politiques européens (PPE, S & D). Ces partis considérant Syriza comme « des locataires circonstanciels du pouvoir exécutif » ont comme souci permanent de l’évincer du pouvoir et ceci par tous les moyens.

De façon symétrique, en Macédoine du Nord, le VMRO s’est opposé à l’accord, encouragé en cela par Orbán, Poutine et Erdoğan. Comme d’habitude, le Spitzenkandidatdu PPE Manfred Weber a pris une position ambiguë.

Si l’accord avait capoté, la Macédoine du Nord aurait été déviée de sa perspective européenne, en ouvrant la voie à la pénétration de la Russie de Poutine et de la Turquie d’Erdoğan.

Le clivage créé autour de l’accord des Prespes, devenu désormais un modèle pour la solution de différends de nature identitaire, est en train de redessiner le paysage politique en Grèce. Syriza, délesté de son petit partenaire nationaliste ANEL, a trouvé de nouveaux appuis de la part de parlementaires qui ont refusé de suivre le camp nationaliste.

Une majorité parlementaire s’est ainsi mise du bon côté de l’histoire, pour apporter, enfin, une bonne nouvelle à une Europe déchirée par la montée des nationalismes !

*

Parmi les opposants à l’accord des Prespes se sont trouvés les partis et formations autres que Syriza, qui se positionnent à gauche de l’échiquier politique.

Le seul autre parti de gauche représenté au parlement grec est le Parti Communiste de Grèce (KKE, parti frère du KPL). Celui-ci, à part son opposition traditionnelle aux ‘manœuvres impérialistes’ visant à intégrer ce petit État des Balkans à l’OTAN et à l’UE, a adopté en même temps l’angle d’attaque de la droite : en prenant le contre-pied de sa position traditionnelle, qui était de défendre les droits des Slaves macédoniens, il a pris le même angle d’attaque que la droite nationaliste, à savoir que le gouvernement grec a ‘cédé’ au pays voisin la langue et l’identité ethnique macédoniennes, en ouvrant la voie à ‘l’irrédentisme macédonien’.

Sans surprise, le Nouveau parti communiste de Yougoslavie (NKPJ) attaque, lui aussi, l’accord avec la Grèce, avec les mêmes arguments inversés…

Sans surprise également, les groupes et ‘personnalités’ qui, en été 2015, ont quitté Syriza après le compromis pénible avec les créanciers, s’opposent dans leur grande majorité à l’accord avec la Macédoine du Nord. Sans surprise, ceux qui étaient prêts à suivre le projet de M. Schäuble d’éjecter la Grèce de la zone euro adoptent maintenant des positions nationalistes.

International

15-Fév-2019 Par

Razem rejoint Diem25 pour refonder l’UE

Malgré la présence au gouvernement polonais depuis 2015 du parti dit « sceptique » par rapport à l’Union Européenne et qui remet constamment en cause les fondements constitutionnels du pays, la grande majorité des citoyens et citoyennes polonais(es) se sent toujours attachée à l’Europe en tant que projet politique. Selon les sondages, un référendum potentiel sur le « Polexit » n’aurait pas de chances de réussir, car uniquement 9 % auraient déclaré vouloir quitter l’Union Européenne.

Razem rejoint Diem25 pour refonder l’UE

Malgré la présence au gouvernement polonais depuis 2015 du parti dit « sceptique » par rapport à l’Union Européenne et qui remet constamment en cause les fondements constitutionnels du pays, la grande majorité des citoyens et citoyennes polonais(es) se sent toujours attachée à l’Europe en tant que projet politique. Selon les sondages, un référendum potentiel sur le « Polexit » n’aurait pas de chances de réussir, car uniquement 9 % auraient déclaré vouloir quitter l’Union Européenne.

Néanmoins, la gauche radicale du pays souligne que les bases de l’Union Européenne doivent changer. Les inégalités économiques croissantes sont en train de faire éclater toutes les sociétés européennes, y compris la polonaise. L’arrivée au pouvoir du parti « Droit et Justice » est due, avant tout, aux promesses d’améliorer le sort des plus démunis. C’est pour la première fois, depuis le changement de régime de 1989, qu’une force politique a rompu, au moins en apparence, avec le dogme de l’austérité qui règne en Union Européenne depuis les années ‘70.

C’est un premier pas, mais il est nécessaire d’aller plus loin dans cette direction et d’instaurer la solidarité comme principe fondamental de l’Union Européenne. Le parti de la gauche radicale polonaise, RAZEM, se joint au mouvement Diem25 pour les élections européennes. Le programme de Diem25 porte, essentiellement, sur la nécessité d’un nouveau contrat entre les pays européens. Il est urgent d’arrêter la politique d’austérité et de mise en concurrence des pays. Nous devons sortir de la fusion du capital et de la politique. La démocratie doit prendre en compte, avant tout, les intérêts de la majorité de ses habitants, donc de la classe populaire. On doit réaffirmer, pas uniquement en Pologne, les libertés et les droits qu’on a crus déjà acquis. Il n’existe pas de démocratie sans justice sociale et économique, sans partage équitable des richesses. L’Union Européenne doit se faire la gardienne de ce partage, si elle veut encore jouer un rôle positif dans les années à venir.

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11-Fév-2019 Par

Hongrie : printemps en décembre

Viktor Orban se réclame aujourd’hui de la « démocratie illibérale ». Mais le terme illibéral s’applique surtout sur les plans politique et sociétal. Il s’exprime par les discriminations contre les minorités, notamment les Roms, un antisémitisme qui ne dit pas son nom. mais qui existe bel et bien, la fermeture des frontières contre les réfugiés, la mise sous tutelle du système judiciaire, la concentration des media entre les mains des proches d’Orban.

Hongrie : printemps en décembre

Viktor Orban se réclame aujourd’hui de la « démocratie illibérale ». Mais le terme illibéral s’applique surtout sur les plans politique et sociétal. Il s’exprime par les discriminations contre les minorités, notamment les Roms, un antisémitisme qui ne dit pas son nom. mais qui existe bel et bien, la fermeture des frontières contre les réfugiés, la mise sous tutelle du système judiciaire, la concentration des media entre les mains des proches d’Orban.

Mais sur le plan économique Orban est bien libéral. En 2012 le Code du travail était modifié dans un sens défavorable aux droits des travailleurs. Le résultat était une stagnation des salaires et une accélération des tendances, déjà présentes, à l’émigration (600,000 départs depuis 2010), créant à terme une pénurie de la force de travail. Pour des raisons idéologiques, Orban ne voulait pas recourir à l’immigration. Il fallait donc faire travailler encore davantage la force de travail existante. C’était la motivation d’un amendement au Code du travail voté par le Parlement le 12 décembre et signé par le Président le 20. Vite nommée « loi esclavagiste », le résultat en est que les employeurs ont le droit d’exiger 400 heures supplémentaires par an (au lieu de 250) en accordant aux entreprises un délai de paiement maximum de 36 mois (au lieu de 12). Un rêve pour le patronat, bien accueilli par l’industrie automobile, qui représente 30 % de la production industrielle en Hongrie et 15% du PIB, et qui est dominée par les grandes multinationales allemandes. Il existe déjà des usines Mercedes, Audi et Opel, et BMW est en train de s’installer à Debrecen. Elles font partie des chaînes de production qui couvrent aussi d’autres pays d’Europe centrale, notamment en Slovaquie et en République tchèque. L’industrie automobile en Hongrie emploie 120,000 personnes directement, 250,000 en comptant les fournisseurs.

