Ukraine: vérités et contre-vérités

La propagande et les manipulations médiatiques sont les armes "pacifiques" de tout conflit. Et elles sont mises en oeuvre dans le conflit ukrainien.

Ukraine: vérités et contre-vérités

 

 

Dans chaque guerre, un des fronts est celui de l’information et de la désinformation. Dans la crise que vit l’Ukraine actuellement, il y a un discours de l’Etat russe, exprimé par le ministère des affaires étrangères, relayé par le monde politique, diffusé par des médias qui sont de plus en plus aux ordres de l’Etat, ainsi que par les milices prorusses de l’Est de l’Ukraine. Son but est de délégitimer le gouvernement et l’Etat ukrainiens et de légitimer l’ingérence russe dans les affaires du pays. Ce discours a un impact sur des secteurs importants des populations de l’Est, méfiants à l’égard de Kiev et influencés par les médias russes. Il rencontre parfois même un certain écho dans les médias occidentaux et, ce qui est beaucoup plus grave, dans une partie de la gauche en Europe. Il semble important de contester la version russe des événements en Ukraine.

Résumons cette vision des événements. Victor Ianoukovitch était/est le président légitime d’Ukraine. Le mouvement de masse qui l’a renversé est réduit à des groupes manipulés et financés (le chiffre de 5 milliards de dollars est avancé) par l’Occident. Qui plus est, ces groupes étaient et sont toujours fascistes, néo-nazis, antisémites. Le renversement de Ianoukovitch relevait d’un coup d’Etat. Le gouvernement ukrainien actuel, caractérisé comme une junte fasciste/nazi est non-élu, illégitime et le produit de ce coup d’Etat.

Les forces armées ukrainiennes mènent dans l’Est du pays une guerre contre leur propre peuple. La Russie est, comme il y a 70 ans, un barrage contre le fascisme. Le but de la Russie est de combattre le fascisme et de favoriser une solution par la négociation, en protégeant les populations russophones supposées être discriminées. Ce discours est globalement faux. Il ne sert qu’à déstabiliser et affaiblir le gouvernement ukrainien pour maximiser l’influence russe sur le pays. Le discours, arme de l’Etat, est bien sûr modulable, il peut être durci ou adouci suivant les circonstances. Il convient de le décortiquer pour le combattre.

La Russie, rempart contre le fascisme?

Moscou propose une dialogue d’égal à égal entre le gouvernement et les insurgés de l’Est, avec comme préalable l’arrêt des opérations de l’armée ukrainienne. De son côté, le gouvernement ukrainien sera prêt à arrêter les opérations à condition que les rebelles se désarment et quittent les lieux qu’ils occupent. La différence entre les deux démarches est de taille. Car toute négociation est menée sur fond de rapports de forces, et ils ne seront pas les mêmes dans les deux cas.

Moscou veut une Ukraine fédérale. Mais les mots comme fédéral, fédéralisme, fédéralisation peuvent signifier des choses différentes. Les partisans d’une centralisation accrue de l’Union européenne se font appeler fédéralistes. Et puis des pays dits fédéraux recouvrent des réalités tout à fait différentes – Etats-Unis, Allemagne, Russie, Yougoslavie, URSS… Dans le cas ukrainien, ce que veut le gouvernement russe est une forme de fédéralisation/confédéralisation très poussée, avec le droit pour les régions de mener leur propre politique économique et de conclure des accords  internationaux. Il veut en effet démembrer le pays pour pouvoir se tailler une sphère d’influence à l’Est et en même temps affaiblir le pouvoir central.

Nous allons considérer:

– la version russe des événements ;

– la réalité des insurgés à l’Est ;

– la prétention de la Russie d’être un bastion contre le fascisme ;

– les liens de Moscou avec l’extrême droite en Europe.

Commençons par la moindre des choses. Le gouvernement actuel de Kiev est décrit comme étant « non-élu » et illégitime. Mais qui élit un gouvernement ? Pas les citoyens directement, mais le Parlement, lequel est élu par les citoyens. Après la fuite de Ianoukovitch, le parlement ukrainien a nommé un président par intérim et un gouvernement. Ce Parlement avait été élu en 2012 : il est donc aussi « légitime » que le président déchu, qui avait été élu en 2010. En attendant de nouvelles élections, ce Parlement est la seule instance légitime, car issue du suffrage universel, au niveau national.

Le parlement élu en 2012 avait 450 membres, dont 33 étaient absents le jour de la nomination du gouvernement, le 27 février ; un certain nombre d’entre eux étaient sans doute en fuite avec Ianoukovitch. La nomination de Yatseniouk comme premier ministre a obtenu 371 voix, la composition du gouvernement 331. Ni putsch ni coup d’Etat, donc, et le vote n’a pas eu lieu sous la menace d’hommes armés, contrairement à ce qui s’est passé le lendemain en Crimée. En revanche, la composition du gouvernement avait été soumise la veille à l’approbation de l’assemblée sur le Maidan. La même assemblée qui avait rejeté au soir du 21 février le misérable « compromis » négocié et imposé par les ministres des affaires étrangères occidentaux, et qui aurait laissé Ianoukovitch au pouvoir jusqu’en décembre; c’est ce rejet qui a précipité la fuite de celui-ci dans la nuit qui suivait.

Ni putsch, ni coup d’Etat

Constater ces faits n’implique évidemment aucune approbation du gouvernement actuel, ni de sa politique. Comme l’écrit un militant de la gauche ukrainienne, Zakhar Popovych, dans cet article, « Nous n’avons jamais soutenu ce gouvernement. Nous pouvons le supporter temporairement mais pas le soutenir ». Il s’agit simplement de ne pas tomber dans le panier de ceux qui veulent à tout prix délégitimer le gouvernement, sans d’ailleurs proposer une alternative, dans le seul but de déstabiliser le pays. Cela n’implique pas non plus de banaliser la présence de ministres d’extrême droite, simplement de la mettre en perspective.

Ensuite, il y aurait à Kiev un « gouvernement/junte fasciste » (ou parfois nazi). Passons sur le terme « junte » qui est simplement utilisé pour faire plus sinistre et pour mieux coller au concept de « coup d’Etat ». Le parti qui domine très largement ce gouvernement est Batkivshchina, le parti de Ioulia Timochenko. Un parti qu’on peut caractériser comme étant de droite, nationaliste, libéral, mais ni fasciste ni nazi. Reste le parti Svoboda. Qu’on peut certainement caractériser comme parti fasciste, en attendant une analyse plus fine. Quel est le rôle de Svoboda dans le gouvernement? Il a l’un des trois vice-premiers ministres et dirige deux ministères, ceux de l’Ecologie et de l’Agriculture. En plus, le Procureur général par intérim est un membre de Svoboda.

Le poids de l’extrême droite est moins lourd qu’en Autriche en 2000, où le FPÖ avait la Justice, les Finances et la Défense. La présence de Svoboda au gouvernement est une réalité qu’il faut constater, mais sans l’exagérer. L’influence de l’extrême droite est nuisible et doit être combattue, mais c’est au peuple ukrainien de la faire. Sans recevoir de leçons d’une gauche occidentale dont la vision de la réalité ukrainienne est parfois superficielle et caricaturale. Et surtout pas avec « l’aide » de la Russie.

Une extrême-droite russophile

La réalité est que ce gouvernement est néolibéral, largement composé de vieux routiers de la classe politique, fortement lié aux oligarques. Et qu’il est prêt à appliquer tout ce qu’on (le FMI, l’Union européenne) lui demande en matière de mesures d’austérité et de réformes structurelles. C’est à partir de cette réalité qu’il doit être combattu, pas en se lançant contre les moulins d’une soi-disant junte fasciste. Or, il ne manque pas de méfiance à l’égard de ce gouvernement parmi ceux qui ont fait le mouvement qu’on appelle maintenant Maïdan.  Quand un journaliste du Financial Times demandait récemment pourquoi les Maïdan étaient encore là, il a reçu  la réponse : « Pour s’assurer que le nouveau gouvernement ne vole pas l’argent qui vient du FMI ».  Ce que le journaliste trouvait « assez raisonnable ». C’est un sentiment qui pourrait être partagé par ceux de l’Est qui ont été majoritairement – mais pas unanimement – extérieurs à ce mouvement.

Car eux aussi sont contre la corruption et le régime des oligarques. Seulement, pour les partisans d’une Ukraine unie, il est difficile de se mobiliser contre le seul gouvernement qui existe quand le pays est confronté au danger d’une intervention russe et à la réalité des agissements des milices paramilitaires à l’Est. Et pour les populations de l’Est, il est aussi difficile de se mobiliser, prise entre les milices et la campagne « anti-terroriste » du gouvernement. C’est une des raisons pour lesquelles il faut démilitariser le conflit, laisser le champ libre à l’action politique, syndicale, associative. Une deuxième raison est qu’un tel conflit civil, au-delà des victimes immédiates, laisse toujours des traces longtemps après.

Place à la politique et aux travailleurs!

On entend aussi que le pays en général, et Kiev en particulier, serait sous le règne d’une terreur fasciste, nazi, antisémite. Pourtant, les premiers à réfuter cette caricature sont les organisations juives. Elles sont si nombreuses qu’il devient fastidieux de les énumérer, la dernière déclaration datant du 16 mai. La réaction de l’oligarque juif et gouverneur de Dnipropetrovsk, Ihor Kolomoïsky, fut assez succincte : «It’s bullshit». Et puis, il y a plein de témoignages de ceux et celles qui ont été à Kiev. Dont, notamment, Nadia Tolokonnikova des Pussy Riot.

Evidemment qu’il y a de l’antisémitisme en Ukraine. Il y en a partout en Europe. Evidemment qu’il y a des actes antisémites en Ukraine. Mais pas plus que les actes racistes et antisémites en Russie, et avec beaucoup moins de morts [1].

Un rôle de choix dans cette supposé vague d’antisémitisme est attribué au Pravy Sektor (Secteur de droite) qui est par ailleurs rendu responsable par les médias russes de tout méfait en Ukraine, à tel point que s’il n’existait pas il faudrait bien l’inventer. Comme l’a demandé l’écrivain russe Dimitri Glukovsky, « Qui a transformé le “Secteur de droite” d’une bande de désaxés de la rue, qui n’avait même pas un vrai nom auparavant, en force centrale du nationalisme ukrainien ? ». C’est surtout le gouvernement et les médias russes. Comme le dit Zakhar Popovych, « Le Pravy Sektor est un parti très petit qui existe principalement sur des chaînes de télé russes ». Pour chiffrer, pour le mois d’avril, le Secteur de droite a été cité dans les médias russes 18.895 fois, presque autant que la Russie unie, le parti de Poutine (19.050 fois), et presque quatre fois plus que Batkivshchina, le parti qui dirige le gouvernement à Kiev. Svoboda n’arrive même pas dans les sept premiers, donc avec moins de 2.700 mentions. Etrange pour la composante vraiment fasciste d’un gouvernement qui est censé l’être.

Pravy Sektor, une fabrication?

Au-delà de sa taille, quel est le caractère du Secteur de droite ? Presque inconnu jusque-là, il est monté en première ligne à partir de la mi-janvier quand le régime a fait le choix de la répression et que la question de l’auto-défense du Maïdan est devenue centrale. Il semble pourtant qu’il y a de nombreuses zones d’ombre concernant ses liens avec le régime Ianoukovitch, y compris dans les derniers jours avant sa chute. Il n’est pas impossible que le régime ait essayé de les utiliser comme provocateurs mais qu’ils s’en soient affranchis. Aujourd’hui, ils sont censés être partout, sans qu’on puisse toujours faire la différence entre leurs agissements réels et leur utilité comme épouvantail. Le Secteur de droite est habituellement décrit comme étant néo-nazi.

A l’origine, il s’agissait d’une fédération dont la colonne vertébrale était l’organisation VO Tryzub dont le dirigeant est Dimitri Yarosh. Parmi ceux qui s’y sont agrégés, il y avait en effet quelques groupuscules néo-nazis. Maintenant que le Secteur de droite est devenu un parti, la situation n’est pas claire. Mais il semble bien que Yarosh et Tryzub sont avant tout des nationalistes de la tendance la plus dure, tout à fait prêts à utiliser la violence dans la poursuite de leur révolution nationale. Mais pas forcément néo-nazi ou antisémite.

On a entend Lavrov, ministre des affaires étrangères russe, expliquer qu’il n’est pas normal de tenir les élections avec les combats qui se déroulent dans l’Est. Certes, on peut douter de l’efficacité du déploiement de l’armée contre les milices pro-russes, déploiement qui peut aliéner davantage les populations dans les zones de combats. Il s’agit quand même d’une réponse à des actions armées qui ont été soutenues et encouragées par le gouvernement auquel Lavrov appartient. En appelant l’Ukraine à retirer ses forces armées de l’Est, le Russie insiste beaucoup sur la notion de « guerre contre son propre peuple ». On aurait donc l’impression que les forces ukrainiennes tirent contre des civils.

« Guerre contre son propre peuple  »

Il y a en effet eu quelques morts de civils. Mais on ne peut pas qualifier de civils des hommes en treillis militaire armés de Kalachnikov, de lance-roquettes et d’armes lourdes. Un des problèmes pour les forces ukrainiennes est précisément qu’elles essaient d’éviter au maximum des victimes civiles. Si elles n’avaient pas cette contrainte, elles auraient déjà pris Sloviansk, mais en faisant beaucoup de pertes parmi la population. De la même façon que les Russes quand ils ont pris Grozny.

Qu’est-ce qui se passe à l’Est ? D’après le gouvernement, il s’agit d’actions de terroristes et de séparatistes. Le gouvernement russe les caractérise comme fédéralistes et les prises de bâtiments comme étant le fait de simples citoyens qui refusent l’autorité d’un gouvernement de Kiev qu’ils jugent illégitime.

Parmi les insurgés, il y a le noyau dur qu’il n’est pas faux de caractériser comme terroriste, des nationalistes russes – qu’ils soient de nationalité russe ou ukrainienne – qui sont partisans du rattachement de ces régions à la Russie. Ce sont eux qui mènent la danse. Là dedans il y a des gens qui sont venus de Russie. On peut spéculer sur leur statut exact ; il y a certainement des agents des services russes, mais aussi des ex-militaires franc-tireurs et des mercenaires. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a une aide de la Russie. Financier sans doute, mais aussi militaire. On ne trouve pas des armes lourdes dans les caves des commissariats occupés. Et ceux qui descendent des hélicoptères avec des missiles sont des professionnels. Il ne faut d’ailleurs pas un grand nombre d’agents russes : un certain nombre pour encadrer, des saboteurs, des provocateurs.

Lourdement armés

Au-delà du noyau dur, la plupart des miliciens sont des hommes de la région, souvent avec une certaine expérience militaire.  Et puis il y a la partie de la population qui les soutient, ou qui a pour le moins de la sympathie pour eux. Les assimiler aux terroristes et décrire l’intervention de l’armée comme « Opération anti-terroriste » est pour le moins une maladresse.

La façon d’agir des milices paramilitaires semble très bien planifiée. Ils commencent, au moins dans les villes importantes, par ce qu’il faut bien appeler des actions de commando, des prises de mairies, de sièges régionaux, de commissariats, menées d’une manière très professionnelle. Une fois installés, ils s’autoproclament maires et gouverneurs « populaires ». Ensuite, là où il y a des émetteurs de télévision, ils cherchent à les prendre. S’ils réussissent, ils coupent tout de suite les chaînes ukrainiennes et branchent celles de la Russie, comme ce fut déjà le cas en Crimée. Ensuite, ils mènent une campagne d’intimidation, d’enlèvements, de tortures et d’assassinats dont les cibles sont les partisans d’une Ukraine unifiée, mais aussi des journalistes, de là-bas ou d’ailleurs, qui n’acceptent pas de censurer leurs reportages.

Un de leurs derniers faits d’armes était d’interpeller devant ses élèves et d’emmener menottée une directrice d’école qui avait refusé que son établissement soit utilisé pour leur référendum du 11 mai. Ils s’en sont pris aux fonctionnaires chargés d’organiser les élections du 25 mai, avec violences, menaces, saisies des listes électorales et de bulletins de vote. Les méthodes utilisées sont les mêmes partout – pour l’instant, après la Crimée, dans les oblasts de Donetsk et Louhansk. Ils aimeraient bien étendre leurs actions aux autres régions du Sud et de l’Est, mais ils y rencontrent davantage de résistance.

Mini-coups d’Etat

La propagande russe parle de coup d’Etat à Kiev. Mais ce que nous venons de décrire, c’est le déroulement de mini-coups d’Etat, ville par ville.  Ecoutons encore Zakhar Popovych : « La junte n’est pas à Kiev, mais à Sloviansk. A Kiev, vous pouvez facilement manifester avec des drapeaux rouges et diffuser toutes sortes de tracts. Ceci a été montré clairement à l’occasion des manifestations du 1er mai. Toutes les libertés libérales existent à Kiev, mais pas dans la République populaire de Donetsk ». A Donetsk, le 28 avril, un millier de manifestants défilaient pour l’unité de l’Ukraine, pacifiquement, sans service d’ordre (ce qui était, par ailleurs, imprudent). Ils ont été attaqués et battus à terre par 300 miliciens armés de matraques et de barres de fer.

Ces méthodes rappellent celles des milices, serbes surtout, qui se formaient au début des années 1990 en Yougoslavie. Ou celles des milices protestantes en Irlande du Nord. Y compris dans le type de personnel dirigeant, un mélange d’aventuriers, de marginaux, de criminels, d’anciens militaires, de militants d’extrême droite et d’agents de l’Etat. Le personnage de Vyacheslav Ponomaryov, « maire populaire » de Sloviansk,  est particulièrement intéressant. A la lecture de cette interview, il émerge comme un véritable psychopathe. Même le journaliste est manifestement interloqué. Quant à son comparse Strelkov/Girkin, ancien (ou pas…) militaire russe et chef militaire des milices de Donetsk, il serait, d’après Popovych, monarchiste et grand admirateur du général blanc Denikine.

Un soutien populaire difficile à juger

Il est difficile de juger du degré de soutien populaires pour le rattachement à la Russie ou pour les « républiques indépendantes ». Quant aux référendums du 11 mai, on ne peut pas prendre au sérieux les chiffres de participation dans les deux oblasts (81% et 75%). Le gouvernement et des observateurs russes indépendants avancent des chiffres nettement moins élevés. Mais ce sont des estimations, sans base empirique.  En revanche, tous les sondages qui ont été menés depuis trois mois, de sources ukrainiens ou étrangers, donne une majorité nette pour l’unité ukrainienne, y compris dans les oblasts de Donetsk et Louhansk (autour de 70%).

On est frappé par le caractère squelettique des manifestations de soutien « populaire » aux milices. Il s’agit de manifestations d’un ou de deux milliers de personnes dans une ville comme Donetsk avec une population d’un million. Le 1er mai, ils étaient un millier de personnes à défiler dans cette ville en criant  « Russie, Russie », « le Donbass avec la Russie », dans un faible écho des dizaines de milliers qui défilaient à Moscou sous des mots d’ordre chauvins. Une honte pour la fête internationale des travailleurs. A Donetsk, les syndicats de la ville ont boycotté la manifestation. Par ailleurs, le mouvement ouvrier organisé du Donbass (notamment les mineurs et les sidérurgistes) est assez peu intervenu en tant que tel. Il y a des exemples d’opposition aux séparatistes et de défense de l’unité ukrainienne et quelques-uns qui vont dans l’autre sens. Mais les choses ne sont pas encore claires. Sans doute, comme le reste de la population, les ouvriers sont en tout état de cause assez hostiles au gouvernement à Kiev.

Ouvriers hostiles à Kiev

Quant à l’idéologie et la composition du mouvement prorusse, c’est un mélange de tout ce qu’il y a de réactionnaire. « Admirateurs de Staline et fans du Tsar-père, nazis russes et cosaques ruritaniens, fanatiques orthodoxes et vielles dames nostalgiques du temps de Brejnev – plus ceux qui sont contre la justice pour enfants, le mariage gay et les vaccinations contre la grippe ». C’est ainsi que Sergueï, un militant de gauche qui a fait un des meilleurs comptes-rendu des événements du 2 mai à Odessa, les décrit.

Dans le monde que décrivent les partisans de la Russie, les partisans du gouvernement sont antisémites et sèment la terreur à Kiev. Dans le monde réel, le mémorial à l’Holocauste à Novomoskovsk a été profané pour la deuxième fois en six semaines, avec une inscription « Mort aux Juifs-Bandéristes » [2] et des grossièretés à l’égard du gouverneur juif Kolomoïsky. Et la terreur est à Donetsk et Louhansk et surtout à Sloviansk. On pensera au mot de Winston Churchill : « Les fascistes de l’avenir s’appelleront antifascistes ».

Au-delà de l’Ukraine, il y a la Russie. Poutine et ses acolytes et les médias à leur service dénoncent à volonté la « junte fasciste » et les néo-nazis en Ukraine, tout en utilisant en Ukraine des mercenaires qui viennent souvent des milieux d’extrême droite. Et en Russie, même l’extrême droite se porte bien. Passons sur l’idéologie eurasienne de Dougine. Et même sur le passé de certains membres du gouvernement. En Russie, les groupes néo-nazis agissent en plein jour et apparemment sans être inquiétés, comme le montrent ces photos du 1er mai à Moscou. De telles manifestations ont également eu lieu à Saint-Pétersbourg et dans une vingtaine d’autres villes.

Soutien de l’extrême-droite

Et ce n’est pas seulement en Russie et en Ukraine que l’extrême droite sert les intérêts de la Grande Russie. Car voici une chose intéressante. Vu que l’Ukraine est censée avoir un gouvernement fasciste et/ou est terrorisée par des bandes fascistes ou nazies, on aurait pu s’attendre à ce que l’extrême droite ukrainienne reçoit le soutien de ses pairs ailleurs en Europe. Mais pas du tout. Déjà au moment du référendum en Crimée, les résultats ont été vérifiés par des observateurs dont l’essentiel venait de l’extrême droite. Il y avait notamment des représentants du Front National (France), du FPÖ et BZ (Autriche), de Jobbik (Hongrie), du Vlaams Belang (Flandre), de la Ligue du Nord et de Fiamma Tricolore (Italie) et d’Ataka (Bulgarie) : le tout coordonné par le néo-nazi belge Luc Michiel. Il va sans dire que leur vérification ne vérifiait rien. En fait, il y a nombre d’analyses de la réalité de ce référendum, qui contestent les chiffres invraisemblables de participation (83,1%) et de « oui » (96,77%).

Le chiffre sans doute le plus impressionnant vient du très officiel Conseil pour les droits humains en Russie, qui estime que si dans la ville de Sébastopol la majorité écrasante de votants était pour rejoindre la Russie (avec un taux de participation d’entre 50 et 80%), en Crimée propre, le taux de participation était entre 30 et 50% et seulement entre 50 et 60% ont voté pour. Ces chiffres ont été rapidement enlevés du site du Conseil.

Mais les liens entre le régime russe et l’extrême droite européenne vont bien au-delà de tels services ponctuels. Ce sont des liens réguliers et structurés. Marine Le Pen, qui vient de se féliciter des « valeurs communes » défendues par Poutine est elle-même un visiteur régulier à Moscou. Elle y était en août 2013 et avril 2014 et a été reçue par le vice-premier ministre Dimitri Rogozine (ancien du parti d’extrême droite Rodina) et par le président de la Douma, Sergueï Narychkine. Un rôle clé dans les rapports entre le FN et le régime russe est joué par Aymeric Chauprade, conseiller auprès de Marine Le Pen sur les questions géopolitiques et tête de liste pour le FN en Île-de France aux élections européennes venant d’être élu au parlement européen.

Le dirigeant de Jobbik, Gabor Vona, a tenu une conférence à l’Université d’Etat e Moscou, à l’invitation de l’idéologue d’extrême droite Aleksandr Dougine. Le leader du parti d’extrême droite bulgare Ataka, Volen Sidorov, a lancé la campagne européenne de son parti à Moscou. Beaucoup plus de détails concernant les liens entre l’extrême droite européenne et Moscou sont donnés par cet article en anglais.  Dans ce dernier texte, on trouve une liste des partis d’extrême droite en Europe. Parmi eux, 13 sont considérés comme « engagés » avec Moscou (dont, à part ceux déjà cités, Aube dorée de Grèce, le BNP britannique et le NPD allemand), quatre comme « ouverts » (dont le PVV de Wilders aux Pays-Bas), deux comme « neutres » et trois comme « hostiles ». Ces derniers sont des partis finlandais, letton et roumain.

Ethniquement russe

Le soutien de l’extrême droite en Europe à Poutine n’a en fait rien de surprenant. D’abord, sur le plan idéologique, qu’est-ce qu’il y a à ne pas aimer ? Il y a le culte de la nation, et pas n’importe quelle nation : il s’agit clairement d’un nationalisme ethnique, de sang. En langue russe, il y a deux mots pour russe. Rossiyane qui signifie citoyen ou sujet russe. Russkiye signifie „ethniquement russe“. On peut par exemple être citoyen de la Fédération russe, mais pas russkiye, et se faire massacrer en Tchétchénie ou lyncher par une meute raciste à Moscou. On peut être résident d’Ukraine, de Lettonie ou du Kazakhstan et même citoyen de ces pays et être considéré come russkiye, donc susceptible d’être « protégé » par Poutine, ou plutôt instrumentalisés pour ses projets géopolitiques. Le parti néo-nazi hongrois Jobbik apprécie particulièrement cette vision de la nation.

Car en Hongrie aussi, le gouvernement Orban donne volontiers des passeports aux Hongrois des pays voisins, qui peuvent maintenant même voter en Hongrie. Derrière cette générosité se profile l’ombre de la Grande Hongrie d’avant 1920. Jobbik dit clairement d’ailleurs que la Crimée est russe et la Carpatho-Ukraine hongroise, comme avant 1920 et de 1939 à 1945. Jobbik se réclame ouvertement de cette Grande Hongrie et ce que Jobbik dit tout haut, Orban pense tout bas. Au fait, pas si bas que ça. Lui, il exige maintenant que l’Ukraine autorise la double nationalité et accorde des « droits communautaires » et le « droit à l’auto-administration » à la minorité hongroise d’Ukraine. De manière prévisible, cette « doctrine Poutine » commence déjà à faire des émules. C’est une vraie boîte de Pandore que Poutine a ouverte.

La famille, la nation, le divin

A la conception ethnique de la nation on peut ajouter la sacralisation de l’autorité de l’Etat, la notion d’une idéologie nationale imposée, la répression de toute dissidence, le contrôle des média, le culte du leader autoritaire, le droit des pays forts à dominer les faibles et une idéologie globalement réactionnaire qui vante les valeurs chrétiennes et le rôle central de l’Eglise orthodoxe, les lois homophobes. Cela fait penser au « Travail, famille, patrie »du régime de Vichy. Ou comme le dit Aymeric Chauprade, « la famille, la nation et le divin ». Le régime russe et ses amis de l’extrême droite en Europe partagent beaucoup de ces idées. Ils ont même pu s’indigner ensemble après la victoire de Conchita Wurst à l’Eurovision.

En plus de l’idéologie, il y a un aspect géopolitique. De manière générale, l’extrême droite européenne est anti-américaine et anti-UE. Il faut une alternative autre que l’autarcie. La notion d’un axe Paris-Berlin-Moscou n’est pas exclusive à l’extrême droite, mais elle y est très présente. Marine Le Pen s’en réclame notamment.

On ne peut évidemment pas exclure un soutien financier de la Russie, sans qu’il y en ait des preuves pour l’instant. Mais les autorités hongroises commencent une enquête concernant le financement de Jobbik. Elles ont par ailleurs demandé la levée de l’immunité parlementaire du député européenne de Jobbik, Béla Kovacs, soupçonné d’espionnage au profit de la Russie.

Du côté russe, les avantages sont évidents. Contrairement à son antifascisme affirmé, Poutine n’a absolument aucun problème à travailler avec des partis d’extrême droite, à partir du moment où ils qui sont prêts à défendre sa politique. Ce qu’ils font, très activement pour certains, sur la question ukrainienne et plus largement, en défense de son projet d’Union eurasienne. Et comme nous le savons, l’extrême droite dispose d’un bloc désormais plus important au parlement européen. C’est une bonne nouvelle pour Poutine.

[1] D’après l’ONG russe SOVA, il y a eu entre 2004 et 2012 en Russie, 509 morts à la suite d’agressions à caractère raciste.
[2] Du nom de Stepan Bandera, personnage controversé du nationalisme ukrainien, qui avait à un moment collaboré avec les Nazis. Les prorusses ont tendance à libeller tous les partisans de l’Ukraine unie de « Bandéristes ».

Municipales en France: le Front de Gauche face aux droites

Un Front de Gauche divisé et tu par les médias, un Front national offensif et un PS qui se droitise à marche forcée. Les municipales françaises sont-elles une répétition générale?

Municipales en France: le Front de Gauche face aux droites

 

 

Les élections municipales des 23 et 30 juin ont constitué le premier test électoral à l’échelle nationale depuis l’élection présidentielle de 2012. Pour François Hollande et le Parti socialiste, les résultats ont été sans appel. Globalement, les électeurs se sont servis de ces élections pour sanctionner. C’était la facture pour deux ans de promesses abandonnées et un tournant de plus en plus net vers une politique néolibérale.

Pour une partie importante de l’électorat, cette sanction s’exprimait par l’abstention (38% au premier tour, 36% au deuxième). Il est clair que ce sont surtout les électeurs de gauche qui se sont abstenus : dans les banlieues populaires de la région parisienne le taux d’abstention dépassait les 40%, et parfois les 50%.

Le premier tour marquait déjà un sérieux revers pour la gauche. On aurait pu penser que pour le deuxième tour il y aurait un sursaut, une mobilisation des électeurs de gauche. A quelques exceptions locales près, ce ne fut pas le cas. En fait, le deuxième tour était pire que le premier: c’était la plus grosse défaite de la gauche dans ce type d’élection de l’histoire de la Ve République. La gauche a perdu 151 villes de plus de 10.000 habitants, l’UMP en a gagné 142.

Colossale raclée du PS

Parmi les villes perdues par la gauche on trouve Toulouse, Angers, Amiens, Saint-Etienne et même Limoges, ville ancrée à gauche depuis un siècle. Il y a bien sûr des rescapés. La gauche garde Paris, Lyon, Strasbourg, Nantes et Lille (mais en perdant Roubaix et Tourcoing dans l’agglomération). Certaines de ces résultats s’expliquent sans doute par de bons bilans municipaux. Mais globalement, à l’issue de ces élections, le bloc de droite autour de l’UMP se trouvait avec 13,84 millions de voix contre 11,38 pour le bloc PS et alliés.

Les forces situées à gauche du PS ont mieux résisté, mais elles sont loin d’avoir été épargnées. Un des points marquants de ces élections était le manque de visibilité du Front de gauche en tant que force politique nationale. La raison principale en était certainement la décision du PCF d’aller à ce scrutin en alliance avec le PS dans un nombre important de villes, avec notamment le cas emblématique de Paris. Il est difficile à donner un chiffre avec exactitude pour les résultats du Front de gauche.

A gauche de la gauche: le handicap de la division

Mais en prenant les listes comprenant tout ou une partie des composants du FDG, qu’elles soient intitulées PCF, FDG, PG ou autre, on arrive a un million de voix. D’après une analyse du journal Le Monde, ces listes ont fait en moyenne 10,7% dans les villes où elles étaient présentes. Ce chiffre recouvre de grandes inégalités entre les villes. En particulier les listes étiquetés PCF ont fait de meilleurs scores (24,97% en moyenne) que ceux étiquetés Front de gauche (9,32%) ou PG (6,04%).

Dans ces élections, le PCF a pourtant perdu un quart de ses conseillers municipaux, sans qu’on puisse dire pour l’instant combien ont été perdus en alliance avec le PS et combien dans des listes autonomes. Il perd aussi 48 villes mais en gagne 12. Parmi les pertes, certaines sont douloureuses. En Seine-Saint-Denis, au cœur de ce qui était la banlieue rouge, le PCF perd Bobigny, Blanc-Mesnil et Saint-Ouen. Mais des listes FG regagnent deux des villes les plus importantes du département, perdues en 2008, Aubervilliers et Montreuil.

Des résultats difficilement déchiffrables

Et à Saint-Denis, la liste du maire sortant (PCF-FG) bat de justesse une liste PS qui s’était maintenue et a certainement profité des voix venant des listes de droite éliminées au premier tour. Le résultat de Grenoble mérite d’être noté particulièrement. Dans un certain nombre de villes le PG a cherché à nouer des alliances avec des Verts. A Grenoble il y a eu en effet une liste EELV-PG-Ensemble (un autre composant du FG). Arrivée devant la liste PS (soutenu par le PCF de la ville) au premier tour, cette liste a remporté la mairie au deuxième.

Pas la déroute donc, mais on ne peut certainement pas dire que le Front de gauche ait tiré profit de la débandade du PS ni qu’il soit apparu comme une force politique nationale dans ces élections. L’heure des bilans va sonner, pour le FG et pour chacune de ces composantes. Mais sans doute pas tout de suite. Car la campagne des européennes commence déjà. Elle s’annonce compliquée.

Au niveau national et dans les villes où le PCF est parti avec le PS et où d’autres composantes du FG ont présenté une liste autonome, les relations sont tendues. Et à sept semaines du scrutin du 25 mai, les listes Front de gauche ne sont toujours pas bouclées.

Marche ardue vers les européennes

Si le grand vainqueur de ces élections a été la droite traditionnelle, nous avons aussi assisté à une progression du Front national. Il est inutile de le nier, comme certains à gauche semblent tentés de le faire. Par exemple, il est vrai que le nombre de villes où le FN a présenté des listes, autour de 600, est le même nombre que le Front de gauche. Mais avec ces listes, dans des villes bien ciblées, il a ramassé 1,7 millions de voix.

Et il a pris une douzaine de villes, davantage que dans n’importe quelles élections municipales jusqu’ici. La plus grosse prise a été le 7e secteur de Marseille, avec une population de 155.000 habitants, qui sera dorénavant dirigé par un maire et un conseil FN.

Bien qu’il soit vrai qu’une bonne partie des voix du FN vienne d’électeurs de la droite, il faut aussi reconnaître qu’une partie vient des couches populaires. Et les élections européennes vont lui donner l’occasion de se présenter partout, les sondages le mettant devant le PS, avec même la possibilité qu’il émerge comme premier parti en France.