Dès le vote du Parlement un mouvement de contestation est apparu, d’une ampleur et d’une combativité qui constituent un élément nouveau en Hongrie, où Viktor Orban et son parti FIDESZ, au pouvoir depuis 2010 et ayant remporté leur troisième victoire électorale de suite en 2018, semblaient tout-puissants. Mais l’annonce de cette loi a provoqué une levée de boucliers. Un sondage a montré que 85% des salariés s’y opposent. Dimanche 16 décembre il y avait 15,000 manifestants devant le Parlement. Le lendemain a vu une manifestation devant le siège de la télévision publique, MTVA, qui est aux ordres d’Orban.

Le mouvement n’est pas né à l’appel des partis ou syndicats, mais il a vite reçu leur soutien. Politiquement l’éventail allait du Parti socialiste, MSZP, jusqu’à Jobbik, qui cherche en ce moment à évoluer de l’extrême droite vers le centre, un exercice délicat et plein de contradictions, c’est le moins qu’on puisse dire.

La Confédération des syndicats hongrois a adopté une déclaration condamnant sans appel la loi esclavagiste et menace d’appeler à une grève générale. C’est d’autant plus remarquable que les syndicats hongrois, comme leurs homologues dans la région, sont relativement faibles. Ils fonctionnent surtout au niveau des entreprises, où ils ont quand même récemment marqué des points. La dernière grève générale a eu lieu pendant la révolution de 1956.

Un autre élément qui témoigne de l’originalité de ce mouvement est le rôle important joué par les femmes (ce qu’on voit aussi avec le mouvement des gilets jaunes en France et dans la nouvelle gauche nord-américaine). La contestation de la loi au Parlement a été surtout dirigée par de jeunes députées (dans un parlement ou les femmes ne représentent que 10%), qui ont encore été aux premiers rangs des manifestations. Et cela se passe non seulement au sommet, mais aussi à la base, et sans ambages. Ainsi, dans une manifestation à Kecskemet, ville de 100.000 habitants, une lycéenne a pris la parole pour traiter le gouvernement de « bande de voleurs dégueulasses » en conseillant à « toutes les bites moustachues d’aller se faire foutre ».

Justement, une autre caractéristique de ce mouvement est qu’il ne se limite pas à Budapest. Dans la capitale, aux élections de 2018, une liste de centre gauche avait remporté les deux tiers des suffrages. La base d’Orban se trouve plutôt dans les villes de province et les campagnes. Or, il y a eu des manifestations d’entre 1000 et 2000 personnes dans les grandes villes de province et de quelques centaines dans les villes plus petites.

Parti de l’opposition à la loi esclavagiste, le mouvement ne s’y limite pas. Il met en avant cinq revendications. La première exige le retrait de la loi esclavagiste. Ensuite, il y a une revendication de réduction des heures de travail des policiers, l’exigence que la Hongrie adhère au Parquet européen, histoire de pouvoir contrôler l’utilisation des fonds européens, et un appel à la neutralité des media publics.

Last but not least, une revendication qui est aussi importante peut-être que celle sur la loi esclavagiste : La même semaine que l’adoption de celle-ci, le gouvernement a fait passer une réforme judiciaire créant un nouveau tribunal sous le contrôle du ministère de la justice, avec des juges nommés par le ministre. Ce tribunal est sensé traiter d’affaires sensibles. Cela peut concerner des charcutages électoraux, la corruption, des affaires obscures diverses. Le mouvement demande aussi le retrait de cette loi.

On voit bien que le mouvement né en décembre n’est pas sectoriel – des gens qui ne sont pas concernés par la loi esclavagiste manifestent contre celle-ci ; et en ne se limitant pas à cette seule question et en incorporant d’autres revendications, c’est tout le système d’Orban qui est contesté, tout à fait consciemment en ce qui concerne de nombreux participants.

Le mouvement continue, moins fort en janvier qu’en décembre. Le soutien des partis et syndicats est certainement un facteur de défense contre le régime. Mais il faut être conscient que, parmi les partis qui soutiennent le mouvement, ni les sociaux-démocrates ni les libéraux ne contestent le néolibéralisme sur le fond. Pourtant, que le mouvement continue, se ralentit ou reprend son souffle, quelque chose a changé dans la société hongroise. Une démonstration de force a été faite, et la contestation peut aussi se manifester sur d’autres questions. A noter la forte participation d’étudiants, qui ont été très actifs depuis plusieurs années contre la privatisation des universités et pour la gratuité des cours.

Un élément nouveau et prometteur est l’entrée en jeu de la classe ouvrière en tant que telle. Le 21 décembre, 4.000 ouvriers (sur13.000) de l’usine Audi à Györ ont débrayé contre la loi esclavagiste. En janvier, l’usine a fait grève sur des revendications salariales. Celles-ci partaient du fait que l’usine de Györ était le parent pauvre du groupe Volkswagen dans la région, où les ouvriers en Pologne, République tchèque et Slovaquie gagnent respectivement 39, 25 et 28 pour cent de plus.

La grève, qui a reçu une solidarité importante dans d’autres secteurs, s’est soldée par une victoire nette – 18% d’augmentation. Cela rappelle la grande grève de juin 2017 des ouvriers de Volkswagen en Slovaquie, qui a obtenu 14% d’augmentation. La victoire des ouvriers d’Audi peut encourager d’autres secteurs de faire grève. D’autant plus que ce n’est pas un cas isolé. A l’usine Mercedes on a obtenu une augmentation de 35%.

La victoire ne s’explique pas seulement par la combativité des ouvriers. Elle a démontré le point faible des chaînes de production des multinationales de l’automobile. Pendant 20 ans elles ont profité de l’accès à une force de travail bien formée et bon marché pour construire un réseau d’usines. Mais la force des firmes automobiles se révèle être aussi leur faiblesse. Il suffit que la machine se grippe à un endroit pour avoir des effets en série. Sans les moteurs qui sont fabriquées à Györ, la maison mère à Ingolstadt en Bavière a dû arrêter la production pendant deux jours, l’activité s’est ralentie à Bratislava et deux équipementiers partenaires en Hongrie étaient paralysés.

Quelles que soient les perspectives immédiates, ce qui se passe depuis décembre est très important pour la Hongrie. Mais ce n’est pas un cas isolé. A bien regarder, dans une région qui a dû encaisser le choc de l’imposition d’un capitalisme sauvage depuis 30 ans, cela bouge un peu partout. Il y a beaucoup de raisons pour penser que cela va continuer.

International

08-Fév-2019 Par

Hongrie – Orban adopte l’histoire qui lui convient

En janvier 2019, le gouvernement hongrois a commémoré officiellement la déroute de la Deuxième armée hongroise qui se battait aux côtés de la Wehrmacht en 1943 face à l’Armée rouge en la nommant la « journée noire de l’Armée hongroise ». Quel narratif est en oeuvre pour qu'en Europe un gouvernement peut mettre à l'honeur des combattants fascistes? Orban assume le régime du dictateur Miklos Horthy (1920-1944), présenté comme un « Age d’or ». C’est un mensonge historique. Ce régime est né dans le sang, celui des partisans de la République des conseils, écrasée en août 1919. S’ensuivirent deux ans d’une terreur blanche, une chasse aux communistes, socialistes et Juifs.

Hongrie – Orban adopte l’histoire qui lui convient

Le 16 juin 1989, dans les derniers mois du régime communiste, Budapest a été la scène d’une grande manifestation. Il s’agissait du ré-enterrement d’Imre Nagy, premier ministre pendant la révolution de 1956. Nagy, communiste, avait fait le choix de se mettre du côté de l’insurrection populaire qui avait éclaté le 23 octobre et qui exigeait le départ des troupes soviétiques et la démocratie, créant des conseils dans les villes et les usines. Après la sanglante suppression de la révolution par des chars soviétiques, Nagy et deux de ses camarades furent pendus, le 16 juin 1958.

Parmi les orateurs à la cérémonie du ré-enterrement, le jeune Viktor Orban, figure de l’opposition démocratique,  faisait l’eulogie de Nagy.