Alors qu’il est évident que les électeurs de gauche ont déserté le PS à cause de sa politique néolibérale, la réponse d’Hollande indique plutôt qu’il va accentuer son cours actuel. En nommant Manuel Valls comme Premier ministre, il a choisi le dirigeant du PS le plus droitier, non seulement par sa politique sécuritaire en tant que Ministre de l’Intérieur depuis deux ans, mais aussi sur les questions économiques et sociales.

On ne change pas une stratégie qui perd

Valls ne cache pas son admiration pour Tony Blair et sa nomination a ravi les cercles financiers internationaux. Au PS, c’est moins sûr. Aux primaires, pour la nomination présidentielle en 2011, il a fait 6%. Déjà, sa nomination a provoqué une crise chez les Verts d’EELV. Alors que les parlementaires du parti voulaient rester au gouvernement, le bureau exécutif a voté contre. Au PS, même l’opposition à la politique d’Hollande monte.

Le courant « Maintenant la gauche » a envoyé une lettre ouverte à Hollande pour exiger un changement de cap et « un tournant économique majeur », signé par plusieurs membres du Bureau national du PS et par Paul Quilès, ancien ministre de François Mitterrand. Il semble clair qu’un certain nombre de députés PS vont refuser d’accorder la confiance à Valls, en votant contre ou en s’abstenant. Quant au groupe parlementaire FG, il votera contre.

Hollande/Valls: à droite toute!

A un moment où le cours droitier d’Hollande s’accentue, il est important que le Front de gauche tisse des liens avec la gauche du PS et des Verts et qu’il réapparaisse comme force politique nationale. Une grande manifestation contre la politique d’Hollande aura lieu à Paris le 12 avril, soutenu par le Front de gauche mais aussi par le NPA et d’autres forces et par de nombreux responsables syndicaux.

C’est bien, c’est nécessaire. Mais c’est aussi nécessaire que le pôle politique représenté par le Front de gauche dans une série d’élections de 2009 à 2012 se manifeste de nouveau par une bonne campagne et un bon résultat aux élections européennes. Ce n’est vraiment pas le moment de laisser prévaloir les ressentiments de la campagne des municipales ou de se chamailler sur des têtes de liste.

Europa und DIE LINKE

Die Wochenzeitschrift woxx publizierte dieses Gespräch (geführt von Anina Valle Thiele) mit Gabriele Zimmer in ihrer Ausgabe vom 7. März und hat es der Goosch freundlicherweise erlaubt es auf ihrer Seite zu veröffentlichen.

Europa und DIE LINKE

 

 

Auf dem Parteitag von „DIE LINKE“ wurde Gabi Zimmer mit deutlicher Mehrheit zur EU-Spitzenkandidatin gewählt. Im Vorhinein gab es innerhalb der Linken heftige Debatten über den Europa-Kurs der Partei. Die Vorsitzende der europäischen Linksfraktion über die EU-Skepsis ihrer Partei, Alternativen zur Schuldenpolitik und die Möglichkeiten einer sozialen Europäischen Union.

woxx: Im Vorfeld Ihres Parteitags gab es innerhalb der Linken heftige Debatten über den Europa-Kurs der Partei, insbesondere ihre Haltung zur EU. In der Endfassung des Programms ist die Passage, die EU sei „neoliberal, militaristisch und weithin undemokratisch“, nicht mehr enthalten. Was ist an dem Urteil falsch, die EU mache eine neoliberale Politik? Wie würden Sie die sogenannte „Rettungspolitik“ gegenüber Griechenland, Portugal, Spanien bezeichnen?

Gabi Zimmer: Die Debatte, die wir innerhalb der Linken in Deutschland führen, ist im Grunde ein Spiegelbild der öffentlichen Diskussion. Viele Menschen empfinden die EU aufgrund der europäischen Politik der letzten Jahre als äußerst problematisch, und niemand bestreitet, dass die EU in den letzten Jahren eine sehr neoliberale Politik betrieben hat. Die inhaltliche Auseinandersetzung ging um die Frage: inwieweit ist die EU alleine die Adressatin und reicht es aus, zu sagen, die EU ist neoliberal, militaristisch und undemokratisch? Wenn das alles ist, was wir zur EU sagen können, dann fragen sich die Menschen, weshalb sie überhaupt wählen sollen. Die Linke steht vor der Aufgabe, einerseits die Defizite der EU, ihre derzeit tatsächlich neoliberale Politik sehr konkret zu kritisieren. Auf der anderen Seite muss sie die Frage beantworten, wie bringe ich meine Kritik zum Ausdruck? Wie können wir zugleich deutlich machen, dass wir für eine Alternative stehen? Wenn ich in der EU einfach nur alles um 20 Jahre zurückdrehe, wird keineswegs alles wieder besser. Das ist eine Illusion. Aus meiner Sicht neigen manche Linke dazu, die Debatte um die Entwicklung der EU auf den Euro zu verkürzen und andere Aspekte zu ignorieren.

Woran liegt es, dass die Kritik der europäischen Linken an der „EU-Rettungspolitik“ als „Rettung von Banken und Finanzspekulateuren“ zwar öffentlich wahrgenommen wird, dass aber recht unklar ist, wie denn ein linker Weg zur Hilfe Griechenlands aussähe? Hat die europäische Linkspartei überhaupt ein Konzept oder eine Idee, was hier die konkreten europäischen Alternativen wären?

Wir haben von dem Moment an, als die Troika installiert wurde und mit ihren ersten Ideen zur Rettung Griechenlands aus der jetzigen Krise hervortrat, gesagt: das ist ein Weg, der ins Desaster führt. Das muss ich unserer Fraktion GUE/NGL – nicht zu verwechseln mit der Europäischen Linkspartei -, aber auch der Europäischen Linkspartei zugute halten. Inzwischen haben sich dieser Einschätzung ja auch viele angeschlossen, aber eine wirkliche Kurskorrektur ist nicht zu erkennen. Es gab bei einigen die Hoffnung, dass sich durch die Beteiligung der Sozialdemokraten an der deutschen Bundesregierung etwas ändern würde, aber sie wurden enttäuscht. Nun geht es darum, nicht nur zu sagen, was falsch ist, sondern gleichzeitig die Debatte zu führen, welche anderen Entwicklungswege es gäbe. Der sofortige Stopp der Austeritätspolitik, der Privatisierung von öffentlichen Gütern, Einrichtungen und Unternehmen muss verbunden werden mit der Einführung EU-weiter armutsfester sozialer Mindeststandards, Mindestlöhne und auch Mindest-Einkommen, wie einer auskömmlichen Rente.

Wie soll aber mit der Verschuldung Griechenlands, aber auch anderer EU-Staaten, umgegangen werden?

Für die Schuldenproblematik muss ein anderer Weg gefunden werden. Alexis Tsipras hat eine Schuldenkonferenz vorgeschlagen – ähnlich der von 1953 für die Bundesrepublik nach dem 2. Weltkrieg. Alle Gläubiger sollen an einen Tisch und langfristige Schuldenmodalitäten vereinbaren, die es möglich machen, eine unabhängige Wirtschaft aufzubauen. Aus Sicht der griechischen Linken wäre das ein Weg, nicht nur für Griechenland, sondern auch für andere Staaten, die so hoch verschuldet sind. Gleichzeitig brauchen wir eine Diskussion um ein Schuldenaudit. Das heißt, es muss eine Bewertung durchgeführt werden, welche der Schulden, die dem Land auferlegt wurden, legitim sind und welche nicht. Ein Teil der Schulden rührt aus sinnvollen Investitionen her, die das Land weiterhin zur Entwicklung braucht. Aber warum soll die griechische Bevölkerung dafür haften, dass die Deutsche Bank und andere Banken in Griechenland spekuliert und sich dabei vertan haben? Außerdem muss die Europäische Zentralbank ein Mandat bekommen, dass sie direkte Kredite an Staaten vergeben darf. Der Umweg der Kreditgewährung über Privatbanken, die zum Teil vorher mit Staatsgeldern gerettet worden sind und jetzt mit hohem Zinsaufschlag Geld der EZB durchreichen, ist eine vollkommene Idiotie!

In der Vergangenheit gab es wenig konkrete gemeinsame öffentlichkeitswirksame Initiativen gerade für die finanzielle Solidarität mit Griechenland, es fehlte an einem klaren Bekenntnis: Ja, wir wollen für Griechenland zahlen! Wieso hat es dazu in der Vergangenheit keine Initiative der Linken gegeben?

Bei den vielen Versuchen von Solidaritätskampagnen, die es sehr wohl zum Beispiel gemeinsam mit griechischen Linken gegeben hat, musste zunächst ein öffentliches Meinungsbild durchbrochen werden. „Die Griechen sind doch selber schuld“, hieß es oft, und „wer sich so verschuldet hat, muss selbst die Konsequenzen tragen“. Es ist ja viel schwieriger darüber zu reden, was die Ursachen sind, wer eigentlich wirklich verantwortlich ist und warum bisher viel zu wenig Anstrengungen unternommen worden sind, die Krisengewinnler und die Krisenverursacher zur Kasse zu bitten. Auch in Griechenland. Dieser Stimmung etwas entgegenzusetzen, ist nicht einfach. Wir versuchen das mit vielen Einzelinitiativen, wir sind auch als Fraktion einige Male in Athen gewesen, um uns da mit Initiativen zu treffen, mit Gewerkschaften, mit Vertretern der öffentlichen Dienstleistungen, mit Leuten, die ihr Unternehmen besetzt haben, um es selbst in die Hand zu nehmen und weiterzuführen. Wir sind dann auch wirklich auf eine große Tour durch andere Länder gegangen, um immer wieder von unseren Erlebnissen, von unserer Sichtweise zu berichten und zu versuchen, etwas im Denken der Menschen zu bewirken. Angela Merkel ist in Deutschland doch letztlich gewählt worden, weil die Mehrheit der Auffassung war, dass sie alles richtig gemacht hat, dass ihre Politik gegenüber Griechenland richtig war. Das zu durchbrechen, ist schwer, aber notwendig.

Wie europäisch bzw. internationalistisch denkt denn DIE LINKE tatsächlich? Bei wirtschaftlichen Standortdiskussionen, wie z.B. um die Opel-Werke, ist DIE LINKE doch auch meist sehr national orientiert und setzt sich primär für die „eigenen“ Arbeitsplätze ein?

Das genau ist ja ein Punkt unserer Debatte gewesen, die es jetzt im Vorfeld des Parteitags gegeben hat – auch mit Blick auf das Europawahlprogramm. Auf dem Parteitag hat es mit sehr klarer Mehrheit Entscheidungen gegeben, die besagen, dass die Linke europäisch handeln und um diese Europäische Union kämpfen will. Wir wollen die EU verändern, wir wollen sie sozialer machen, sie soll eine Sozialunion bekommen, wir wollen die Verträge öffnen und entsprechende Sozialklauseln einführen. Wir wissen dabei genau, dass wir damit kein System ändern. Aber keiner kann die eigenen Probleme mehr im nationalen Rahmen lösen. Diejenigen, die über das große Kapital verfügen, sind intelligent genug, um sich aus der Verantwortung zu stehlen. Also müssen wir doch Einfluss darauf nehmen, dass die Bedingungen für die Eurozone sich verändern. Es geht eben darum, nicht nur die Währungs- und Wirtschaftsstabilität zu sichern, sondern auch die soziale und die ökologische Stabilität. Gerade bei ökologischen Standards sind wir natürlich auch oft im Dissens mit Teilen der Gewerkschaften, wenn die beispielsweise im Interesse der Autoindustrie in Deutschland ihren Einfluss nehmen und dann in das gleiche Horn stoßen wie die Konzernchefs der Autoindustrie, etwa was die Reduktion der CO2-Emmissionen und Ähnliches betrifft.

Die Europäische Union hat gerade hinsichtlich der Landwirtschaftspolitik große Bedeutung, in der linken Diskussion spielt dieses Thema jedoch fast keine Rolle. Ist das nicht implizit auch ein Zeichen der Ignoranz gegenüber den süd- und osteuropäischen Mitgliedsländern?

Ja, aber zum Teil auch gegenüber Ländern außerhalb der Europäischen Union. Denn durch die Art und Weise der Europäischen Agrarpolitik wird ein Wettbewerbsvorteil im Agrarexport geschaffen. Ich selbst war hier im Europaparlament Berichterstatterin zum Problem von Land-Grabbing und Nahrungsmittelspekulation. Ich habe immer versucht, den Zusammenhang herzustellen zwischen der gemeinsamen Agrarpolitik der EU, der gemeinsamen Energiepolitik und dem Thema der Ernährungssouveränität einschließlich der Mangelernährung in der Bevölkerung. In Deutschland wird die Debatte um die Agrarpolitik leider meist nur darum geführt, wie viele Subventionen Agrarbetriebe bekommen. Der große Bauernverband in der Bundesrepublik wird nun wahrlich nicht von der Linken beherrscht, und die Diskussionen, die die Bauernverbände betreiben, sind oftmals von den großen Agrarbetrieben bestimmt. Wir haben uns immer dafür ausgesprochen, dass Agrarpolitik verbunden sein muss mit ökologischen Kriterien. Eine unserer Grundforderungen – zumindest als PDS, bei der Partei DIE LINKE ist das leider etwas in den Hintergrund geraten – lautete immer, dass wir einen sozial-ökologischen Umbau wollen. Das Bewusstsein dafür ist leider noch nicht stark genug.

Welche institutionellen Reformen strebt die Europäische Linkspartei für die EU an, damit die stets geforderte größere Transparenz europäischer Entscheidungsabläufe Wirklichkeit wird?

Die Stärkung der Mitspracherechte der nationalen Parlamente und der Rechte des Europaparlaments, einschließlich des legislativen Initiativrechts, ist ein wesentlicher Punkt. Zu allen relevanten Themen soll es daneben EU-weite Volksentscheide bzw. Referenden geben, die dann auch in allen Ländern gleichzeitig durchzuführen sind. Über die weitere Entwicklung der EU soll unserer Auffassung nach ein europäischer Konvent diskutieren. Welches Ziel soll die Europäische Union in ihrem Selbstverständnis haben, wohin will sie eigentlich? Braucht die EU eine Verfassung? Sollen europäische Verträge wieder geöffnet werden, um eine andere Richtung einzuschlagen? Wogegen wir uns absolut wehren, ist dieser schleichende Umbau, den Merkel und andere vornehmen, also insbesondere die Regierungschefs der ökonomisch starken Länder. Sie sagen, in Zeiten der Krise muss alles schnell gehen, wir brauchen jetzt auf die Demokratie keine Rücksicht zu nehmen, wir wollen das hinter verschlossenen Türen klären. So werden neue Verträge und Instrumente beschlossen, die nicht im Europaparlament entschieden und diskutiert worden sind, Beispiel Fiskalpakt. Die Institutionen der Europäischen Union werden mit Aufgaben betraut, die ihnen normalerweise gar nicht obliegen und zu denen das Europäische Parlament noch nicht einmal befragt worden ist. Das ist aus unserer Sicht ein Bruch der europäischen Verträge.

Die Europa-Skepsis dominiert in weiten Teilen der Linken – auch in Frankreich und Luxemburg. Woran liegt es, dass innerhalb der Linken kaum ein positives Bild von Europa existiert? Am technokratischen europäischen Betrieb, an der Entferntheit der supranationalen Ebene vom normalen Leben, oder spielen auch nationale Borniertheiten eine Rolle?

Entscheidungen werden ja vor allem über die Regierungen getroffen, die sich in der Europäischen Union eine Vormachtstellung geschaffen haben und damit eine Spaltung in der Europäischen Union in Kauf nehmen. Eine Spaltung zwischen den Kräften des Zentrums und denen der Peripherie, dann zwischen Euro-Zone und Nicht-Euro-Zone. Dann glaube ich, dass durch das Fehlen einer Sozialunion die EU nur auf einem Bein steht. Es ist ja nicht nur der Streit um den Standort von Automobilproduzenten, sondern es gibt tatsächlich viele Entscheidungen des Europäischen Gerichtshof auf Grundlage der Verträge, bei denen die sogenannten „Grundfreiheiten“ höher bewertet werden als der Sozialschutz. Viele erfahren die EU als Ausdruck von gesenkten Sozial- und Beschäftigungsstandards. Da sind die Leute frustriert und wütend. Und das kann ich sehr gut nachvollziehen. Deshalb wollen wir eine Sozialunion, in der soziale Rechte über wirtschaftlichen Freiheiten stehen.

Partenariat transatlantique: Vers un nouveau décalage entre le parlement et les citoyens?

Personne ne veut vraiment du Partenariat commercial transatlantique: ni les citoyens, ni les ONG, ni les syndicats des deux rives de l'Atlantique. Personne? Si, les multinationales, la Commission européenne, les gouvernements nationaux et l'administration américaine. La lutte ne fait que commencer.

Partenariat transatlantique: Vers un nouveau décalage entre le parlement et les citoyens?

 

 

Pour la première fois, la Chambre a débattu de ce potentiel „plus-grand-marché-commun-du-monde“ que pourrait devenir le Partenariat commercial transatlantique entre les USA et l’Union européenne (TTIP ou TAFTA), voir le précédent article.

L’initiative émanait de déi Lénk, qui avait demandé que l’on place ce sujet comme heure d’actualité lors d’une séance publique de la Chambre des député-e-s, avec motion à l’appui, défendue par Justin Turpel. Histoire de permettre aux citoyens-électeurs de connaître les positions des différents partis politiques sur ce sujet brûlant. Histoire aussi de mettre en lumière ce sujet dont ni les gouvernements, ni la Commission européenne ne veulent que l’on n’évoque trop souvent, tant ce projet remet en cause les droits sociaux, sanitaires, environnementaux… Car une chose est claire: si la société civile s’empare du sujet, le projet risque de s’évaporer tel un vampire.

Et la moindre des choses que l’on puisse dire à l’issue du débat qui a eu lieu ce mardi (et qui ne fut malheureusement que peu relayé médiatiquement), c’est que la société civile a bien intérêt à ne pas lâcher l’affaire et à ne surtout pas la laisser aux partis. Mais avant, voici l’intervention de Justin Turpel:

view video on chd.lu 

Voici un petit récapitulatif du débat:

Martine Hansen (CSV): après avoir évoqué certains risques, dont notamment une hypothétique perte de valeurs(?), l’éphémère ministre de l’enseignement supérieur du gouvernement Juncker-Asselborn II plaide pour un maintien des „nos standards européens“. On en sait pas vraiment ce qu’elle entend par là: elle pense probablement à „l’économie de marché sociale“. Mais bon, même ce modèle est sapé depuis des lustres par sa famille politique… Evidemment, elle se prononce contre les tribunaux arbitraires qui pourraient donner gain de cause à des entreprises si celles-ci se voyaient confrontées à des mesures de protection émanant des Etats. Mais sinon, il faut à tout prix sauver ce plus grand marché commun. Des risques? Oui, peut-être. Mais pas si les négociations tournent bien. L’espoir fait vivre…

Marc Angel (LSAP): l’intervention du député socialiste, président de la commission des affaires étrangères et européennes depuis les dernières élections, est certainement la plus problématique. Mais malheureusement, elle fait écho à sa famille politique qui promet à chaque élection que leur „Europe“ serait plus sociale, mais qui, une fois au pouvoir, ce qui est le cas au sein des différentes institutions européennes, se range presque systématiquement du côté des libéralisateurs. De belles paroles immédiatement annulées par une absence totale de vision économique: „Il faut donner des chances à toutes initiative qui favorise l’emploi et la croissance“. On notera le fait que les socialistes n’en sont pas encore à remettre en question le dogme de la croissance. Mais qu’ils ont également intégré toutes les autres fantaisies libérales sur le libre-échangisme qui serait un pourvoyeur d’emplois. Angel déplore lui aussi l’absence de transparence, mais rappelle qu’il existe depuis des mois des groupes de travail au niveau européen dans lesquels les acteurs des ONG et des syndicats seraient présents. De fait, il tombe dans le piège de la transparence de façade qui est partie intégrante de la stratégie de communication de la Commission européenne (voir ici). Car jusqu’à présent, les documents sensibles, y compris le mandat de la commission, n’ont pas été révélés volontairement, mais ont été „leakés“. Pour le reste, Angel veut croire que cet accord représente une chance, que ce n’est qu’une question de négociations rondement menées. Il oublie peut-être que les négociateurs européens sont tout aussi imprégnés, sinon plus, par les dogmes néolibéraux et que cet accord est fondamentalement un instrument au service des multinationales.

Eugène Berger (DP): inutile d’attendre de la part du chef de file du groupe libéral une critique d’un accord… libéral. Berger pense ainsi lui aussi que cet accord représente une chance. Et qu’il ne faut surtout pas le condamner prématurément vu la „complexité“ du dossier dont on ne connaît pas tous les détails. Trop „complexe“ et prématuré pour le rejeter, mais pas assez pour l’accepter. (N.B.: en suivant les débats parlementaires, vous constaterez que lorsque l’argument de la „complexité“ est avancé, il s’agit surtout d’un aveu a) de la méconnaissance, voire du désintérêt  pour le sujet de la part du député, b) de l’argument-massue pour éviter tout débat „que le public ne comprendrait pas“). Mais la vie est complexe, M. Berger! Evidemment, Berger est contre toute forme de nivellement vers le bas, et, bien évidemment, pour la transparence (dommage que ce soit le tout petit groupe de déi Lénk qui soit obligé de mettre le point à l’ordre du jour, alors que tous les autres ne jurent que par la transparence). Toutefois, Berger pense que la transparence a ses limites: on ne peut publier que des textes définitifs. Oui, c’est bien: on va appliquer la méthode Berger au parlement. Les lois ne seront publiées publiquement qu’une fois votées. Avant, chut!, les projets ne sont pas dé-fi-ni-tifs! Ah, qu’est-ce qu’on s’amuse au Krautmaart!

Viviane Loschetter (Verts): Ah, qu’il est difficile de gouverner! Au moins, l’analyse des Verts n’est pas aussi indigente que celle de leurs partenaires socialistes et libéraux. Car contrairement à eux, les Verts ont compris l’enfumage monumental que représente ce texte. Ils n’ont pas fait venir à Luxembourg pour rien José Bové qui lui aussi a compris qu’il fallait s’opposer à ce traité. Et Loschetter de demander fort pertinemment à quoi bon un accord de libre-échange alors que les barrières douanières entre l’UE et les USA sont déjà extrêmement basses. Peut-être justement que ce traité veut aller plus loin. Et nous en sommes à nouveau au tribunaux arbitraires. Voire aux incitations à libéraliser davantage les services publics. Les Verts ont compris. Mais ils gouvernent avec des partenaires qui a) ont compris et sont contents (le DP) et b) qui n’ont pas compris, mais sont contents quand même (LSAP).

Fernand Kartheiser (ADR): Et ce fut au tour du lieutenant-colonel-maréchalissime Fernand Kartheiser. Kartheiser a tout compris et ne cesse de débusquer les bolcheviks „opposés au commerce“. Comme le pays est occupé par les forces soviétiques (CSV+LSAP+DP+Verts+Lénk+KPL+Pirates+Pid+CNFL+Cid-femmes+Les femmes en général+OGBL+LCGB+Caritas+“Rome-occupée-par-les-légions-de-Lucifer-depuis-Vatican-II“), Kartheiser en appelle aux forces divines pour qu’elles terrassent toutes les barrières douanières. Gast Gibéryen trouve ça „très bien“.

Jean Asselborn (ministre des affaires étrangères, LSAP): les opposants au traité ne sont pas tous des „philanthropistes“ (ordinateur, s’il te plaît, arrête de souligner en rouge les mots quand je cite Asselborn) et ceux qui y sont favorables ne sont pas tous des „capitalistes“. D’ailleurs, l’UE a déjà plein d’accords semblables avec d’autres pays comme la Corée du Sud ou le Japon, mais ça ne fait que du grabuge lorsque c’est avec les USA, parce qu’ils sont… plus grands (et peut-être aussi parce que le traité est un petit peu beaucoup pire). Certes, il faut éviter toutes les dérives, notamment les privatisations des services publics (alors que le mandat prévoit des libéralisations, l’un menant à l’autre), mais, grosso modo, ce traité serait bénéfique aux travailleurs des deux rives de l’Atlantique. Pour preuve, les syndicats américains y seraient favorables. Ce qui est évidemment faux: le plus grand syndicat AFL-CIO y est opposé. Il y serait favorable, uniquement dans une optique de soutien de la demande, ce qui est l’exact contraire de ce qui est prévu et de la politique économique menée par l’UE et les USA…

On devait s’y attendre: la motion déposée par déi Lénk, qui appelait le gouvernement à rendre publics tous les documents, à organiser un hearing public avec la société civile à la Chambre et à mettre fin aux négociations à été rejetée avec 58 voix contre les 2 de déi Lénk. A part les voeux pieux concernant une plus grande transparence, la seule chose concrète qui est ressortie de l’heure d’orientation est la promesse de Marc Angel d’organiser un grand débat public avec la société civile. Promesse réitérée jeudi soir lors d’une conférence organisée par un collectif opposé au TTIP. Jean-Claude Reding, président de l’OGBL, y a fait part du souhait du plus grand syndicat luxembourgeois que les négociations cessent. La société civile a compris et est donc en marche. Aux „décideurs“ de faire de même.

Que fait la Russie en Ukraine?

L'Ukraine est une pièce maîtresse sur l'échiquier géostratégique eurasien. Murray Smith tente une analyse des intérêts russes dans cette grande république.

Que fait la Russie en Ukraine?

 

 

Le Parlement de Crimée a donc voté son rattachement à la Russie. Le fameux référendum, fixé d’abord pour le 25 mai, puis avancé au 30 mars, aura finalement lieu le 16 mars et « ne fera que confirmer » le vote du Parlement. On peut dire qu’ils s’entraînent déjà pour rejoindre la Russie de Poutine. Là-bas, on ne tient jamais une consultation électorale sans avoir décidé le résultat à l’avance.

Nous devons comprendre l’énormité de ce qui vient de se passer. Pour la première fois depuis 1945, un pays a simplement annexé, par la force armée, une partie du territoire d’un autre pays. Jusqu’ici nous avons vu des interventions armées, des bombardements, même des guerres dans les Balkans. Mais jamais ça. Et pour l’instant, rien n’indique que cela restera un cas isolé.

Ceux qui prévoyaient que Poutine n’attendait que la fin des JO de Sotchi pour frapper n’avaient pas tort. Car l’intervention en Crimée qui a débuté le 27 février était tout sauf une réaction sur le vif aux événements dramatiques à Kiev de la semaine précédente. Elle a impliqué un transfert de navires de guerre de la flotte de la Baltique à la Mer noire, la préparation et le transfert de 2.000 troupes d’assaut, sans parler des manœuvres en parallèle à la frontière orientale de l’Ukraine qui mobilisaient 150.000 troupes.

Pas de place à l’improvisation

Tout était donc préparé à l’avance. Par ailleurs, l’intervention s’insère dans un projet géopolitique de Poutine. Vladimir Poutine considère que l’effondrement de l’Union soviétique était « le plus grand désastre géopolitique » de notre temps. Et en effet, l’effondrement de l’URSS a effectivement été un désastre social qui a frappé la vie de dizaines de millions de ses citoyens.

Une « catastrophe humaine », comme l’a caractérisé le grand historien marxiste Eric Hobsbawm. Mais ce n’est pas ce qui concerne Poutine. Celui-ci a poursuivi l’œuvre de destruction de l’Etat social commencé sous Eltsine dans les années ’90. Il préside aujourd’hui une société où 110 milliardaires possèdent 35 % des richesses du pays.

Mais revenons à la géopolitique, car il est indispensable de comprendre les objectifs globaux de la Russie de Poutine. Ce qu’il regrette, c’est le statut de grande puissance qu’avait l’URSS. Ce qu’il veut, c’est restaurer la puissance de la Russie et imposer son contrôle sur les territoires qui étaient ceux de l’URSS et de l’Empire tsariste.

L’URSS sans le socialisme

En 1913, le troisième centenaire de la dynastie des Romanov fut célébré avec grand faste. Quatre ans plus tard, la révolution les a renvoyés à la poubelle de l’Histoire. Définitivement, semblait-il. Mais non : après le chute de l’URSS, ils ont été déterrés, littéralement et figurativement. Le Tsar Nicolas II, connu de son vivant comme Nicolas le Sanglant, grand amateur de pogroms anti-juifs, fut canonisé en 2000.

Et en 2013, on célébrait en Russie le quatrième centenaire des Romanov. Ce qui était mis en exergue et enseigné aux écoliers, cartes interactives à l’appui, c’était le rôle de cette dynastie dans l’extension de l’empire russe. Et c’est vrai : sous les Romanov, de l’Ukraine aux pays Baltes et d’Asie centrale au Caucase, la Russie a construit son empire par des méthodes non moins barbares que celles employés par les Britanniques, les Français et autres impérialistes aux quatre coins du monde.

Arrivé au pouvoir en 2000, Poutine se désolait du déclin de la Russie et jurait de restaurer l’autorité de l’Etat, ce qu’il a largement fait. Cela se traduit par une « démocratie guidée », une mainmise croissante sur les médias, la répression de toute dissidence sérieuse et une politique de réarmement.

Le tout sur fond d’un chauvinisme grand-russe, cette idéologie que Lénine détestait tellement et qu’il combattait inlassablement. Et qui est largement partagée dans le monde politique, de l’extrême droite de Zhirinovsky au Parti communiste de la Fédération de Russie (PCFR).

L’alliance des grands-russes

Sur le deuxième volet, Poutine a commencé par liquider l’indépendance de fait de la Tchétchénie avec une brutalité extrême, à plus petite échelle que ce qu’ont fait Bush et Blair en Irak trois ans plus tard, mais avec des méthodes similaires. Le tout sans vraiment restaurer « l’ordre » dans cette république du Caucase du Nord qui a donné du fil à retordre à ses prédécesseurs tsaristes et même à Staline.

Et puis, il a élaboré son projet pour encadrer les anciennes républiques soviétiques. Pour commencer, il s’agit d’une union douanière, à laquelle adhérent pour l’instant le Kazakhstan et la Biélorussie et que devrait suivre l’Arménie. Mais il annonce la couleur : dès 2015, il veut transformer l’union douanière en Union eurasiatique, définie comme union économique et politique.

C’est dans cette union qu’il voulait (et qu’il veut encore…), entraîner l’Ukraine : d’où son opposition furieuse à la signature par l’Ukraine d’un partenariat avec l’Union européenne. Bien sûr, il ne s’agit pas d’annexer toutes les républiques de l’ex-URSS (bien que…), mais de les réunir dans une union dominée par Moscou. Cela peut se faire à géométrie variable.

Le PCFR parle de « l’Etat unifié de Russie et de Biélorussie » comme si c’était déjà une réalité. C’est inexact. Des accords dans ce sens existent, mais ils ne sont pas très clairs et la Biélorussie fait preuve de quelques réticences.

Timides manifestations

Ce qui est clair et ce dont tout le monde convient, qu’ils soient pour ou contre, c’est que l’Ukraine constitue une pièce maîtresse du projet d’Union eurasiatique. C’est pourquoi on aurait tort de conclure que Poutine s’arrêtera après l’annexion de la Crimée. Il ne peut pas simplement regarder le nouveau gouvernement s’installer, se rapprocher de l’Union européenne et signer un partenariat.

Il est clair que la Russie a été et reste très active dans l’Est et le Sud de l’Ukraine. Elle a essayé de susciter des manifestations en faveur de l’union avec la Russie. Pour le moment, c’est un échec. Il y a eu quelques manifestations mais relativement restreintes, de l’ordre de quelques milliers, 10.000 au maximum, ce qui est peu pour des villes comme Donetsk, Odessa ou Kharkiv, avec des populations d’un million et plus.

En face, il y a eu des manifestations pour l’unité de l’Ukraine, parfois plus importantes (15.000 à Odessa) mais pas non plus massives. Et puis des tentatives, parfois réussies dans un premier temps, de prendre d’assaut des bâtiments officiels pour y hisser le drapeau russe. Là, il s’agissait d’attaques bien organisées, de quelques centaines d’hommes, dont certains venaient manifestement de Russie.

La plupart de la population ne se mobilise pas. Pourtant, un sondage du 3 mars montre que le plus fort pourcentage en faveur de l’intégration à la Russie est d’un tiers dans la région de Donetsk, puis de 24 % à Luhansk et Odessa, et pas plus de 16 % ailleurs. Il ne faut pourtant pas en conclure que le danger serait passé.

Il est facile d’organiser des provocations comme prétexte d’intervention militaire, surtout dans des régions où il y a des fortes minorités pro-russes. Et puis, on occupe le conseil régional, on fait voter, on ferme tous les médias indépendants comme en Crimée…

Aujourd’hui la Crimée, demain Kiev?

Au-delà de la question de possibles interventions-annexions, il y a celle, plus large, de la déstabilisation de l’Ukraine toute entière. Si l’élection présidentielle a lieu le 25 mai, on ne sait pas encore qui va gagner, mais on sait que ce ne sera pas un candidat pro-russe. Alors, soit il faut empêcher que l’élection ait lieu, soit il faut que le président élu préside un pays affaibli, divisé, déstabilisé. Rien, absolument rien n’est exclu, y compris une invasion de tout le pays, ou au moins jusqu’à Kiev.

En fin de compte, ce que Poutine fera ou pas dépendra du degré d’opposition qu’il rencontre, en Ukraine comme au niveau international. En Ukraine, il ne suffit pas simplement que le gouvernement affirme son autorité, y compris dans l’Est. Il faut qu’il prenne en compte les préoccupations de tous les citoyens.

C’est une bonne chose que le président par intérim ait refusé de signer l’annulation de la loi sur les langues de 2012, mesure qui avait inquiété inutilement les russophones. Et puis il faut mettre fin à la situation où dans certaines régions, certains partis ne peuvent pas fonctionner normalement. En particulier, il faut stopper les agressions contre le Parti communiste d’Ukraine.
Bien évidemment, la tenue d’une élection présidentielle ne résoudrait pas en soi les problèmes de l’Ukraine.

Il faudrait une démocratisation de fond en comble, un programme social, une assemblée constituante. Mais rien de tout cela ne pourrait se faire sans lever la menace d’une intervention russe.

Antisémitisme?

Deux raisons sont et seront avancées pour justifier une intervention russe. D’abord, que le pays serait dans un état de chaos, d’anarchie, avec des agressions contre les minorités, et surtout des actes antisémites. C’est faux. La meilleure réponse est fournie par cette lettre ouverte à Vladimir Poutine signée par un large éventail de la communauté juive en Ukraine.