Le 18 décembre 2018, sous les ordres du même Orban, la statue de Nagy qui avait été érigée dans un square face au Parlement a été enlevée – dans la nuit, pour éviter des protestations. Elle doit être remplacée par une reproduction d’une statue anticommuniste de 1934.

Après 1989, Orban avait commencé assez vite à prendre ses distances avec Nagy. Ni le communisme ni la démocratie socialiste n’étaient compatibles avec le régime de capitalisme néolibéral qui s’instaurait alors en Hongrie.

Dés lors, Orban s’embarquait sur le chemin qui le mènerait à se réclamer de la « démocratie illibérale ». En route, il trouvera une filiation historique qui lui convenait mieux ; celle du régime du dictateur Miklos Horthy (1920-1944), présenté comme un « Age d’or ». C’est un mensonge historique. Ce régime est né dans le sang, celui des partisans de la République des conseils, écrasée en août 1919. S’ensuivirent deux ans d’une terreur blanche, une chasse aux communistes, socialistes et Juifs. Après, le fonctionnement « normal » de la dictature se reposait sur l’interdiction des organisations communiste, socialiste et syndicaliste. Leurs militants furent emprisonnés et torturés. Le régime sera toujours marqué par un antisémitisme, qui préparait le terrain pour l’extermination de plus de 500,000 Juifs pendant la guerre. Il était aussi revanchard, cherchant à récupérer les territoires perdus après 1918 et qui se trouvaient alors en Yougoslavie, Tchécoslovaquie et Roumanie. Il réussira, brièvement, grâce à son alliance avec l’Allemagne nazie.

En 2013, une statue de Horthy a été érigée à Budapest. En octobre 2016, dans la ville de Pomaz, a été inauguré un monument avec une carte de la « Grande Hongrie » d’avant 1918. Et en janvier 2019, le gouvernement hongrois, dans une commémoration officielle de la déroute en 1943, face à l’Armée rouge, de la Deuxième armée hongroise qui se battait aux côtés de la Wehrmacht, l’a décrite comme la « journée noire de l’Armée hongroise ».

Orban assume donc le régime de Horthy, y compris l’alliance avec l’Allemagne nazie (la Hongrie a adhéré en 1939 au Pacte anticommintern, l’Axis). Mais il nie toute responsabilité pour l’Holocauste. Dans un nouveau préambule à la Loi fondamentale de Hongrie en 2011, on situe le point de rupture dans l’histoire de la Hongrie avec l’occupation du pays par l’Allemagne en mars 1944, après que Horthy avait essayé de négocier une paix séparée avec les Alliés. Or, si la déportation des Juifs s’est accélérée après cette date, elle avait commencé bien avant.

Le gouvernement hongrois reste pourtant indulgent envers le nazisme. Le 9 février, comme chaque année depuis 1997, une marche aura lieu à Budapest, organisée par l’extrême droite hongroise, pour commémorer la capitulation de l’Armée allemande en 1945, appelée « la Journée de l’honneur ». A cette occasion, des mouvements néonazis de plusieurs pays européens convergeront vers Budapest, certains portant des uniformes SS et des drapeaux avec la croix gammée. Le gouvernement hongrois les autorise, car il s’agirait d’une « commémoration historique ». Et comme chaque année, les antifascistes hongrois organiseront une contre-manifestation, au nom d’autres valeurs et d’une autre histoire.

Both the left and the far right make advances in Swedish elections

The Swedish elections last Sunday turned out to be an extremely even affair, giving the two blocs of traditional political forces, the four party strong right wing group, ”the Alliance” and the social democratic and Green government and its supporting force, the Left Party, almost exactly the same number of seats.

Both the left and the far right make advances in Swedish elections

The Swedish left advances in the elections but as a whole Parliament swings more to the right.

The Swedish elections last Sunday turned out to be an extremely even affair, giving the two blocs of traditional political forces, the four party strong right wing group, ”the Alliance” and the social democratic and Green government  and its supporting force, the Left Party, almost exactly the same number of seats.

Jonas Sjöstedt, leader of Vänsterpartiet (the Left Party), declared on election night that the elections represented a great success for the left. He explained that it was only due to the increased votes of the left that the Swedish progressives have the remotest chance of staying in power, since both the social democrats and the Greens took heavy tolls. For a while it even looked as if the Greens would not make it over the 4% barrier that is necessary to get any seats at all. In the end they got 4.3%, a mere 20,000 votes above the barrier.

Vänterpartiet conducted a very strong election campaign and ended up with 7.9% of the votes, gaining 2.2% compared to the previous elections. Perhaps even more positive is a huge influx of new members, making the party reach 25,000 members for the first time in its history. An astonishing 428 new members joined on a single day, according to the Party secretary Aron Etler. The party also performed very well in the three major cities.

Swedish politics have been a strange affair for the last four years. Despite a strong right-wing majority in parliament the country has had a Social-democratic and Green government. The reason for this was that the traditional right has managed, or as some may say, been forced, to keep the doors closed to the nationalists of the Swedish Democrats party, refusing to cooperate with them at all. This went to the point where they would even rather lose votes in Parliament than accept support from the far right. This very remarkable and positive policy might however now be at end, since at least two of the four parties of the traditional right have declared themselves willing to open a dialogue with the far right.

The results show a new situation in Swedish politics, where we can begin to determine three political blocs instead of the traditional two. To the right a neoconservative block with the traditional conservatives, the Christian Democrats and the far right, in the middle the two liberal parties and to the left Vänsterpartiet, the social democrats and the Greens. Which road the country now takes depends on whether the two liberal parties are willing to stay in their alliance with the right, despite influence from the far right, or whether this is a deal breaker for them and they decide to give their support to the left instead. If they do there is a good chance of a new social democratic government, but unfortunately, with less influence for the left, despite the good election result.

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20-Sep-2018 Par

Construire un avenir résilient au Luxembourg

Notre pays comme le reste du monde est à la croisée des chemins, il nous apparaît pertinent d’enfin faire le bilan de décennies d’un libéralisme dogmatique qui met en péril - à court terme - notre économie et plus globalement nos modes de vie.

Construire un avenir résilient au Luxembourg

Notre pays comme le reste du monde est à la croisée des chemins, il nous apparaît pertinent d’enfin faire le bilan de décennies d’un libéralisme dogmatique qui met en péril – à court terme – notre économie et plus globalement nos modes de vie.

Le club de Rome, les rapports Meadows, l’appel des 1500 scientifiques, sont autant de rappels à notre devoir de prendre en compte, en tant que société, les limites physiques de notre environnement. Il nous appartient de cultiver notre résilience, c’est-à-dire notre capacité à résister et à nous adapter à des chocs externes (changement climatique, hausse du prix de l’énergie, appauvrissement des sols, crises économiques et migratoires).

Nous nous félicitons du fait que notre pays comptera parmi ceux qui vont respecter leurs engagements Kyoto pour 2020, mais cela n’est pas suffisant. Le Luxembourg aura montré qu’il a la capacité de diminuer ses émissions de gaz à effet de serre. Il est à présent temps de nous préparer au monde de demain.  Les énergies renouvelables, l’agriculture biologique, l’écomobilité ou le tourisme éco-responsable sont autant de sources d’emplois qualifiés et de valeur ajoutée où nous nous devons d’être pionniers.

Pour cela, il nous faut rompre radicalement avec les anciennes façons de penser. Le court-termisme ne doit plus être notre horizon. Il est temps d’inventer l’avenir, pour donner à nos contemporains l’envie de s’y projeter et ainsi couper l’herbe sous le pied des mouvements populistes qui autour de nous se réjouissent de notre immobilisme.