La deuxième raison serait qu’au lieu d’être l’agresseur, de poursuivre une politique élaborée bien avant les événements récents en Ukraine, la Russie serait en réalité la victime, la cible de provocations venant des Etats-Unis et de l’UE. Avec en particulier l’intention d’admettre l’Ukraine comme membre de l’OTAN. Dans cette vision, il y a certainement du vrai. Depuis la chute de l’URSS, les Etats-Unis ont poursuivi une politique visant à « contenir » la Russie : expansion de l’OTAN vers l’Est, bouclier anti-missiles…

La perspective que l’Ukraine adhère à l’OTAN est partagée par certaines puissances et forces en Occident, mais pas par toutes. Et par des partis aujourd’hui au gouvernement en Ukraine. Pourtant, les sondages ont systématiquement montré qu’une majorité d’Ukrainiens est contre et préfère une position non-alignée.

C’est certainement la meilleure solution, pour l’Ukraine et pour la paix en Europe. Pourtant, le moins que l’on puisse dire, c’est que si jamais un prochain sondage donnait une majorité pour l’adhésion à l’OTAN, ce serait sans doute une conséquence de l’agression russe actuelle.

Vers un conflit avec l’OTAN?

Pour conclure : les mesures économiques et diplomatiques à l’égard de la Russie qui ont été prises, ou sont envisagées par les Etats-Unis et les pays européens auront un certain effet. Mais aussi, mondialisation oblige, des conséquences pour certains pays européens. Il n’est pas sûr qu’elles soient vraiment efficaces, ou qu’elles seront maintenues longtemps, et Poutine a dû prendre cela en considération avant d’agir.

Jusqu’ici, ceux en Occident qui parlent d’action militaire sont très minoritaires. Mais on aurait tort de considérer que cette option est totalement exclue. Les Américains et les Européens étaient surpris par l’intervention en Crimée, et encore plus par son annexion. Mais si les choses en restent là, on peut dire que le risque de conflit armé entre la Russie et l’OTAN est minime.

Si la Russie devait aller plus loin en Ukraine, ce risque augmenterait et les secteurs les plus va-t-en guerre en Occident seraient renforcés. C’est pourquoi il faut condamner toute intervention étrangère en Ukraine et défendre la souveraineté de l’Ukraine. Le peuple ukrainien doit pouvoir régler les problèmes considérables auxquels il est confronté sans ingérence étrangère aucune.

Chronique ukrainienne

Avec la crise ukrainienne, l'Europe revient à ses vieux démons. Murray Smith retrace l'emballement de ces dernières semaines dans cette ancienne république soviétique tant convoitée.

Chronique ukrainienne

 

 

La rédaction de cet article a débuté juste avant les événements dramatiques des journées des 18-22 février. A l’origine, l’intention était surtout de traiter quelques questions de fond, de porter un regard sur l’arrière-fond de ce qui se passe en Ukraine. Et puis on a commencé à tirer dans les rues de Kiev et tout a basculé en quelques jours. Le régime commençait à s’effondrer, les soutiens de Ianoukovitch l’abandonnant les uns après les autres, les plus coupables de ses partisans prenant la fuite. Le compromis laborieux négocié entre Ianoukovitch et l’opposition sous l’égide des ministres des affaires étrangères allemands, français et polonais, et qui aurait laissé Ianoukovitch au pouvoir jusqu’en décembre, a échoué face au refus du mouvement, exprimé sur la Place Maïdan dans la soirée de vendredi 21 février. Et puis, Ianoukovitch lui-même a pris la fuite et le Parlement l’a destitué à l’unanimité des présents, 328 députés sur 450.

Une semaine après la chute de Ianoukovitch, comment résumer la situation de l’Ukraine ?

D’abord, il y a un nouveau gouvernement. La Présidence par intérim est assurée par le président du Parlement Oleksandr Tourtchynov, de Baktivshchina, le parti de Ioulia Tymoshenko. L’élection présidentielle est fixée pour le 25 mai. Le premier ministre est Arseni Iatseniuk, du même parti, l’homme de Washington. Le gouvernement comprend d’un côté des représentants de Baktivshchina, du parti d’extrême-droite Svoboda, du monde des affaires, et de l’autre des représentants du mouvement. Mais ce sont les premiers qui dominent. Le ministre des Finances est un banquier. Le ministre de l’Agriculture, un membre de Svoboda, est un riche agriculteur. Vitali Klitschko, l’ancien boxeur qui dirige le Parti UDAR, ne fait pas partie du gouvernement, se réservant pour l’élection présidentielle.

Pourtant, le mouvement qui a renversé Ianoukovitch ne s’est pas démobilisé. Il a eu un droit de regard sur la formation du nouveau gouvernement et il reste très méfiant à son égard, à l’affût de chaque signe qui montre que si les têtes ont changé, le système reste le même. De ce point de vue-là, les leçons de la « Révolution orange » de 2004 et de la déception qui a suivi le changement de gouvernement sans changement de système ont été apprises. Et bien qu’Ioulia Tymoshenko ait été acclamée sur la place Maïdan après sa sortie de prison, il est clair qu’elle ne jouit pas du même niveau de confiance qu’en 2004.

 2004: Le changement sans changement

L’économie est en ruines, les coffres de l’Etat sont presque vides, les réserves sont autour de 12 milliards de dollars, l’équivalent des 16,3 % de la dette nationale de 73 milliards qui doit être remboursée cette année. La monnaie, la hryvnia, est en chute libre. Si elle est dévaluée, la dette, dont une grande partie est libellée en dollars, augmentera. D’ici quelques mois, un défaut de paiement est une possibilité réelle.

Le nouveau gouvernement aura donc besoin de crédits. Sous l’œil méfiant du mouvement, il va négocier et en toute probabilité les obtenir de l’Union européenne, du FMI et des Etats-Unis, et ce au prix que l’on sait: austérité, réformes néolibérales. Les premières déclarations de Yatseniuk, le 28 février, vont dans ce sens-la. Si les choses se déroulent ainsi, on verra comment vont réagir le mouvement et la population.

Le facteur qui peut encore tout bouleverser, c’est le rôle de la Russie. Ce qui se passe en ce moment en Crimée est très inquiétant. Ce qui est clair, c’est que la Russie est en train d’intervenir militairement sur le territoire ukrainien. Ce qui n’est pas clair, c’est jusqu’où elle veut aller. Plutôt que de spéculer, nous reviendrons sur la question dans les prochains jours.

Jusqu’où peut aller la Russie?

Revenons maintenant une semaine en arrière. Ce qui venait de se passer en Ukraine était assez extraordinaire. Un mouvement de masse avait réussi à renverser un de ces autocrates qui président encore la plupart des anciennes républiques soviétiques, ces pays dominés par un capitalisme de type mafieux. Certains nous rappellent que Ianoukovitch avait été élu de manière légitime, démocratiquement, dans une élection honnête. C’est exact. Ils oublient en général d’ajouter que ce n’est pas lui, mais son prédécesseur qui a organisé cette élection. Quand Ianoukovitch était aux affaires en 2004, les élections se passaient tout autrement, provoquant la première grande mobilisation depuis l’indépendance et imposant de nouvelles élections que Ianoukovitch avait perdues.

Elu démocratiquement ou pas, il ne suffisait pas de répéter qu’il était le « président légitime ». La légitimité, ça se gagne et ça se perd. Quelle est la légitimité de Samaras en Grèce, pourtant élu démocratiquement? Elu en 2010, une des premières actions de Ianoukovitch était de se débarrasser de la Constitution de 2004 qui partageait le pouvoir entre la Présidence et le Parlement et de concentrer le pouvoir dans ses propres mains.

Ensuite il a largement profité de son mandat pour s’enrichir, lui et les fils et son clan, que les Ukrainiens appellent « la Famille ». Sa fortune personnelle a été estimée à 12 milliards de dollars. C’est d’ailleurs très exactement la somme qui reste dans les coffres de l’Etat ukrainien. A la demande du nouveau gouvernement, des mesures sont prises pour bloquer les comptes de la bande à Ianoukovitch en Autriche, Suisse et Liechtenstein.

C’est quoi être légitime?

Entre le 18 et le 22 février, les événements se sont déroulés à une vitesse fulgurante. Le 18  à Kiev, les affrontements entre protestataires et policiers ont fait 28 morts, dont 10 policiers, et des centaines de blessés. Ce n’était pas les premiers affrontements entre manifestants et policiers, ni même les premiers morts, mais on a eu l’impression qu’un pas qualitatif avait  été franchi.

La suite l’a confirmé.  Le jeudi 20 février a été la journée la plus noire, la plus sanglante de l’histoire de l’Ukraine indépendante, avec plus de 50 morts. Nous commençons à apprendre maintenant qu’une répression à beaucoup plus grande échelle était en préparation, un scénario à la Tienanmen. Que cela a été évité revient sans doute au fait que Ianoukovitch était déjà en train de perdre le contrôle de l’appareil d’Etat et qu’une partie au moins de l’armée n’était pas fiable.

La responsabilité première et écrasante pour le sang qui a coulé échoue à Ianoukovitch et son gouvernement. Pendant trois mois, le régime a fait preuve d’un immobilisme à toute épreuve. Trois mois de crise politique permanente, qui a vu des manifestations de masse à répétition, rassemblant des dizaines et parfois des centaines de milliers de personnes, alors que s’installait au cœur de Kiev, sur le Maïdan, un campement de plusieurs milliers de personnes qui a progressivement pris l’allure d’une forteresse retranchée et qui s’est doté d’un Conseil élu.

Alternant entre répression, négociations avec les partis d’opposition et concessions de façade, Ianoukovitch n’a  rien lâché sur le fond. Le 16 janvier, il a fait adopter une série de lois liberticides. Le 28 janvier, il les a fait annuler, à condition que les bâtiments publics occupés fussent libérés. En même temps, il a limogé son premier ministre, Mykola Azarov, qui a tout de suite pris l’avion pour rejoindre ses comptes en banque en Autriche.

La forteresse Maïdan

Jusqu’au lundi 17 février, avec la libération des manifestants détenus et l’évacuation de certains bâtiments publics occupés, on aurait pu avoir l’impression d’une détente, d’une décompression, d’une possible résolution pacifique de la crise. A condition qu’il y ait une ouverture politique quelconque.

En fait, il y a eu, depuis trois mois, des possibilités, pas exclusives : une élection présidentielle anticipée, des élections législatives anticipées (ou les deux à la fois), un retour à la constitution de 2004 et un nouveau gouvernement qui aurait organisé à terme des élections. Mais de toute façon la solution passait forcément par la possibilité pour les citoyens de dire s’ils avaient encore confiance dans le président et le gouvernement.

Aucune de ces initiatives n’a été prise. Mardi 18, le parlement devait encore une fois discuter d’une réforme constitutionnelle. Une marche sur le Parlement voulait exercer une pression pour que les députés l’adoptent. Et puis, une fois encore, le débat a été reporté pour une raison « technique ». Pour les manifestants c’était la goutte qui a fait déborder la vase. Et la police a lancé des grenades et commencé à tirer avec des balles réelles à une échelle jusque-là jamais vue. Le jeudi 20, un nouveau pas a été franchi.

La goutte qui fait déborder le vase

Des tireurs d’élite nichés sur les toits ont tiré avec des armes automatiques, faisant une cinquantaine de morts, âgés de 17 à 62 ans, pour ceux qui ont pu être identifiés. Beaucoup venaient de l’Ouest, beaucoup de Kiev, mais aussi plusieurs de l’Est; il y avait même un Russe. Cette-fois-ci, seulement trois policiers sont morts: les manifestants, que certains présentaient comme des paramilitaires armés jusqu’aux dents, n’avaient aucun moyen contre ceux qui tiraient pour tuer avec des armes automatiques. Ils ont été tirés comme des lapins.

Le mouvement est parti de la volte face de Ianoukovitch sur l’Europe en novembre dernier. Mais il a progressivement pris comme cible le véritable problème, le système corrompu et autoritaire que subit l’Ukraine, et de plus en plus Ianoukovitch lui-même. Avant d’aborder la situation d’aujourd’hui, essayons de voir l’arrière-fond du mouvement.

Sur l’Ukraine, il y a plusieurs discours qui ont été largement diffusés par les média et même par certains « experts ». D’abord, le mouvement serait dirigé par (voire dans les pires caricatures se réduirait à) des groupes néo-nazis et antisémites. Ensuite, le problème fondamental serait le choix entre l’Union européenne d’un côté et de l’autre la Russie (et son projet d’Union eurasienne); donc entre « pro-européens » et « pro-russes ».

Propagandes

Enfin, que ce choix serait le reflet d’une division fondamentale entre un Ouest ukrainophone et un Est russophone. Chacun de ces éléments a sa part de vérité. Aucun ne constitue le problème fondamental ni ne suffit à expliquer la crise et le mouvement. On pourrait ajouter que ces visions partielles sont aussi souvent partiales : présenter les opposants à Ianoukovitch comme essentiellement pro-européens sert bien les intérêts de l’UE; en revanche, présenter le mouvement comme dirigé par l’extrême droite, et maintenant comme un coup d’Etat, sert la propagande de Ianoukovitch et de Poutine. Certains colportent ces versions des événements par ignorance, d’autres savent très bien ce qu’ils font.

Il existe, bien sûr, des groupes néo-nazis et beaucoup plus importants, des courants ultranationalistes. D’après de nombreux témoignages – de participants et de journalistes – ils ne sont pourtant pas majoritaires dans un mouvement large extrêmement divers. Le groupe (en fait une coalition) Praviy Sektor en regroupe plusieurs d’entre eux. Ils ont été très actifs dans la défense de Maïdan et, qu’on le veuille ou non, se sont fait largement acceptés pour cette raison. Surtout dans la dernière phase du mouvement, après les premiers morts, disparitions et actes d’intimidation par les forces de répression au mois de janvier; à partir de là, la question de l’autodéfense devenait centrale.

Svoboda et les autres…

Le parti Svoboda, qui a obtenu environ 10 % aux dernières élections législatives, a une idéologie et des pratiques fascistes. Pourtant, il semblait chercher à devenir « respectable », à être accepté comme la composante nationaliste dure de l’opposition parlementaire. Aujourd’hui, il participe au gouvernement. Ainsi, à la différence de la plupart des partis d’extrême-droite en Europe, il est devenu – tardivement – pro-Union européenne.

A côté de son discours ultranationaliste, Svoboda devait sa percée électorale en 2012 aussi à sa dénonciation du système politique corrompu, exigeant même la nationalisation des entreprises privatisées (souvent crapuleusement).

Svoboda est surtout porteur d’une idéologie nationaliste ethnique et exclusive et se réclame de l’héritage – ou de son interprétation de cet héritage – du mouvement nationaliste OUN-UPA des années 30 et 40. Il joue ainsi un rôle de division dans l’Ukraine d’aujourd’hui, où la nation est encore en voie de formation et ne peut être construite que sur des bases politiques, civiques, citoyennes, englobant ukrainophones, russophones, Tatars, Juifs et autres.

Vous avez dit antisémite?

Quant à l’antisémitisme – oui, il existe, sans aucun doute, dans Svoboda et d’autres courants d’extrême droite. Pourtant, de l’avis de la principale organisation juive ukrainienne, la VAAD, il se manifestait peu sur Maïdan. D’après la VAAD, le nombre d’incidents antisémites enregistrés en Ukraine en 2013 était de 27, le même qu’en 2012. Il affirme aussi que l’antisémitisme est moins présent en Europe de l’Est qu’en Europe occidentale, ce qui peut surprendre.

Ceci dit, pour l’année 2012, le chiffre pour la France était de 177 actions antisémites et de 437 menaces. Par la voix de son président, Iosif Sissels, la VAAD a fait une déclaration concernant deux incidents antisémites en janvier. Il est clair que qu’il y a de sa part pour le moins des forts soupçons que ces incidents, qui coïncidaient avec l’adoption de l’arsenal répressif, étaient des provocations par le pouvoir. D’autres groupes juifs se montrent plus inquiets sur l’antisémitisme.

Et puis, les groupes d’extrême droite sur le Maïdan n’avaient pas le monopole de l’antisémitisme. Médiapart nous fournit un lien vers le site des Berkout, cette police anti-émeute d’élite qui a été au tranchant de la répression et qui vient d’être dissoute par le nouveau gouvernement.

Le site a été « nettoyé » depuis, mais on peut toujours voir ce qu’il y avait.  On trouve des perles du genre « La sioniste Tymoshenko et la carte pour diviser l’Ukraine en trois », « Les racines et liens juifs des dirigeants de l’opposition Ioulia Tymoshenko, Vitali Klitschko, Arseniy Yatsenyuk et Oleg Tiagnybok ». Ce dernier est le dirigeant principal de Svoboda…

Quand l’hôpital se fout de la charité

« Les Juifs sont les acolytes des Nazis, le Juifs au service de la Wehrmacht, Juifs – collaborateurs, sionistes – acolytes d’Hitler, le drapeau Nazi-sioniste ». On trouve aussi beaucoup de graphiques, notamment la croix gammée superposée sur l’Etoile de David. C’est incohérent ? Certainement. Les déversements antisémites le sont souvent, ils ne sont pas moins nocifs.

En matière d’antisémitisme et d’idées d’extrême droite, il faut aussi regarder du côté de la Russie, qui se plaît en ce moment à dénoncer le fascisme en Ukraine. Un certain Sergeï Glazyev a refait surface ces derniers temps comme porte-parole officieux du régime Poutine sur l’Ukraine, souvent cité dans la presse occidentale. Glazyev est un ancien député communiste qui a ensuite fondé le parti d’extrême droite Rodina (Mère-patrie). En 2005, des députés de Rodina ont demandé l’interdiction de toute organisation juive en Russie.