En tant que parti progressiste, en lien avec les acteurs de la société civile, nous nous proposons de porter avec vous un projet de société qui soit visionnaire, durable, écoresponsable, fondé sur une justice sociale non négociable, et une vision de notre avenir désengorgée d’un pessimisme qui n’est ni approprié ni constructif.

Il y va de notre responsabilité historique d’être au rendez vous en tant que nation. En synergie avec nos partenaires européens, nous nous devons de mutualiser nos efforts pour défendre nos biens communs (l’eau, l’air, l’alimentation, le vivant) ainsi que nos démocraties.

Pour cela nous nous devons d’agir à tous les échelons (local, national, international) par le biais d’aides publiques et d’une fiscalité incitative, mais aussi de politiques agricoles et industrielles renouvelées et relocalisées qui prennent en compte nos écosystèmes.

C’est aujourd’hui que nous devons nous préparer et anticiper notamment nos besoins en termes de formation et d’éducation des jeunes et des adultes aux métiers correspondant à la bifurcation écologique indispensable que nous appelons de nos vœux. C’est aujourd’hui aussi que nous devons rétablir un réseau efficace de services publics de proximité. C’est aujourd’hui enfin que l’on se doit d’amener ces questions sur la place publique et dans le débat politique, pour que l’inaction et le fatalisme soient enfin surmontés.

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20-Sep-2018 Par

Macron/Bettel. L’Europe En Marche met les pieds au Luxembourg.

« Dans d’autres pays vous seriez déjà en prison depuis 10 minutes ». Matthieu est encore ébahi par cette remarque alors qu’il relate son intervention à la consultation citoyenne Macron/Bettel à Luxembourg le 6 septembre dernier. « J’aurais peut-être dû leur rappeler que c’était une consultation citoyenne et qu’une consultation sans opposition c’est un meeting du parti » souffle-t-il à la fin de son histoire.

Macron/Bettel. L’Europe En Marche met les pieds au Luxembourg.

« Dans d’autres pays vous seriez déjà en prison depuis 10 minutes ». Matthieu est encore ébahi par cette remarque alors qu’il relate son intervention à la consultation citoyenne Macron/Bettel à Luxembourg le 6 septembre dernier. « J’aurais peut-être dû leur rappeler que c’était une consultation citoyenne et qu’une consultation sans opposition c’est un meeting du parti » souffle-t-il à la fin de son histoire.

C’est une formule choc, mais la question mérite d’être posée. Quelle était la nature de l’évènement qui se déroulait ce jour-là sur la place de l’Europe ? Meeting du futur mouvement « l’Europe En Marche » ou consultation citoyenne ? Avant même l’entrée des deux protagonistes dans une salle pleine à craquer, la question projetée sur un écran géant en fond de salle invitait à une réflexion à plusieurs niveaux : A quoi ressemble ton Europe ?

A quoi pouvait bien ressembler l’Europe ce jour-là à part à celle qu’Emmanuel Macron et Xavier Bettel défendent puisqu’il n’y avait qu’eux deux dans la salle pour répondre aux questions des citoyen.ne.s ? Devant l’entrée déi Lénk, Déi Gréng, le mouvement écologique ou Greenpeace s’étaient rassemblés pour confronter les positions, mais les deux intervenants du soir ont prudemment évité de rentrer par la grande porte, privant la petite centaine de militant.e.s d’un échange.

A l’intérieur la situation fut bien pire. Dès leur entrée les deux hommes furent accueillis par une clameur aussi tonitruante que ravie. La mise en scène était simple, deux pupitres, des citoyens et des citoyennes entourant les rôles principaux de tous côtés, et des membres de l’opposition assis en contrebas, condamnés à être simple spectateur de ce qui allait suivre. En l’absence de toute autre couleur politique que la leur sous les projecteurs, les deux complices ont pu se livrer à un jeu de question/réponse sous les applaudissements enchantés d’un public quasi-unanimement acquis à leur cause, les clins d’œil, plaisanteries et tapes sur l’épaule achevant de donner à cette consultation citoyenne les airs d’un meeting de campagne dans un swing-state américain.

Les questions, même les plus compliquées, recevaient une réponse bienveillante, les deux acteurs se repassant les interventions selon le rapport qu’ils entretenaient au sujet abordé. Une lycéenne lança la machine. Le président français en fait-il assez pour contrer le changement climatique ? Ce dernier répondit avec un sourire charmeur sur la fermeture des centrales thermiques en France, qu’importe que la plus grosse source d’émission de gaz à effet de serre du pays en question soit les transports et que l’on condamne le rail. L’Europe allait-elle enfin avoir un vrai programme spatial ? Ce sujet capital fut traité avec une plaisanterie par le ministre luxembourgeois, qu’importe si privatiser un espace de ressources quasi infini peut mener à des inégalités impossibles à imaginer. Qu’importe car le public n’avait le droit que de poser des questions, offrant au duo d’orateurs toute la latitude pour proposer leurs solutions sans crainte d’être contesté. « Je vous aime Monsieur Macron » lança une femme et le public aux anges renchérissait par de nouvelles salves d’applaudissements, allant même parfois jusqu’à se mettre debout.

Jusqu’au grain de sable.

Ce grain de sable s’appelait Matthieu, militant du Printemps Européen, qui, au milieu de la neutralité idéologique du débat, osa employer les gros mots de « capitalisme sauvage » et « Europe des marchés » pour définir le projet politique des deux hommes d’Etat. La modératrice ne s’y est pas trompée, puisqu’elle lui coupa la parole pour le presser d’accélérer. La salle ne s’y trompa pas non plus, les deux stars étaient contestées de front ce qui était inacceptable. Elle entreprit donc d’accabler ce seul représentant d’une autre Europe de sifflets, huées et plaisanteries.

Aucune autre opposition politique ne se manifesta jusqu’à la fin. Des demandes, des exigences parfois apparurent, mais la seule voix qui s’était élevée pour défendre une Europe qui se soucierait plus de la lutte contre le changement climatique que de la lutte contre les déficits avait été réduite au silence. La salle put reprendre son ronronnement tranquille d’acclamations et personne d’autre n’eut à subir ses foudres jusqu’au terme de la « consultation citoyenne ».

Quelle conclusion en tirer ? Quelle consultation y avait-il pour les citoyen.ne.s dans la salle quand seuls les représentants du pouvoir étaient là pour leur répondre ? Qu’avait-elle de citoyenne cette consultation, quand seules les deux personnes sur scène avaient le droit de développer une réflexion nuancée ? N’est-il pas légitime de se poser des questions sur la nature réelle de ces événements ?

A ceux qui en doutaient, la campagne européenne a bel et bien déjà démarré. Sous le prétexte de consultations citoyennes, Emmanuel Macron s’offre des meetings dans toute l’Europe pour tisser le récit de son futur mouvement comme unique alternative aux nationalistes. Que l’on ne se méprenne pas, lui et les membres de son futur mouvement sont tout à fait en droit de vouloir faire campagne de manière ambitieuse. Mais que l’on ne se méprenne pas non plus, les citoyen.ne.s sont aussi en droit de savoir ce que sont réellement ces événements afin d’y prendre part , ou non, en toute connaissance de cause.

La salle comble ce jeudi 6 septembre pourrait nous laisser croire que tout est déjà perdu pour une Europe citoyenne, soucieuse de progrès écologique et social. Mais rien n’est plus faux, car sur le parvis de la philharmonie une foule bariolée avait la tête sans doute pleine de ces idéaux-là. Rien n’est plus faux car à l’intérieur de la salle, au milieu de la galaxie Macron-Betteliene une étoile a brillé d’une couleur différente de toutes celles qui l’entouraient. Rien n’est plus faux car le même jour en Italie, Yanis Varoufakis faisait salle comble aussi, apportant sans le savoir un soutien à distance à ce militant solitaire, qui, à la Philharmonie de Luxembourg, au milieu des sifflets et de l’hostilité, s’est dressé contre le discours hégémonique du capitalisme. L’espoir revient.

Solidaires contre le fascisme !

Tous ceux qui pensent que fascistes et antifascistes, c’est bonnet blanc et blanc bonnet, feraient mieux d’ouvrir un livre d’histoire.

Solidaires contre le fascisme !

Tous ceux qui pensent que fascistes et antifascistes, c’est bonnet blanc et blanc bonnet, feraient mieux d’ouvrir un livre d’histoire.

Alors que des nazis défilent, bras tendu, dans une ville allemande et lancent une véritable chasse aux réfugiés, alors que la police semble débordée par les évènements, alors que la plus grande partie de la classe politique allemande et européenne est aphone, il faut être particulièrement irresponsable pour mettre fascistes et antifascistes dans le même panier, comme le font le quotidien BILD et le FDP berlinois dans leur tweet Antifaschisten sind auch Faschisten. Il s’agit là non seulement d’une manœuvre politique pernicieuse visant à légitimer des idées droitières, mais également d’un véritable affront à l’égard de toutes les victimes de la violence d’extrême-droite et de tous ceux qui tentent de s’opposer à cette violence. Que tous ceux qui pensent que fascistes et antifascistes, c’est la même rouvrent leurs livres d’histoire où, mieux encore, aillent visiter le Musée de la Résistance ou un camp de concentration ! Le fait même que des organes de presse et des partis politiques établis cherchent à discréditer les mouvements antifascistes est, au-delà de la perfidie, le signe d’un échec moral patent. Et que ni les gouvernements, ni la société civile ne réagissent face à cet amalgame honteux est une preuve supplémentaire que les classes dirigeantes actuelles sont impuissantes face à la dérive droitière que l’on constate actuellement partout en Europe. Et cette impuissance ne fait qu’accentuer l’apathie cynique dans laquelle sombrent de larges parties de la population. Un changement politique radical s’impose dès lors !

Ce phénomène n’épargne pas le Luxembourg. Ainsi, Tom Weidig, président de « Wee 2050 » et candidat sur les listes de l’ADR aux élections d’octobre, a relativisé les crimes nazis sur internet, pris la défense d’un négationniste et jugé valable l’utilisation du terme de « race » en parlant du genre humain. Et lorsque le bloggeur Maxime Weber a révélé l’affaire, « Wee 2050 » a cherché a discréditer ce dernier en le traitant de terroriste d’extrême-gauche. Tom Weidig de son côté n’a pas été rayé des listes de l’ADR et, après un bref émoi politico-médiatique, plus personne ne parle de l’affaire. Il est effrayant de constater qu’une telle attitude est de plus en plus tolérée dans notre société.

Les rares à s’opposer clairement aux fascisme, partout en Europe sont les Antifa. Il est vrai que le mouvement Antifa est contesté, également par une partie de la gauche. Mais une appréciation globale est difficile, car il n’existe pas de mouvement Antifa homogène, mais il s’agit d’associations très diverses et indépendantes les uns des autres. Et même si, comme moi, on n’approuve pas toujours l’utilisation de la violence par certains de ces groupes, il faut bien avoir présent qui se trouve en face : Des groupes neonazis, bien structurés et disposant de réseaux efficaces qui n’ont aucun scrupule à utiliser la violence, qui la glorifient même, tout comme ils glorifient l’un des plus gands crimes contre l’humanité et qui souhaitent un retour à une barbarie similaire.

En ces temps où le monde politique peine à freiner cette dérive vers la droite extrême de nos sociétés, les Antifa qui risquent leur santé et leur vie (comme Clément Méric dont les meurtriers sont jugés en ce moment) dans le combat contre le danger nazi ont mérité notre soutien et notre solidarité.

Libre à ceux qui n’approuvent pas leurs méthodes de descendre eux-mêmes dans la rue et de s’opposer à leur façon à la haine fasciste. Mais si on n’en a pas toujours le courage – ce qui est parfaitement compréhensible – il convient au moins de soutenir ceux qui osent.

Siamo tutti antifascisti !

(Link zur lëtzebuergescher Versioun vum Artikel)

International

15-Déc-2017 Par

Vers la révolution d’octobre

Les effets négatifs de la défaite dans les Journées de juillet furent de courte durée. Certes, dans les jours qui suivaient, quelques secteurs ont tenu les bolcheviks comme responsables de l’échec d’un soulèvement prématuré. Mais les leçons tirées, surtout par les ouvriers les plus politiquement conscients, ont été plus profondes et plus durables.

Vers la révolution d’octobre

Les effets négatifs de la défaite dans les Journées de juillet furent de courte durée. Certes, dans les jours qui suivaient, quelques secteurs ont tenu les bolcheviks comme responsables de l’échec d’un soulèvement prématuré. Mais les leçons tirées, surtout  par les ouvriers les plus politiquement conscients, ont été plus profondes et plus durables.

D’abord, l’idée qu’il suffirait de mettre suffisamment de pression sur les dirigeants mencheviks et SR pour qu’ils rompent avec le Gouvernement provisoire et assument le pouvoir s’est révélée inopérante. Les dirigeants du Soviet avaient refusé le pouvoir qu’on leur offrait, ils avaient refusé de rompre avec la bourgeoisie. Pire encore, ils ont partagé la responsabilité pour l’appel à des troupes loyales au gouvernement et pour la répression qui s’en est suivie. Il subsistait une aspiration à l’unité de la « démocratie révolutionnaire » (1) qui se manifestera fortement encore à certains moments. Mais pour la masse des ouvriers qui voulait tout le pouvoir aux soviets, il devenait de plus en plus clair que le seul parti qui allait se battre pour cela était le Parti bolchevik, dont les forces et l’influence recommençaient à croître dès le mois d’août.

Le coup de Kornilov

Un moment clef dans le déroulement du processus révolutionnaire et la montée de l’influence bolchevique était le coup manqué de Kornilov. Lavr Kornilov était un officier tsariste qui, comme beaucoup d’autres, s’était mis au service du Gouvernement provisoire après la révolution de février, sans changer d’idées. Il a été nommé commandant en chef des armées russes en juillet. Farouche partisan du rétablissement de l’ordre, il avait déjà voulu utiliser la force contre les manifestations d’ouvriers et de soldats en avril. Au mois d’août, les idées de Kornilov convenaient parfaitement  aux attentes des cercles bourgeois, le Parti Kadet, les patrons et la caste d’officiers, qui voulaient tous un pouvoir fort.

Du 12 au 14 août il s’est déroulé à Moscou une Conférence d’Etat, qui n’avait aucune fonction législative. Appelée à l’initiative de Kerensky, son objectif était de mobiliser les soutiens pour l’action de son gouvernement. La Conférence rassemblait la fine fleur de la haute société russe : les industriels, les banquiers, la caste militaire, le personnel politique bourgeois ; et, dans un rôle subordonné, les représentants des Comités exécutifs des congrès panrusses des ouvriers et soldats et des paysans, ainsi que les syndicats. Les bolcheviks avaient décidé de boycotter l’évènement. Mais ceux de Moscou ont appelé à la grève pour bien accueillir les 2.500 participants. L’appel était tellement réussi que même les serveurs à la Conférence ont cessé le travail : les dignitaires ont dû se servir eux-mêmes.

Kornilov était reçu comme un héros, celui qui allait établir une dictature et sauver la Russie de la pagaille révolutionnaire. Il était clair que la grande majorité de cette assemblée était prête à soutenir un coup d’état mené par lui. Il était donc sûr d’avoir le soutien des militaires, des milieux d’affaires et des partis de droite. De ce point de vue-là, le rapport de forces lui était très favorable et Kerensky commençait à craindre pour sa propre position. Il est probable que dans la tête de Kornilov, dans sa vision du monde, le soutien des ailes militaire et civile des classes dirigeantes suffisait pour garantir le succès de son entreprise. Il semble ne s’être jamais posé la question de l’attitude et des réactions possibles des ouvriers, des soldats et des marins. Cette erreur se révèlera fatale.