Glazyev fait part du courant idéologique connue comme « National-Bolchévik » ou « Eurasien ». Son principal théoricien est Alexandre Dougine, qui cherche à faire une synthèse entre le fascisme et le stalinisme et s’inspire du théoricien nazi Carl Schmitt. Dougine prône ouvertement la division et la colonisation de l’Ukraine. Ces idées ne sont pas marginales dans l’administration Poutine, où on entend souvent qu’il ne faut pas « perdre » l’Ukraine – qui n’est bien sûr pas la leur à garder ou à perdre.

De Glazyev à Dougine…

Iosif Sissels a pris la parole à au moins deux occasions à la tribune de Maïdan. A aussi pris la parole le 18 février Mustapha Djemilev, dirigeant historique des Tatars de Crimée, un des peuples déportés en masse en 1944 par Staline et qui n’a  pu revenir en Crimée qu’après la chute de l’URSS.

Il y avait aussi des groupes et des militants de gauche sur le Maïdan. Ils n’ont pas eu la vie facile, subissant parfois des agressions de l’extrême droite. Mais ils avaient le mérite d’être là, dans le mouvement, à la différence du Parti communiste d’Ukraine, dont on parlera plus tard.

Ce sont des faits qui collent mal avec l’image d’un mouvement où l’extrême droite et le nationalisme ethnique sont hégémoniques. Il convient donc de regarder derrière les  formules toutes faites. Il faut garder une vision d’ensemble : oui, l’extrême droite a une forte présence, non le Maïdan ne se réduit pas à cela. Les groupes de défense et d’entraide s’appelaient sotyas et ils se formaient en général par affinité. Donc, il y avait des sotyas d’extrême droite, mais aussi un sotya pacifiste, un sotya de femmes non-mixte, un autre dont le chef et plusieurs membres étaient Juifs.

Un mouvement hétéroclite

Médiapart nous fournit aussi un lien avec un appel signé par des universitaires spécialistes de l’Ukraine, et pour un certain nombre d’entre eux, spécifiquement des mouvements nationalistes et d’extrême-droite et de l’antisémitisme. La plupart sont Ukrainiens, mais ils travaillent dans des institutions d’enseignement supérieur et de recherche dans une dizaine de pays. Deux au moins sont Juifs, dont Iosif Sissels.

L’appel est adressé à des journalistes, commentateurs et analystes qui écrivent sur l’Ukraine et s’intitule « L’Euromaidan de Kiev est une action de masse de désobéissance civile, libératrice et non extrémiste ».

Il existe des différences entre l’Est et l’Ouest. C’est une histoire complexe mais qu’on peut schématiser en trois étapes. D’abord, l’Est, le Centre et le Sud de l’Ukraine ont été rattachés progressivement à l’Empire russe dès le 17e siècle. L’Ouest a été polonais et plus tard faisait partie de l’Empire austro-hongrois.

Par conséquent, les Ukrainiens de l’Ouest ont pu disposer à partir du 19e siècle d’un certain nombre de droits politiques, linguistiques et culturels. A contraster avec la situation dans le bastion de réaction et d’absolutisme qu’était la Russie tsariste, sans droits politiques et où l’utilisation écrite même de la langue ukrainienne fut interdite.

Une histoire éclatée

De manière générale, l’Ouest était plus tourné vers l’Europe. Accessoirement, il s’y pratiquait largement une forme de catholicisme, alors que l’Est était orthodoxe. Ensuite, dès la fin du 19e siècle, l’industrialisation de l’Ukraine a eu lieu dans l’Est, surtout le bassin minier du Donbass. La majorité de la force de travail initiale venait de Russie, ce qui faisait en sorte que même quand les Ukrainiens furent embauchés, la langue véhiculaire était le russe.

Dans les années ’20, la direction national-communiste d’Ukraine appliquait une politique d’ukrainisation, de soutien à la langue et la culture ukrainienne, ce qui correspondait à la politique relativement éclairée de l’époque du régime soviétique sur la question nationale. A partir des années ’30 et jusqu’à la fin de l’Union soviétique, une politique de russification a repris le dessus. Enfin, l’Est a fait partie de l’URSS dès le début, bien que l’histoire de la révolution ukrainienne de 1917 à 1920, mal connue, soit bien distincte de celle en Russie.

L’Est a donc partagé l’histoire de l’Ukraine soviétique, pour le meilleur, celle sous la direction national-communiste dans les années ’20 (qui fut anéantie par la terreur stalinienne); et pour le pire, les horreurs des années ’30, la famine de 1932-33 qui a tué des millions, la terreur, suivie par la guerre. Les estimations du nombre de morts ukrainiens pendant la Deuxième Guerre mondiale vont de 8 à 10,5 millions. En ajoutant ceux de la guerre civile, de la famine et de la terreur des années ’30, on va vers les 20 millions. Seule la Biélorussie a autant souffert.

Une histoire douloureuse

L’Ouest, de nouveau polonais dès 1920, a été incorporé de force à l’Union soviétique en 1939, dans le cadre du Pacte Nazi-Soviétique. Pour l’Union soviétique, la Deuxième Guerre mondiale a commencé avec l’invasion allemande en juin 1941. Pour l’Ukraine occidentale, elle a commencé en septembre 1939 avec l’occupation soviétique. Pour elle donc, juin 1941 n’était pas simplement une occupation, mais l’échange d’un occupant contre un autre. Ce qui aide à expliquer la suite.

Dans un premier temps, les occupants allemands n’étaient pas mal accueillis, non simplement dans l’Ouest mais à Kiev et dans les campagnes. Les nationalistes espéraient la création d’un Etat indépendant sous « protection » allemande. Les paysans espéraient la fin de la collectivisation. Tout le monde a été déçu.

L’Organisation Ukrainienne Nationaliste (OUN)  a proclamé l’indépendance de l’Ukraine le 30 juin. Il s’en suivait une floraison de comités locaux, associations culturelles, etc. Les Allemands n’ont pas apprécié et ont commencé à réprimer durement l’OUN et toute manifestation nationale ukrainienne. Stepan Bandera, dirigeant du principal courant de l’OUN, a été détenu par les Allemands de 1941  à 1944. A partir de 1942, la majeure partie de l’OUN a commencé à résister aux Allemands, créant  l’UPA  (Armée insurgée ukrainienne).

Entre l’Allemagne et la Russie

L’OUN a brièvement collaboré avec les Allemands à deux périodes. En 1941, elle a formé deux bataillons qui ont participé à l’invasion de l’Ukraine. Ils ont été dissous par les Allemands en 1942. Pendant la majeure partie de la guerre, l’UPA a combattu à la fois les Allemands, l’Armée rouge, les partisans soviétiques et les partisans polonais. Ensuite, en septembre 1944,  Stepan Bandera a accepté l’offre des Allemands, qui avaient déjà perdu la guerre, d’être libéré de Sachsenhausen pour combattre les Soviétiques.

Les affirmations du genre « Stepan Bandera et l’OUN-UPA étaient des supplétifs des Nazis » ont l’avantage de la simplicité, mais l’inconvénient de n’être que très partiellement vraies et donc n’aider à comprendre ni l’Ukraine des années ’40 ni celle d’aujourd’hui. De la mouvance OUN-UPA  sont issus une partie de ceux qui ont vraiment collaboré avec les Nazis.

A l’autre extrême, l’OUN clandestine dans l’Est, qui avait une activité importante, a évolué dans un sens plus démocratique et social au contact avec les populations de l’Est, sur lesquelles le nationalisme « pur » avait moins de prise. Dans le Donbass l’OUN a même adopté le mot d’ordre « Une Ukraine soviétique indépendante sans le Parti communiste ».

L’UPA d’Est en Ouest

L’UPA a continué à résister aux Soviétiques jusque dans les années ’50. Elle a aussi commis des crimes. Elle a été antisémite mais beaucoup plus fondamentalement antirusse et anti-polonaise et elle a été responsable pendant la guerre d’un nettoyage ethnique qui a conduit au massacre de dizaines de milliers de civils polonais. L’UPA est controversée en Ukraine aujourd’hui. A l’Ouest, elle est célébrée par beaucoup et pour beaucoup d’autres elle n’est pas complètement condamnable à cause de sa résistance aux Soviétiques.

Pour exactement la même raison, à l’envers, elle est très largement rejetée à l’Est et au Sud. Dans ces régions, la majorité de la population a soutenu et combattu dans les rangs de l’Armée rouge et des partisans soviétiques. Il est à souligner que pendant la guerre, l’identité ukrainienne a été fortement mise en avant par le régime soviétique, avec la création d’unités militaires et de décorations spécifiquement ukrainiennes. Cela n’a pas survécu à la normalisation culturelle après 1945.

L’histoire commune a commencé après 1945 et a conduit à une identité ukrainienne commune, au-delà des régions et des langues. Ce qui sépare l’Est et l’Ouest aujourd’hui, ce sont beaucoup plus deux réalités socio-économiques (voir ci-dessous) que des questions de langue et de culture. Lors du référendum de 1991, l’indépendance a été majoritaire partout. D’après le recensement de 2001, 77 % des habitants se définissent comme Ukrainiens, 17 % comme Russes.

Une unité nationale en germe?

Presque tout le monde comprend les deux langues et apparemment il se développe aujourd’hui le sourzhyk, un mélange des deux.  Il n’est pas exclu que les facteurs de division surviennent dans les prochains jours, et pas seulement en Crimée. Mais ce n’est pas inévitable et cela peut être encouragé ou découragé par les actions des uns et des autres. Une mauvaise décision du Parlement dans les premiers jours après la destitution de Ianoukovitch a été d’annuler une loi de 2012 qui donnait un statut officiel à la langue russe.

Que la loi en question affaiblissait en même temps l’ukrainien n’excuse rien. Elle aurait pu être amendée. Cette décision était une provocation potentielle à l’égard des russophones. Mais deux réactions à cette mesure sont à signaler. D’abord, une déclaration signée par des intellectuels de Lviv, grande ville de l’Ouest, en faveur du pluralisme linguistique et culturel.

Il se trouve par ailleurs que le premier signataire est le fils de celui qui était commandant-en-chef de l’UPA. Ensuite le 26 février, la ville de Lviv a annoncé que ce jour-là ses habitants parleraient le russe, en formulant les choses ainsi: « Lviv veut des nouvelles élections pour le Parlement et pas de la spéculation sur la langue et la nationalité. Le 26 Février, je parlerai le russe à la maison, à mon travail, avec mes amis – partout, en solidarité avec les habitants des régions Sud et Est de l’Ukraine ».

Le social au-delà du national

Les villes russophones de Donetsk (Est) et d’Odessa (Sud) ont tout de suite réciproqué, adoptant des déclarations identiques, remplaçant  simplement « russe » par « ukrainien » et « Sud » et « Est » par « Ouest » et « Centre ». Il y a aussi des déclarations des municipalités à l’Est contre la division.

Quant aux attitudes de la population, un sondage fait dans l’Est et l’Ouest indique que des questions comme la langue, le fédéralisme et les rapports avec la Russie et l’UE ne sont pas les préoccupations principales: les priorités partout (sauf en Crimée) sont la corruption, le niveau de vie, le chômage, les retraites, la santé et l’éducation.

Et en ce qui concerne la Russie, une pétition circule actuellement à l’Est, adressée à Vladimir Poutine :
« Nous, les Russes et les citoyens russophones de l’Ukraine, n’ont pas besoin de protection par d’autres États. Nous vous remercions pour votre soutien, cependant, nous tenons à vous informer que personne ne nous a jamais porté atteinte, en aucune façon, sur le territoire de l’Ukraine. Nous avons toujours vécu librement et heureusement, parlant notre langue habituelle. Nous avons également étudié la langue d’Etat de l’Ukraine à l’école et sommes capables de la parler assez bien pour nous sentir à l’aise dans un environnement ukrainophone. C’est pourquoi, avec tout le respect dû à vos soucis, nous vous demandons de ne pas soulever des questions internes de notre pays qui sont loin d’être critiques à l’échelle nationale de la Fédération de Russie. Et d’ailleurs, nous vous demandons de ne pas amener des troupes pour régler un conflit que vous voyez apparemment, mais que nous n’arrivons pas à remarquer. Nous vous remercions de votre compréhension. Avec respect, les citoyens russe et russophones de l’Ukraine.  »

L’étincelle

Le mouvement actuel a débuté en réaction à la volte-face d’Ianoukovitch qui a abandonné des négociations pour le partenariat avec l’UE pour signer un accord avec Poutine pour un crédit de 15 milliards de dollars et une réduction du prix de gaz fourni. C’était l’étincelle. Le combustible, c’était autre chose, et pas seulement la question européenne.

Le problème fondamental en Ukraine n’est ni le choix entre l’Europe et la Russie, ni l’opposition entre Est et Ouest. Il réside dans le caractère de la société ukrainienne. Comme ailleurs en ex-Union soviétique dans les années ’90, il s’est installé un capitalisme mafieux et corrompu. Comment pourrait-il en être autrement, car ce capitalisme a été créé sur la seule base possible, celle du détournement et du vol de la propriété publique à une échelle de masse.

Les oligarques et autres affairistes qui ont accaparé les entreprises nouvellement privatisés agissent comme leur compères en Russie. Ils enregistrent leurs sociétés à l’étranger, souvent dans des paradis fiscaux, ils exportent leurs capitaux. Ils ne paient pas d’impôts.

Qui vole, dirige

A l’Est, dans les zones industrielles, les privatisations ont été accompagnées d’une montée de chômage et de salaires impayés. Aujourd’hui, les salaires sont de misère mais les salariés qui ont un emploi s’y accrochent. C’est souvent le cas, comme à l’époque soviétique, que l’usine où ils travaillent est la seule de la ville, ce qui les rend dépendant de leur employeur, qui par ailleurs contrôle souvent en plus les média locaux et les élus de la ville. A l’Ouest, il y a une autre situation.

Ce sont des régions relativement peu industrialisées, où l’agriculture joue un rôle dominant. Les terres sont tombées sous le contrôle d’énormes entreprises de l’agrobusiness, des agroholdings, chassant beaucoup de paysans de leurs terres. Beaucoup sont partis travailler à l’étranger. Beaucoup de ceux qui restent dépendent des versements en provenance de l’étranger et des allocations publiques.

Il aurait été étonnant que sur cette base socio-économique apparaisse une société et une vie politique propre. Et ce ne fut pas le cas. A l’époque de l’Union soviétique, l’Etat s’occupait, tant bien que mal, de ces citoyens, du berceau jusqu’au tombeau. Aujourd’hui en Ukraine, on paie pour tout, de la crèche jusqu’au cimetière.

Et ce n’est pas à cause des privatisations, car beaucoup de services sont encore publics. Tout simplement, pour avoir une place à la crèche, un diplôme à l’Université, un emploi, une autorisation pour créer une entreprise, une place au cimetière, il faut graisser des paumes.

Corruption généralisée

Et évidemment quand on arrive dans le monde des affaires et celui de la politique, les sommes concernées, par exemple pour avoir des contrats d’Etat ou se faire élire député, sont beaucoup plus importantes. Toute la société est gangrénée par la corruption, sur fond d’une énorme inégalité entre riches et pauvres.

Quand aux partis politiques, ils sont liés, soutenus et financés par les différents oligarques: et une fois au pouvoir, les hommes et femmes politiques s’enrichissent. Ianoukovitch, ses fils et son entourage l’ont fait grossièrement. Mais cela vaut aussi pour le parti de Tymoshenko quand elle était au pouvoir.

Quant à l’ancien boxeur Vitali Klischko, il jouit encore d’un certain respect parce qu’il n’a pas encore été au pouvoir et qu’il a gagné l’argent honnêtement comme sportif. Cela ne veut pas dire que son parti agirait différemment des autres une fois au pouvoir. Sans parler de la probabilité qu’il reçoive de l’argent d’Allemagne.

Ce qui manque en Ukraine, ce sont des partis qui se basent sur des programmes politiques et sociaux et non pas sur les intérêts de tel ou tel clan. Ce qui manque très spécifiquement, c’est un parti de gauche. Certes, il y a le Parti communiste d’Ukraine. A regarder son programme social, il n’y a pas grand chose à redire. Par ailleurs, il a fait la proposition constructive d’un référendum sur les choix d’orientation internationale et défendait le retour à un régime parlementaire plutôt que présidentiel.

Où est la gauche?

Le hic est que ce parti est perçu, et avec raison, comme ayant été lié au régime de Ianoukovitch. Il a voté systématiquement avec le Parti des régions, rejoignant même le gouvernement en 2010. Il a voté en faveur des lois répressives du 16 janvier dernier, qu’il justifiait par la suite. Et malgré certaines critiques tardives à l’encontre du régime Ianoukovitch, il place la responsabilité pour la crise actuelle sur le Maïdan.

Il faut voir comment il se positionne dans la nouvelle situation qui s’ouvre. Par ailleurs, surtout depuis la chute de Ianoukovitch, il a été victime d’agressions et d’attaques contre ses locaux qui sont à condamner absolument.

Revenons à l’origine du mouvement. Ce qui l’a déclenché, c’est la volte face de Ianoukovitch.  Mais à la différence de la « Révolution orange » de 2004, le mouvement est parti d’en bas. En 2004, les manifestations demandaient l’annulation d’une élection présidentielle truquée et la tenue d’une nouvelle élection et il a était clairement dirigé par le candidat Youshchenko et par Ioulia Tymoshenko.