Le 27 août Kornilov a ordonné à ses troupes d’avancer sur Petrograd. Auparavant il y avait eu des rapports plus qu’ambigus entre lui et Kerensky. Kornilov a pu penser à un moment,  que Kerensky lui laissera faire son coup. Ce dernier n‘avait aucun problème avec un gouvernement autoritaire, simplement il préférait qu’il soit à ses ordres et pas à ceux de Kornilov. Il s’est donc retourné au dernier moment. Il a ainsi perdu sur tous les tableaux. Les ouvriers lui reprochaient sa collaboration avec Kornilov, la bourgeoisie sa rupture de dernière minute avec le général.

Le Soviet mobilise contre Kornilov

En recevant les premières informations sur le progrès de Kornilov, le Soviet et les partis qui le composaient commençaient à discuter de leur riposte. Après quelques hésitations, les partis majoritaires continuaient à soutenir Kerensky. Les bolcheviks, tout en déclarant que « le gouvernement provisoire a créé les conditions pour la contre-révolution », laissaient faire. En partie, parce que l’essentiel était de réaliser la plus grande unité des forces démocratiques pour battre Kornilov. Dans ce but le Soviet a créé un Comité de lutte contre la contre-révolution. Mais aussi parce que les bolcheviks étaient eux-mêmes divisés, comme depuis le début de la révolution. A chaque étape jusqu’à et, comme on verra, au-delà de la prise du pouvoir en octobre, une aile droite dont le représentant le plus actif était Kamenev cherchait à chaque tournant des compromis avec les défensistes (2).

A ce moment, l’essentiel était pourtant ailleurs. La contre-révolution ne sera pas battue par des résolutions du Soviet, ni par Kerensky, mais par la mobilisation des ouvriers et soldats. Et dans cette mobilisation les bolcheviks ont joué un rôle de premier plan. La résistance se déroulait sur plusieurs plans. Militaire, avec le dispositif défensif mis en place autour de Petrograd par les gardes rouges des usines et les soldats de la garnison. Syndicale, avec notamment le rôle central des cheminots, qui empêchaient les trains transportant les troupes de Kornilov d’avancer, y compris en arrachant les rails. Et last but not least, par une agitation politique visant à démobiliser les troupes de Kornilov.

Alors que les soldats étaient bloqués dans leurs trains qui ne bougeaient pas, les agitateurs bolcheviques descendaient pour s’adresser à eux. La démarche était fructueuse. En premier lieu les troupes n‘étaient pas enthousiastes pour la relance des offensives militaires, ce qui aurait été un résultat d’une victoire de Kornilov. Ensuite Kornilov ne leur avait pas expliqué que son but était de dissoudre le Soviet, de renverser le gouvernement Kerensky et d’instaurer une dictature militaire. Une composante clef des forces de Kornilov était constituée par l’élite Division sauvage, composée de combattants musulmans, tchétchènes et autres, venant du Caucase du Nord. Ces troupes ont été entourées d’ouvriers venus de Petrograd, mais aussi par une centaine de marins de la flotte de la Baltique, qui avaient précédemment été attachés à la division comme mitrailleurs. Parallèlement, la division a reçu la visite d’une délégation de l’Union des soviets musulmans. Parmi les délégués, le petit-fils du légendaire Shamil, qui avait dirigé la résistance tchétchène contre les Russes au 19e siècle, avec le soutien enthousiaste d’un certain Karl Marx. La Division sauvage a fini par hisser un drapeau rouge sur lequel était inscrit « Terre et liberté ». Quand le représentant de l’état-major a protesté, il était mis aux arrêts.

Du fait de l’efficacité de cette agitation politique, qui avait permis de désarticuler les forces de Kornilov,  il n’y avait en fait quasiment pas de combats. Le coup contre-révolutionnaire s’est effondré.

Les bolcheviks deviennent majoritaires dans les soviets

La défaite de Kornilov et le rôle joué par les bolcheviks renforçaient davantage la position de ces derniers. Au cours du mois de septembre, ils ont gagné la majorité dans les soviets de Petrograd et Moscou et dans de nombreuses autres villes. Les mencheviks et les SR ont dû constater le départ d’un nombre considérable de leurs militants, qui ont rejoint les bolcheviks. Parallèlement une opposition se développait dans le Parti socialiste-révolutionnaire, et son aile gauche, qui deviendra bientôt un parti séparé, convergeait avec les bolcheviks sur de nombreux points. Pourtant sur la route vers l’insurrection du 25 octobre il y avait encore des obstacles à surmonter. Les plus importants venaient de l’intérieur du Parti bolchevique lui-même. Mais avant d’en arriver là, regardons la situation et les préoccupations de la classe ouvrière de Petrograd.

Dans un processus révolutionnaire qui se déroule sur huit mois, il y a des phases qui se suivent et ne se ressemblent pas. La révolution de février était le produit de manifestations et grèves ouvrières spontanées et du passage des soldats du côté du peuple. Elle n’était dirigée par aucun parti, même si les militants des partis y ont joué un rôle très actif. Pendant une période de deux mois, la masse des ouvriers et soldats acceptait la situation de double pouvoir entre le Soviet et le Gouvernement provisoire. Tout le monde baignait dans la joie d’avoir renversé le tsarisme.

En juin-juillet le climat était tout autre. Une grande partie des ouvriers et des soldats de Petrograd n’avait déjà plus aucune confiance dans le Gouvernement provisoire et faisait leur le mot d’ordre des bolcheviks « Tout le pouvoir aux soviets ». Cette poussée, qui avait commencé parmi les soldats, débordait tous les partis, y compris et surtout les bolcheviks. La direction du parti essayait de freiner le mouvement, mais beaucoup de ses militants de base et ses structures intermédiaires y participaient.

La Révolution d’octobre

La révolution d’octobre était tout à fait autre chose. On peut dire les choses ainsi : en février, les bolcheviks ont dû courir pour attraper les masses. En juillet, ils ont dû les freiner pour éviter une grave défaite. Dans les deux cas, le parti n’était pas à l’initiative. En octobre il l’était.

Cela ne veut pas dire que l’insurrection d’octobre était l’œuvre des seuls bolcheviks. Parmi les milliers de participants à l’insurrection il y avait les gardes rouges des usines, des marins de la flotte de la Baltique, surtout ceux de Kronstadt, des soldats de la garnison de Petrograd, parmi eux les SR de gauche et une partie des anarchistes. Mais l’insurrection fut dirigée par le Parti bolchevique. En dernier ressort par son Comité central, au niveau opérationnel par le Comité militaire révolutionnaire du Soviet de Petrograd. Le président du CMR était un SR de gauche, mais la plupart de ses membres étaient bolcheviks et son vrai chef était Trotsky.

A la différence de celle de février, la révolution d’octobre n’était pas l’aboutissement d’un déferlement irrésistible des masses. Elle était la réponse nécessaire à une situation catastrophique. Le titre de la brochure écrite par Lénine en Septembre 1917 est éloquent : « La Catastrophe imminente et les moyens de la conjurer ». Le premier sous-titre de cette brochure était «La Famine menace». Il n’y avait là aucune exagération. A Petrograd, en automne 1917, la famine menaçait vraiment. Et pas seulement la famine, mais un chômage de masse. Le transport ferroviaire était complètement désorganisé et les usines avaient du mal à tourner.

Les patrons en rajoutaient en sabotant la production afin de pouvoir fermer les usines, licencier en masse, déménager leur production dans l’Oural, se débarrasser de la classe ouvrière révolutionnaire de Petrograd. Les ouvriers, avec leurs comités d’usine, se battaient tous les jours pour garder leurs emplois, empêcher la fermeture des usines, nourrir leurs familles. La classe ouvrière de Petrograd était pour le pouvoir des soviets, elle soutenait les bolcheviks. Mais elle était sur la défensive. Dans cette situation, les bolcheviks furent ni débordés ni poussés en avant par la masse. C’était à eux de prendre l’initiative. Et c’est cette question qui dominait les débats dans le parti et surtout dans sa direction. Fallait-il, oui ou non, que le parti prenne l’initiative pour renverser le Gouvernement provisoire et instaurer le pouvoir des soviets ?

Deux courants dans le Parti bolchevique

Revenons un peu en arrière. Suite aux Journées de juillet les bolcheviks ont tenu leur congrès. Lénine, passé dans la clandestinité, était physiquement absent mais politiquement présent. D’autres dirigeants comme Trotsky et Kamenev étaient en prison. Le congrès témoignait, d’une manière plutôt voilée, de l’existence de deux courants dans le parti. Lénine considérait que le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux soviets » était dépassé, relevant d’une période où un passage pacifique au pouvoir des soviets était possible, alors que maintenant il faudrait prendre le pouvoir par la force. Suite au congrès, le mot d’ordre «Tout le pouvoir aux soviets » disparaissait de la presse bolchevique pendant tout le mois d’aout, pour revenir après le coup de Kornilov. Il est clair que Lénine se trompait : sans soutenir forcément les dirigeants actuels des soviets, la classe ouvrière gardait confiance dans ces structures d’auto-organisation. D’ailleurs, une grande partie des cadres du parti le comprenait. Mais le vrai débat était centré sur la nécessité de prendre le pouvoir.

Suite à l’épisode Kornilov et la résistance commune avec les mencheviks et les SR,  Lénine a brièvement envisagé un retour à la perspective d’un transfert pacifique du pouvoir aux soviets, déboussolant certains de ses camarades les plus proches. Mais le ralliement de ces partis à un nouveau gouvernement Kerensky, un « directoire » responsable devant personne, donc une dictature en herbe, a mis fin à cette idée.

Dès lors, Lénine a mené un combat inlassable dans le parti en faveur d’une insurrection. Devant le refus du CC de publier ses articles, il est revenu à Petrograd sans son autorisation. A partir du début octobre, il a commencé à s’adresser aux instances intermédiaires du parti, tels le Comité de Pétersbourg, le Bureau régional de Moscou et les directions des organisations bolcheviques parmi les marins et les soldats. Il a fini par avoir gain de cause, à travers deux réunions du CC, les 10  et 16 octobre.

Pourquoi a-t-il pu gagner ? Pas simplement parce qu’il jouissait d’une grande autorité dans le parti, bien que cela soit vrai, ni parce qu’il était têtu. Il était profondément convaincu de deux choses. D’abord que la situation matérielle des ouvriers, qui se dégradait, rendait urgente une prise de pouvoir. Ensuite, que si la situation actuelle continuait, il y aurait des mouvements de résistance spontanés et éclatés, permettant à un gouvernement même aussi faible que celui de Kerensky de les réprimer les unes après les autres et imposer une vraie dictature contre-révolutionnaire. Le point de vue de Lénine trouvait un écho plus important dans les instances intermédiaires du parti et à sa base que dans son comité central. C’est pourquoi à chaque fois qu’il rencontrait une forte opposition au sommet il était prêt à s’appuyer sur les cadres et militants de son parti et l’opinion des ouvriers, soldats et marins les plus combatifs.

Lénine insistait, presque seul, qu’il fallait prendre le pouvoir avant l’ouverture du deuxième congrès des soviets, qui était fixé pour le 25 octobre. Il avait raison: on n’organise pas une insurrection après un débat dans une assemblée de plusieurs centaines de personnes, dont une partie soutenait le gouvernement. En continuant à insister sur le rôle du parti, Lénine n’avait pas tort. Mais il n’a pas compris que l’insurrection n’aurait suffisamment de légitimité si elle était faite au nom d’un parti, même le Parti bolchevique.  Ceux qui étaient sur place et qui partageaient la position de Lénine sur le fond, notamment Trotsky, insistaient qu’il fallait prendre le pouvoir au nom du Soviet de Petrograd. Dans cette perspective, le 9 octobre le Comité militaire révolutionnaire du Soviet – a été établi un jour avant le premier vote du CC bolchevique en faveur de l’insurrection…

L’insurrection et le nouveau pouvoir

Le principe de l’insurrection avait été décidé, mais pas la date. A partir du 21 octobre, le CMR commençait à systématiquement affirmer son autorité sur les unités de la  garnison et à mettre la main sur l’essentiel des stocks d’armes et munitions de la ville. Kerensky a compris le danger et s’est résolu à prendre des contre-mesures. Sa première mesure, au matin du 24 octobre, était d’envoyer des troupes à l’imprimerie de la presse bolchevique, qui a été fermée. Peu de temps, après elle a été  rouverte par des soldats du régiment Litovsky agissant aux ordres du CMR. C’était en effet le premier pas de l’insurrection. Avec pas mal d’hésitations et de faux pas, elle s’affirmait dans la journée du 24 et la nuit suivante, en s’emparant des gares, centres de télécommunications, casernes et forteresses, du réseau d’électricité. Les ponts sur le fleuve Neva et les principales artères furent mis sous contrôle du CMR. Quand le congrès des Soviets s’est réuni le 25, le seul verrou qu’il restait à faire sauter était le Palais d’Hiver, où s’était retranché le Gouvernement provisoire. Ce sera fait le soir même et les ministres furent arrêtés – sauf leur chef, Kerensky, qui avait réussi à s’échapper.

Pendant que Trotsky faisait un rapport sur le progrès de l’insurrection, Lénine est entré dans la salle, faisant sa première apparition publique depuis presque quatre mois. Devant un tonnerre d’applaudissements il a fait une brève allocution qui se terminait ; « En Russie nous devons maintenant nous consacrer à la construction d’un Etat socialiste prolétarien.  Vive la révolution socialiste mondiale ». Plus tard, il présentera des projets de décrets sur les questions clefs de la paix, la terre, la légalisation du contrôle ouvrier dans les usines, qui furent adoptés par le congrès et constitueront le programme du nouveau pouvoir.

L’insurrection avait été effectuée par les secteurs les plus décidés parmi les ouvriers, soldats et marins. Mais elle a été accueillie avec enthousiasme dans les usines. D’abord, pour le fait que le pouvoir des soviets avait été établi, ensuite pour ses premiers décrets. Sans ce soutien, qui était massif, soit l’insurrection n’aurait pas eu lieu, soit le nouveau pouvoir ne serait pas resté longtemps en place.

Sur 670 délégués au congrès, 300 étaient bolcheviks. Avec l’apport des SR de gauche, qui avaient participé à l’insurrection, ils étaient majoritaires. Et encore plus majoritaire après le départ des mencheviks et des SR, qui ont quitté la salle, en apparence pour protester contre « le coup d’Etat bolchevique », en réalité parce qu’ils étaient farouchement opposés au pouvoir des soviets.

La gauche menchevique, les mencheviks internationalistes, dirigés par Martov, sont restés un peu plus longtemps, condamnant eux aussi le « coup d’état » et exigeant un gouvernement de toute la démocratie, avant de quitter la salle.  Ce gouvernement de « toute la démocratie », devait aller des socialistes les plus à droite aux bolcheviks, de ceux qui soutenaient le Gouvernement provisoire et ceux qui venaient de le renverser, de ceux qui étaient pour la guerre et ceux qui se battaient contre. Un tel attelage semble a priori absurde. Il l’était, pour ceux qui soutenaient le pouvoir des soviets dans une perspective de révolution socialiste. Pour ceux qui pensaient, comme les mencheviks, même de gauche, et de fait la minorité droitière du Parti bolchevik, qu’il fallait une période prolongée de développement capitaliste et de démocratie avant de pouvoir parler de socialisme, il ne l’était pas.  Et la confrontation entre ces deux  allait dominer la première semaine du nouveau régime. Pour l’instant, le premier gouvernement des soviets (le Conseil des commissaires du peuple) était entièrement bolchevique, les SR de gauche préférant attendre pour voir si un gouvernement plus large était possible.