Cette-fois-ci, le mouvement a été spontané et dés le début plutôt méfiant à l’égard de l’opposition officielle qui a  été obligée de lui courir après et se trouvait souvent coincée entre le mouvement et le pouvoir.

Qu’est-ce qui a motivé les premières manifestations? Bien sûr, la question de l’Europe a eu son importance. Pour beaucoup de gens, vue d’Ukraine, l’Europe représentait la prospérité, la démocratie, les droits de l’Homme. Ils ne croyaient pas forcément que l’Europe était le paradis. Juste mieux que l’Ukraine. Avaient-ils raison ? Sur la démocratie et les droits de l’Homme, oui et non. Bien sûr, comme nous le savons, l’UE a un fonctionnement anti-démocratique.

UE: les désavantages, sans les avantages

Mais les Etats membres des Etats sont des démocraties qui respectent les droits civiques – avec des bémols, avec des lois répressives, bien sûr. Mais ce n’est pas comparable à l’Ukraine ou la Russie. A propos du partenariat avec l’Union européenne, c’est autre chose. Dans le cadre de l’accord proposé, l’Ukraine n’aurait même pas eu la perspective d’adhésion à l’UE et ses citoyens n’auraient donc pas eu de liberté de mouvement.

Ce serait une zone de libre échange avec acceptation des règles de l’Union, avec l’imposition des « réformes » qu’on connaît bien, avec l’ouverture de son marché et son économie aux exportations et investissements occidentaux, avec exploitation de sa force de travail bon marché. Tous les désavantages de l’UE sans beaucoup d’avantages.

Mais on peut parier que pas grand monde en Ukraine n’avait lu les termes de l’accord. En fait,  l’UE avait une autre attraction. Elle n’était pas la Russie. Surtout en ce qui concerne l’Ouest et le Centre, où le sentiment antirusse reste fort, cela a beaucoup joué. Il y avait la suspicion que les accords avec la Russie n’étaient que le premier pas vers l’adhésion à l’Union douanière et plus tard à l’Union eurasienne de Poutine. Et le sentiment était, « surtout pas ça, nous avons déjà donné.  »

On a déjà donné!

Et à l’Est ? Les sentiments antirusses sont beaucoup plus faibles et il y a avec la Russie des liens linguistiques, culturels mais aussi économiques. Pour la majorité de la population, les accords avec Poutine ont beaucoup moins choqué. Mais de là à dire que le gens seraient prêts à se laisser entraîner dans l’Union eurasienne… c’est beaucoup moins sûr. Et il y a eu des manifestations à l’Est. Elles ont été réprimées. Mais elles n’ont pas été négligeables.

Un sondage a indiqué que le mouvement avait le soutien de 80 % des gens à l’Ouest, 30 % à l’Est et 20 % au Sud.  Il semble aussi que c’est à partir du mois de janvier, quand la question européenne a été éclipsée par l’affrontement avec les forces de répression, quand la lutte contre tout le système représenté par Ianoukovitch est devenue centrale, que l’Est a commencé à bouger.
Les vrais problèmes de l’Ukraine sont endogènes, le produit de la transition vers le capitalisme et la société ainsi engendrée.

Ce sont sur des questions qui en découlent que les gens sont descendus dans la rue en 2004. Bien sûr, le soutien actif de l’Occident a été un facteur important. Mais les Ukrainiens ne sont pas descendus dans la rue à l’appel de l’Occident, mais par indignation à la fraude électorale. Et à partir du 21 novembre dernier, ils ne sont pas descendus dans la rue à l’appel de l’UE mais parce qu’ils pensaient que Ianoukovitch était en train de les amener là où ils n’avaient pas envie d’aller et que quelque part, ils avaient été floués.

Ni Russie, ni Occident

C’est important de dire cela, car les gens ne sont pas des moutons. A trop insister sur les complots et les ingérences extérieurs, on laisse les arbres cacher la forêt. Et la forêt, c’est le mouvement de masse. Ceci dit, ces ingérences existent, et l’environnement international a toujours pesé – et pèse encore plus depuis la chute de Ianoukovitch.

L’Ukraine est devenue un enjeu géopolitique entre l’Ouest – les Etats-Unis et l’UE – et la Russie. A l’Ouest, chacun a son poulain. Pour les Américains, c’est Yatseniuk, pour les Européens et surtout les Allemands, c’est Klitschko.

Pour la Russie, ce qui est central, c’est le projet de l’Union eurasienne. Poutine regrette l’Union soviétique. Mais pas pour ses fondements socio-économiques. Ce qu’il regrette, c’est son statut de grande puissance, ses frontières et l’appareil policier où il a été lui-même formé. Et il essaie de les restaurer. L’Union eurasienne est sa tentative de rétablir une sphère d’influence économique et politique dans l’espace qui était celui de l’Empire russe et de l’URSS. Et pour cela, l’Ukraine est essentielle.

Voilà pourquoi il a fait tellement d’efforts pour empêcher que l’Ukraine signe le partenariat. Sur le plan économique, la Russie est infiniment plus faible que l’Europe ou les Etats-Unis. Mais il a plus besoin d’Ukraine qu’eux. Et si la situation en Ukraine le permet, il peut intervenir militairement. Là-dessus, il aura sans doute le soutien de l’opinion publique russe, car ce que certains appellent le nationalisme russe, mais que Lénine appelait toujours le chauvinisme grand-russe, reste très fort et est largement partagé à travers l’éventail politique.

Un parti communiste… impérialiste?

Malheureusement, c’est aussi vrai pour le Parti communiste de la Fédération de Russie. Les déclarations telles « le présidium du CC du PCFR se prononce pour une posture active et maximale de la part de la Fédération de Russie dans la tâche de normaliser la situation en Ukraine » sont une honte, un appel à l’intervention en Ukraine. Un vrai parti communiste s’opposerait aux ambitions impérialistes de son pays plutôt que de les encourager.

En guise de conclusion, une question. Sommes-nous devant une révolution en Ukraine ? Dans la préface à son « Histoire de la révolution russe », Léon Trotsky écrit : « L’histoire de la révolution est pour nous, avant tout, le récit d’une irruption violente des masses dans le domaine où se règle leurs propres destinées ».

Par cette définition-là, ce qui se passe en Ukraine est une révolution. Ce n’est pas tout joli? Il y a des fascistes et des idées réactionnaires? Lénine avait une réponse à cela qui est trop longue à citer ici mais qui se résume de la manière suivante: quiconque s’attend à une révolution pure ne la verra jamais.

Il est impossible d’avoir une vraie révolution sans l’éruption sur la scène de la petite bourgeoisie avec tous ses préjugés réactionnaires. On peut dire qu’en Ukraine, avec son histoire, avec l’extrême faiblesse du mouvement ouvrier et de la gauche, c’est encore plus vrai.

Le mouvement en Ukraine a beaucoup de faiblesses et pas mal de tares.  Mais il a connu une première et grande victoire. Il reste beaucoup d’obstacles sur la voie d’une vraie révolution sociale et démocratique. A l’intérieur, la classe politique, les fascistes, les oligarques. A l’extérieur, les impérialismes occidentaux, la Russie. Il mérite la solidarité de la gauche en Europe pour les surmonter. On y reviendra.

Venezuela: Approfondir la révolution pour la sauver

Face aux insuffisances de la révolution bolivarienne, la droite vénézuélienne tente un nouveau coup d'Etat. Dans ce contexte, Goosch publie une prise de position de l'organisation révolutionnaire Marea Socialista.

Venezuela: Approfondir la révolution pour la sauver

 

Marea Socialista est un des courants du PSUV (Parti socialiste uni du Venezuela)

Le 12 février dernier a débuté la partie violente de l’offensive de la droite. Jusqu’à présent prédominait la pression économique, l’organisation des pénuries, la spéculation sur les prix et une manipulation de la crise économique ayant une caractéristique de guerre économique. La violence s’ajoute aujourd’hui à la pression politique et idéologique.

Un secteur de cette droite, dont les principales figures sont Leopoldo López et María Corina Machado, occupe la rue de manière violente pour compléter la prise en tenaille, approfondir l’usure du gouvernement de Nicolás Maduro et chercher à récupérer le contrôle du pays en faveur de la bourgeoisie locale et internationale.

Négociatrice ou violente, la droite vénézuélienne poursuit le même objectif

Il ne faut pas s’y tromper : qu’elle soit « négociatrice » ou « violente », la droite politique et la bourgeoisie n’ont qu’un seul et unique plan de gouvernement. Ce plan a été rendu public par un communiqué de 47 économistes de l’opposition à la fin du mois de janvier dernier. Et il repose sur trois axes : la libération du dollar, l’endettement international avec les centres du pouvoir financier comme le FMI et, prétextant du déficit budgétaire, l’application de contre-réformes afin de démanteler les conquêtes politiques, sociales et économiques du peuples vénézuélien. Tout cela vise également à récupérer le contrôle du PDVSA (entreprise de pétrole nationalisée). Ils veulent tout et pas seulement une partie des dollars provenant de la rente pétrolière.

Au-delà des deux tactiques de la droite, nous sommes en présence du schéma classique des contre-révolutions. Il consiste à mettre le gouvernement sous pression pour qu’il applique des mesures anti-populaires et perdre ainsi sa base sociale, en approfondissant son usure vis-à-vis du peuple bolivarien. Il sera alors forcé de partir, que ce soit de manière violente ou plus « en douceur ».

Le gouvernement du président Maduro est en train de commettre une grave erreur en pensant qu’il existe une droite « violente » et une autre « pacifique » avec laquelle on peut négocier et qui serait prétendument respectueuse de la Constitution. Comme dans la vieille combinaison de la carotte et du bâton, ces secteurs convergent en réalité dans un objectif commun : abattre le processus bolivarien.

Mais l’erreur principale du gouvernement réside dans ses oscillations hésitantes qui l’amènent à appliquer les mesures exigées par la droite. Avec l’annonce du « SICAD 2 » (système financier de gestion des taux de change) s’ouvrirait la voie à la libération d’une partie substantielle de la rente pétrolière en faveur du capital et le risque de transformer l’inflation importante actuelle en hyperinflation, accentuant encore plus les problèmes de pénuries de produits. Cette annonce d’un nouveau taux de change du dollar ne fera qu’augmenter le malaise social ressenti aujourd’hui dans le pays. Et il approfondira la désorientation et le mécontentement du peuple qui vit de son travail.

Contre la droite: plus de pouvoir au peuple!

En tant que Marea Socialista, nous affirmons avec détermination notre engagement en faveur du processus bolivarien contre toute tentative de coup d’Etat, même déguisé avec des mobilisations de sympathisants de la droite dans les rues. Mais nous alertons sur le fait que la poursuite de la voie de l’adaptation aux exigences des capitalistes nous entraînera dans une situation de reculs et de perte de contrôle irrécupérable.

C’est pour cela que nous appelons le gouvernement du président Maduro à rectifier son orientation et à appliquer des mesures anticapitalistes afin de garantir l’approvisionnement en produits, freiner l’augmentation incontrôlée des prix et mettre en œuvre une nouvelle phase du processus bolivarien. Nous proposons en outre les mesures d’urgence économiques et politiques suivantes :

1) Pas un dollar de plus pour la bourgeoisie. Que l’Etat applique sous contrôle social et anti-corruption le monopole du commerce extérieur et soit l’unique importateur des biens essentiels de notre peuple.

2) Centralisation nationale sous contrôle social de tous les dollars du pays. Que ce soit ceux qui proviennent du pétrole comme ceux qui sont déposés dans des fonds à l’étranger.

3) Intervention et contôle étatique et social des travailleurs bancaires, de tout le système bancaire privé qui opère dans le pays, afin de financer le fonctionnement de l’économie. Contrôle centralisé de tous les fonds gérés par la banque publique.

4) Renforcement urgent de la production alimentaire étatique et en produits de consommation de base. Expropriation sous contrôle ouvrier et populaire des grandes entreprises impliquées dans les opérations d’accaparement, de spéculation ou de contrebande.

5) Demander aux peuples et exiger des gouvernements d’Amérique latine leur soutien solidaire en aliments et médicaments pour affronter la situation d’urgence.

En même temps nous demandons:

1) De mettre un terme à l’impunité de la droite. Nous soutenons ainsi l’ordre d’arrestation contre Leopoldo López du fait de sa responsabilité morale et intellectuelle par rapports aux événements violents du 12 février. Mais nous réclamons aussi la détention d’Enrique Capriles et de tous les responsables des 11 assassinats du 15 avril 2013.

2) Nous appelons à encourager et à soutenir la mobilisation et la lutte des secteurs du peuple bolivarien et au-delà qui sont en train de défendre leurs conquêtes. Ceux qui luttent pour les salaires, pour la défense de leur poste de travail, pour leurs contrats collectifs, comme les électriciens et bien d’autres. Nous appelons à encourager et non à criminaliser la protestation légitime du peuple qui vit de son travail. Il faut affronter de manière déterminée la contre-révolution mais en respectant et en stimulant la lutte du peuple travailleur, paysan et populaire et l’orienter afin d’obtenir des mesures anticapitalistes.

3) Nous insistons sur la proposition d’une participation réelle et effective à la prise de décision du gouvernement des organisations sociales et politiques du peuple révolutionnaire, de ses syndicats de base, de ses conseils de travailleurs, de ses mouvements sociaux et populaires, afin de garantir qu’on gouverne au service du peuple travailleur et en faveur des intérêts de la révolution.

4) Nous demandons de soutenir les médias communautaires et alternatifs en tant que réseau national de communication de ceux qui luttent contre la droite et en défense des conquêtes de la révolution. Nous exigeons d’ouvrir immédiatement les médias publics aux débats et opinions de tous ceux qui défendent le processus bolivarien.

5) Nous appelons à ouvrir les casernes de notre Force Armée Bolivarienne au débat public avec l’ensemble du peuple révolutionnaire et de ses organisations.

Il est encore temps aujourd’hui de changer de cap par rapport à l’orientation conciliatrice avec la bourgeoisie et pour impulser des mesures anticapitalistes effectives avec la participation démocratique du peuple qui vit de son travail. Mais demain, il sera peut-être trop tard.

Des jeux pas gays mais complètement givrés

Quand on lui parle de Jeux olympiques d'hiver, Robert Fiels, qui aime le sport et le socialisme, se lance à tout-va sur la piste rouge.

Des jeux pas gays mais complètement givrés

 

Avant même de commencer, les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi avaient battu un record: celui des JO les plus chers de l’histoire. 50 milliards de dollars, alors que les pouvoirs publics russes sont mis à la diète, notamment dans les services de santé où il y a des pénuries graves de personnel et même d’ambulances !

2ème « médaille » pour la Russie de Poutine : l’homophobie. Votées en juin 2013, les lois homophobes « interdisant toute propagande homosexuelle parmi les jeunes » ont suscité une vive indignation parmi de nombreuses organisations de défenses des droits des LGBTQI (Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Transgenres, Queers, Intersexes) à travers le monde, certaines appelant au boycott des Jeux de Sotchi.

Des élus européens se sont eux aussi montrés inquiets et « demandent » par ailleurs à la Russie d’abroger la loi. La question des discriminations envers les homosexuels était jusqu’à présent simplement ignorée par le pouvoir russe. Les JO ont obligé le maire de Sotchi et Poutine lui-même à sortir de leur silence, soit en nous expliquant qu’il n’y avait pas de problème, soit d’une manière encore plus stupide en déclarant que « les homosexuels sont les bienvenus à Sotchi, à condition qu’ils laissent les enfants tranquilles »… Toujours est-il que les députés russes se préparent à débattre très bientôt d’une nouvelle loi anti-gay qui retirera leurs droits parentaux aux homosexuels en raison de leur orientation.

Entre stupidité poutinienne et hypocrisie européenne

De leur côté, l’Union européenne et Coca-Cola mènent une même politique hypocrite. La célèbre boisson gazeuse qui sponsorise les JO a récemment dévoilé une campagne de pub « gay-friendly » mais se tait dans toutes les langues sur les lois discriminatoires russes. Quant à l’Union européenne, ses dirigeants donnent des leçons de morale à Poutine alors qu’ils mettent en place et votent des politiques tout aussi réactionnaires et antisociales, comme l’illustre la loi anti-avortement récemment passée en Espagne ou encore le fait que près de 30 % des Grecs sont actuellement sans aucune couverture sociale.

Larbins crétins

L’esprit olympique n’a pas vraiment dopé le sens critique des journalistes. Au contraire, les commentateurs sportifs français rivalisaient dans leurs « disciplines » de prédilection :
1. La mysoginie et le sexisme
2. Le chauvinisme
3. La méconnaissance des sports qu’ils sont sensés commenter
4. Le placement de certaines marques et sponsors dans les commentaires

Bref, d’un point de vue journalistique, des records de médiocrité ont été battus, mais on n’a pas eu droit à une seule allusion critique sur l’organisation des Jeux. Peut-être ces dociles « journalistes » n’avaient-ils même pas remarqué qu’à peine arrivés à Sotchi, leurs ordinateurs portables et leurs téléphones avaient été piratés par les services de renseignement russes (FSB).

Heureusement, certains médias engagés se sont posé des questions, comme par exemple : « Pourquoi Sotchi ? Choisir une station balnéaire désertée pour accueillir des JO d’hiver n’est pas plus stupide que choisir un émirat où règne des températures extrêmes (45°C) pour le mondial de foot. »

Reste que ces Jeux laissent un goût amer aux amoureux du sport dont nous faisons partie. Ils posent indirectement la question de la toute-puissance du business sur un grand nombre de disciplines sportives et de l’utilisation du sport à des fins politiques (ce qui n’est pas vraiment nouveau).