Le Comité militaire révolutionnaire du Soviet de Petrograd, sous la direction bolchevique, avait mené l’insurrection pour transférer le pouvoir au deuxième congrès des soviets. Il n’y avait en principe aucun problème avec la participation au gouvernement de partis qui reconnaissaient le pouvoir des soviets. Et c’était bien là la ligne de division. Pour la droite de la démocratie révolutionnaire, les mencheviks et les SR, la réponse coulait de source : ils n’allaient pas rompre leur alliance avec la bourgeoisie et leur soutien à Kerensky, ils n’allaient pas reconnaître le pouvoir des soviets. Pour Martov et son courant il y avait un choix à faire. Ils auraient pu pour le moins choisir de rester au congrès comme « opposition loyale ». Plus tard, ils ont fait ce choix. Mais au moment où l’avenir du pouvoir de soviets était en jeu, ils ont quitté le congrès.

Un gouvernement de « toute la démocratie » ?

Pour comprendre comment la question d’un « gouvernement de toute la démocratie »  a pu prendre tellement d’importance, il faut regarder la situation au lendemain de l’insurrection. A Petrograd, l’insurrection avait triomphé et  le Gouvernement provisoire avait été renversé  Mais  ce qui se passait dans le reste du pays était loin d’être clair. Et ensuite, le danger d’une contre-attaque par les forces loyales à Kerensky subsistait à Petrograd même.

Parmi les bolcheviks donc, même et peut-être surtout au Comité central, la peur de l’isolement et d’une victoire de la contre révolution était réelle. Dans cette situation, deux choses se passaient en parallèle. D’un côté, des pourparlers pour la formation d’un gouvernement large, de l’autre le combat contre les forces de Kerensky.

Les pourparlers ont eu lieu sous l’égide du Vikzhel, le syndicat des cheminots, lié aux mencheviks, bien que beaucoup de cheminots de base soutinssent les bolcheviks.  Parmi les défensistes, on considérait que le gouvernement bolchevique était dans une situation de grande faiblesse et risquait d’être renversé par les forces de Kerensky. Ils ont donc adopté une attitude extrêmement dure, agressive et arrogante. D’abord, il n’était pas question que le gouvernement soit responsable devant le congrès des soviets. Ensuite, il y avait une surreprésentation des mencheviks et SR, directement et par l’intermédiaire d’une représentation  du Comité exécutif qui avait été élu par le premier congrès des soviets en juin, de conseils municipaux, coopératives etc. Enfin, la participation des bolcheviks au gouvernement devait être par principe minoritaire et dans aucun cas Lénine ou Trotsky ne devraient en faire  partie. C’est dans ce cadre que le comité central bolchevique a accepté de négocier. Pourquoi ? Pour la plupart d’entre eux, pour gagner du temps, le temps de voir ce qui se passait sur le terrain, ou pour faire la démonstration qu’un tel gouvernement était impossible. Pour Kamenev et ses partisans, parce qu’ils avaient toujours été opposés à l’insurrection, à l’idée d’une révolution socialiste, et qu’ils étaient vraiment prêts à accepter le type de gouvernement qui était proposé.

Le vent tourne

Cet épisode fut pourtant de courte durée. D’abord Lénine et Trotsky, qui n’ont pas participé à cette mascarade de négociations, se sont occupés de la défense de Petrograd. D’abord une révolte des cadets militaires à Petrograd même a dû être maîtrisée. Ensuite des milliers de gardes rouges et de soldats ont réussi à disperser, dans les environs de la ville, une force de cosaques mobilisés par Kerensky, qui d’ailleurs ne voulaient pas vraiment se battre pour lui et abandonnaient vite. Enfin, après une semaine de combats, l’insurrection a triomphé à Moscou et on recevait des nouvelles de la prise de pouvoir par les soviets un peu partout. Cela mettait les négociations dans un autre rapport de forces : en réalité cela les rendait caduques.

Ensuite, quand le contenu des négociations était connu par les ouvriers et soldats, le soutien pour un gouvernement large s’est évaporé. Le gouvernement large qu’avaient voulu beaucoup d’entre eux devrait être un gouvernement responsable devant le congrès des soviets, pas autre chose. Ce n’est pas par hasard que le seul parti qui a ensuite accepté de participer au gouvernement avec les bolcheviks était le Parti SR de gauche, lequel avait aussi participé à l’insurrection et reconnaissait l’autorité du congrès des soviets.

Une semaine après l’insurrection, Lénine avait repris le dessus. L’évolution des rapports de forces sur le terrain avait coupé l’herbe sous les pieds des partisans d’un gouvernement large, y compris la droite bolchevique. Sommés à cesser leurs actions fractionnelles ou sortir du parti, ils ont choisi de se soumettre, en démissionnant du gouvernement et du CC. Aucune action disciplinaire n’a été prise contre eux et ils ont assez rapidement repris des positions de responsabilité.

Révolution socialiste

La question que Lénine avait commencé à poser dès son retour à Petrograd en avril, celle d’une révolution qui sera socialiste et pas simplement bourgeoise-démocratique, avait trouvé sa réponse dans les faits. Qu’est-ce que cela veut dire ? Simplement que pour répondre aux problèmes concrets de la classe ouvrière, du peuple, de la société russe, il fallait aller au-delà du capitalisme. Lénine l’avait bien expliqué dans « La Catastrophe imminente ». L’étape bourgeoise de la révolution, si on peut même parler ainsi, n’avait été rien d’autre qu’une démonstration étalée sur huit mois de l’incapacité totale de la bourgeoisie russe. Non seulement à remplir les tâches qu’on attribue à une révolution bourgeoise (démocratie, résolution de la question agraire…),mais même à faire tourner l’économie et nourrir la population. Parce que cette bourgeoisie ne pouvait pas rompre avec la classe de propriétaires fonciers et donner la terre aux paysans et il ne pouvait pas sortir de la guerre et commencer à reconstruire le pays à cause de sa subordination aux impérialismes français et britannique.

Il ne s’agissait pas pour les bolcheviks d’avoir l’illusion de pouvoir construire une société socialiste dans la seule Russie. Lénine parlait de « pas vers le socialisme », en comptant sur la victoire de révolutions socialistes dans les pays plus avancés d’Europe, avant tout l’Allemagne, pour venir à l’aide de la Russie. C’est la défaite de toutes les tentatives de révolution en Europe et l’isolement de la Russie soviétique qui a préparé le terrain pour la dégénérescence de la révolution russe et le stalinisme.

Y avait-il une alternative démocratique à la prise du pouvoir par les soviets? Rien ne permet de l’affirmer. La tendance du Gouvernement provisoire au fil des mois entre février et octobre était vers la dictature, pas la démocratie. Et la bourgeoisie russe était convaincue que seule une dictature pouvait consolider son pouvoir. Le choix dans la Russie de 1917 était soit Kornilov-Kerensky, soit Lénine et les bolcheviks. Tertium non datur. Il n’y avait pas de troisième choix.

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(1) « La démocratie révolutionnaire » ou simplement « la démocratie » désignait la gauche socialiste dans son ensemble.

(2) Le terme « défensistes » décrivait ceux qui soutenaient la guerre impérialiste, contre les « internationalistes » qui y étaient opposés.