Que faire ?

Alors que faire ? Faut-il fuir le sport pour ne pas participer à son aliénation ? Non, ce ne serait pas fair-play, et puis si tous les dégoûtés s’en vont, on sait trop bien ce qui restera.

La solution, ce serait plutôt de reprendre le pouvoir sur le sport, ses structures, son fonctionnement, afin de décider démocratiquement des règles du jeu. Comment ? Voici quelques pistes :

· Les fédérations sportives devraient être gérées par des représentants élus par les sportifs, les supporters, et le public (dont les parents des jeunes notamment).
· Des financements publics doivent être prévus pour toutes les disciplines, afin de démocratiser l’accès au sport. Le football qui était traditionnellement le sport le plus accessible (et le plus populaire) est devenu de moins en moins abordable pour les familles qui veulent inscrire leur enfant dans un club.
· L’organisation des compétitions devrait être confiée à des comités élus par les sportifs et indépendants des sponsors et autres financeurs privés.
· Le pluralisme (hommes / femmes / handicapés…) devrait être introduit dans les épreuves relais ou dans les sports collectifs où cela est praticable. Ce serait une manière de faire vivre une véritable fraternité au travers du sport.

Bref, pour devenir plus sain, le sport a besoin d’une véritable révolution. Car ce qui devrait être avant tout un loisir populaire et un facteur de santé publique ne peut pas être laissé aux mains des marchands du temple. En sport comme dans la société, il est temps de marquer des buts contre le capitalisme.

 

Gauche européenne: le saut qualitatif

L'histoire nous mord la nuque. Face à la crise qui s'aggrave de jour en jour, le Parti de la gauche européenne a décidé de passer à la vitesse supérieure. C'était lors de son 4ème congrès au mois de décembre. Analyse de Jean-Laurent Redondo.

Gauche européenne: le saut qualitatif

 

 

 

 

Du 13 au 15 décembre 2013 s’est tenu à Madrid le 4e Congrès du Parti de la gauche européenne (PGE). Quelque trois cents délégués des 33 partis membres et observateurs, ainsi que de nombreux invités de partis, organisations et mouvements progressistes, y ont assisté. Les orientations du PGE pour les élections européennes de mai 2014 ont fait l’objet de discussions et de décisions. La volonté de rupture avec les politiques austéritaires, indépendamment des formes concrètes qu’elles peuvent prendre dans les différents pays, a été réaffirmée avec force. Ce congrès fera date dans l’histoire du parti dont la gauche radicale européenne s’est doté il y a à peine dix ans.

Dix ans ne représentent qu’un court laps de temps. Ils ont cependant suffi au PGE pour devenir un acteur incontournable de la scène politique internationale. En témoigne la présence au congrès d’Álvaro García Linera, vice-président de l’État plurinational de Bolivie. Le discours de ce dernier a incontestablement été un des moments forts de ce congrès. Le vice-président bolivien a exhorté les peuples européens à dépasser l’état de léthargie dans lequel ils ont sombré et à renouer avec les rébellions, révolutions et messages universalistes, qui par le passé ont fait la grandeur de l’Europe.
Une grande signification politique revêt la présence au 4e Congrès du PGE de la Confédération européenne des syndicats (CES) au plus haut niveau – une première dans l’histoire du PGE. Tant le président de la CES, Ignacio Fernández Toxo, que la secrétaire générale Bernadette Ségol, se sont adressés aux délégués et aux invités présents à Madrid pour décrire la situation accablante que vivent aujourd’hui les salariés européens, à commencer par les 27 millions d’hommes et de femmes actuellement au chômage dans l’Union européenne et pour présenter leurs alternatives à la Troïka en matière de politiques économiques et sociales. Le congrès a connu beaucoup d’autres moments forts, notamment les interventions de représentants de peuples en lutte, venant des quatre coins du monde: Colombie, Venezuela, Cuba, Tunisie, Égypte, Palestine…

Un congrès de l’unité

Incontestablement, le 4e Congrès du PGE a été celui de l’unité. Le document politique «Unir pour une alternative de gauche en Europe», qui est certainement le document de congrès dans la jeune histoire du PGE le plus accentué dans la dénonciation des orientations capitalistes et impérialistes de l’Union européenne et dans l’opposition à ses traités et institutions existants, a été adopté par les délégués à une majorité de 93 %. Les axes programmatiques pour les élections européennes de mai 2014, conçues comme document de travail que les partis nationaux devront concrétiser en tenant compte des spécificités de chaque situation nationale, l’ont été à une majorité de 86 %. Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste français, a été reconduit dans la fonction de président du PGE par plus de 78 % des délégués. Les vice-présidents du PGE Marisa Matias, Margarita Mileva, Maite Mola et Alexis Tsipras, ainsi que le trésorier Diether Dehm, ont également obtenu des scores très élevés.

Une des décisions les plus importantes du congrès a été la désignation d’Alexis Tsipras comme candidat du PGE à la présidence de la Commission européenne. Cette candidature, présentée dans le cadre de la campagne pour les élections européennes de mai 2014, ne doit cependant pas être comprise comme un ralliement aux institutions non démocratiques de l’actuelle Union européenne.
Dans son discours d’ouverture du congrès du PGE, Pierre Laurent a apporté les clarifications nécessaires en rappelant la résolution du Conseil des Présidents du PGE à ce propos: «Le Conseil des Présidents a discuté de la possibilité de présenter un candidat commun à la Présidence de la Commission européenne. Le PGE ne croit pas que cette disposition nouvelle soit de nature à démocratiser l’Union européenne. Elle ne masquera pas, comme l’espèrent les dirigeants européens de la Troïka, leur autoritarisme. (…) Il n’y a pourtant aucune raison, lors de la campagne électorale, de laisser le monopole de la parole aux forces responsables de la crise. Les peuples, les travailleurs, toutes celles et ceux qui luttent contre l’austérité et pour une refondation de l’Europe doivent avoir un porte-voix. Pour le PGE, cette candidature serait un symbole fort d’espoir pour l’Europe. La Grèce a servi de cobaye aux politiques d’austérité. Mais la Grèce a résisté et résiste encore. Syriza, le parti dont Alexis Tsipras est le président, a su rassembler le peuple grec contre les memoranda barbares et l’autoritarisme et pour un redressement de la Grèce dans une Europe solidaire. La voix d’Alexis Tsipras serait donc celle de la résistance et de l’espoir face aux politiques ultra-libérales et face à la menace de l’extrême droite. Cette candidature pourrait rassembler de nombreux citoyens et de nombreuses forces politiques.»

Le ralliement à la candidature d’Alexis Tsipras annoncée aux congressistes réunis à Madrid par Jonas Sjöstedt, le président du parti de gauche suédois Vänsterpartiet, en a encore souligné la grande valeur symbolique. Le Vänsterpartiet est actuellement crédité dans les sondages d’un score de 8 % aux prochaines élections générales suédoises prévues pour septembre 2014. Pour mesurer à sa juste valeur l’importance de cette décision, il faut se rappeler que la sensibilité gauche verte nordique avait au début pris beaucoup de distance avec le projet de construction d’un parti de gauche européen.

Il faut également insister sur l’ambiance du congrès. Au fil des dix ans de son existence, le PGE s’est transformé progressivement d’une union de partis frères nationaux en un parti européen, qui a comme ambition de refonder l’Europe sur des bases totalement opposées à l’actuelle construction de l’Union européenne au service des seuls intérêts du capitalisme financiarisé. Une ambiance de fraternité, qui commence à transcender la diversité des cultures politiques ayant convergé dans le PGE, s’est installée. Les votes sur les documents politiques, ainsi que les élections aux fonctions dirigeantes du parti, qui font apparaître des majorités et minorités fluctuantes, sont devenus une méthode de travail normale. Au cours des premières années de l’existence du PGE, il en allait encore autrement. Au congrès de Madrid, les résultats des votes ont même été parfois très serrés. Tel était le cas pour les votes sur les motions relatives à l’écosocialisme et sur les structures féministes, dont le PGE devrait se doter.

Tout en prenant acte avec satisfaction des progrès démocratiques réalisés dans la vie interne du PGE, on doit cependant convenir que la méthode de travail basée sur le consensus devra prévaloir à l’avenir. C’est cette méthode qui a fait ses preuves depuis les premières concertations entre partis frères nationaux en vue de fonder un sujet politique européen, il y a une dizaine d’années. Mieux vaut marcher plus lentement, mais continuer le chemin ensemble en plus grand nombre! Dans le cas du PGE, le bien-fondé de cette approche s’est vérifié tout au long de ses dix années d’existence. Qui plus est, elle n’a pas été un obstacle aux progrès continuels réalisés dans la perception collective des défis européens qui se posent à la gauche radicale. La grande unité constatée à Madrid est précisément le résultat d’un processus d’une année, au cours duquel les partis membres et observateurs du PGE ont préparé le 4e Congrès de façon collective et consensuelle, tout en s’enrichissant mutuellement.

Après le congrès de Madrid, le PGE est en ordre de bataille pour entamer une année importante avec en ligne de mire les élections européennes. La candidature d’Alexis Tsipras à la présidence de la Commission européenne en dit long sur les nouvelles ambitions du PGE pour construire une autre Europe. Au printemps déjà, le PGE organisera à Bruxelles une conférence sur la restructuration des dettes publiques. Cette conférence, qui sera largement ouverte aux forces politiques et syndicales, mouvements sociaux et milieux universitaires progressistes, devra défricher des pistes pour briser le cercle vicieux des politiques austéritaires imposées à l’Europe par la Troïka. Évidemment, le PGE s’engagera, tout au long de l’année, dans la «mère de toutes les batailles» contre le grand marché transatlantique entre l’Union européenne et les États-Unis, qui fait planer un danger mortel sur le modèle social européen tel qu’il subsiste encore. Enfin, le PGE se propose d’organiser à l’avenir chaque année un «Forum européen des alternatives», conçu comme nouvel espace de convergences progressistes avec toutes les forces politiques, syndicales et sociales, qui y sont disponibles. Une première édition de ce forum est prévue pour l’automne.

Retour en arrière

En se rappelant les origines du PGE, on doit regretter que la méthode de travail basée sur le consensus n’ait pas toujours été appliquée avec assez de conséquence. Il en est résulté des blessures, qui, jusqu’à ce jour, tardent à cicatriser complètement. On s’en est bien rendu compte en écoutant attentivement les interventions à Madrid des représentants de partis communistes, jouissant d’une grande représentativité dans leur paysage politique national, tel le Parti communiste de Bohême et Moravie (République tchèque) et le parti chypriote AKEL. Le fait que ces partis ont gardé jusqu’à ce jour le statut de parti observateur résulte des difficultés surgies au cours de la période de fondation du PGE.

À cette époque, l’interprétation du concept de «stalinisme» faisait débat et les avis divergeaient sur la vitesse avec laquelle on devait avancer dans la construction du nouveau sujet politique européen. Évidemment, on ne pouvait transiger sur la nécessaire rupture avec les néfastes pratiques staliniennes, qui, au cours du siècle passé, ont causé d’innombrables torts au mouvement ouvrier. De même, on ne pouvait pas prolonger indéfiniment le processus de formation du nouveau sujet politique européen sans courir le risque de faire échouer tout le projet. Il n’est non moins vrai qu’en agissant avec plus de circonspection lors de la fondation du PGE, on aurait pu éviter certaines controverses dont les conséquences négatives se font ressentir jusqu’à ce jour.

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Fabienne Lentz, porte-parole de déi Lénk et membre du Bureau du PGE (photo: el4thcongress)

Il faut bien se rendre compte que la tâche entreprise il y a une dizaine d’années, consistant à rassembler dans une maison européenne commune des partis politiques aux orientations idéologiques et aux traditions et cultures politiques très diverses, représentait un défi énorme. Trouver un consensus entre partis communistes, socialistes de gauche et rouges-verts et dépasser l’antinomie stérile entre «stalinisme» et «trotskisme» étaient déjà en soi une entreprise difficile. Mais, au-delà de toutes les différenciations idéologiques, il fallait également rassembler des forces politiques qui avaient des vues différentes sur l’Union européenne et ses institutions.

Le point de départ du processus innovant entrepris à l’époque consistait dans la prise de conscience qu’indépendamment de l’analyse concrète qu’on pouvait faire de l’Union européenne, il ne suffisait plus de s’opposer aux contre-réformes néolibérales et de lutter pour une alternative sociale et écologique au seul niveau de l’État national. La gauche radicale était désormais obligée d’affronter les bourgeoisies européennes sur le terrain privilégié qu’elles avaient choisi pour renverser les rapports de forces en leur faveur et annuler les conquêtes sociales du mouvement ouvrier obtenues au cours de la période historique précédente. Il fallait impérativement étendre la lutte des classes au niveau européen. Ce terrain politique ne devait pas être abandonné aux seules forces conservatrices, libérales et sociales-démocrates. La gauche radicale y devait peser de tout son poids en regroupant au sein d’une formation politique supranationale, dans la mesure du possible, tous les partis situés à gauche de la social-démocratie qui disposaient d’une assise électorale dans les différents pays européens.

Controverses

Il faut aussi revenir sur certaines controverses suscitées à Madrid par la délégation du Parti de gauche français (PG). La première de ces controverses renvoyait au concept d’«écosocialisme». Avec 48 % de votes pour et 43 % contre, la motion sur les questions écologiques proposée par le PG, conjointement avec l’Alliance rouge-verte (Danemark), Syriza (Grèce), le Bloco de Esquerda (Portugal) et Die Linke (Allemagne), a été approuvée par le congrès. La motion a donné lieu à un débat contradictoire non pas à cause de son contenu, mais à cause de la volonté d’imposer au PGE dans son ensemble le concept d’«écosocialisme». Sur les idées fortes de la motion, un consensus beaucoup plus large aurait pu être atteint: la nécessité d’une transformation socialiste de la société allant de pair avec une transition écologique et énergétique; la dénonciation du productivisme capitaliste, qui met en danger notre écosystème et les bases mêmes de la civilisation humaine; la critique du consumérisme et l’affirmation de la nécessité d’un partage équitable des richesses produites aujourd’hui, en opposition à la course effrénée vers toujours plus de croissance économique comme préalable à une «redistribution des richesses», qui en fait ne fait qu’augmenter les inégalités sociales; l’insistance sur la nécessité d’une planification écologique, du développement de formes diverses de propriété collective et du contrôle exercé par les travailleurs et les usagers sur les moyens de production. C’est le mot «écosocialisme» qui a suscité des oppositions. Certains partis membres du PGE ne reprennent pas à leur compte le concept d’«écosocialisme», tout en partageant largement les analyses contenues dans la motion. N’aurait-il donc pas été plus efficace, dans le cadre des choix programmatiques à assumer par le PGE dans son ensemble, de renoncer au concept idéologique d’«écosocialisme», afin d’aboutir à un consensus beaucoup plus large sur les contenus concrets?

L’opposition réitérée par la délégation du PG à la reconduction de Pierre Laurent à la tête du PGE a été à l’origine d’une autre controverse. Dans son intervention en session plénière du congrès, François Delapierre, secrétaire national du PG, a motivé une nouvelle fois cette position en invoquant l’alliance du PCF avec le PS français dès le premier tour aux élections municipales de mars 2014 dans un certain nombre de villes et en insistant en particulier sur la situation créée à Paris. Il a cependant dû concéder que sur ce sujet le PG n’était suivi par aucun autre parti.

Malgré ce constat, le PG a annoncé en fin de congrès qu’il allait suspendre sa participation au PGE jusqu’aux élections municipales. Un grand nombre de délégués ont accueilli cette annonce avec désapprobation. Comme il ressort d’un billet de blog rédigé à ce sujet par Éric Coquerel, secrétaire national du PG lui aussi, cette décision ne devrait avoir qu’un caractère tout à fait symbolique: «Pour autant, la décision de suspendre de façon provisoire notre participation au PGE a été prise. Jusqu’aux municipales très exactement, soit 4 mois. C’est en quelque sorte une suspension conservatoire.»

«Une suspension conservatoire»

Il n’en reste pas moins que cette façon de procéder est contestable. Avec le respect dû à la grande nation française, qui a apporté tant de progrès de civilisation à l’humanité toute entière depuis la Révolution de 1789, posons-nous la question suivante: Quelle est l’incidence des élections municipales à Paris sur l’Europe prise dans son ensemble? Pierre Laurent a été un très bon président depuis sa première élection au 3e congrès du PGE à Paris en 2010. Depuis lors, le PGE n’a fait aucune concession au social-libéralisme. Tout au contraire! Il n’a fait que progresser dans ses analyses de l’Europe capitaliste – collectivement et dans l’unité! C’est également le cas pour l’approfondissement d’une stratégie de désobéissance vis-à-vis de l’Union européenne et de ses traités néolibéraux.

Quant au débat de fond qui agite actuellement le Front de gauche, il faut convenir qu’il dépasse de loin les frontières françaises. À ce jour, une réponse définitive n’a pas pu y être apportée. Partout en Europe, la gauche radicale doit assumer les contradictions provenant des deux stratégies suivantes: «se positionner en autonomie conquérante» respectivement «devenir le centre de gravité de la gauche toute entière». Comme sur beaucoup d’autres sujets, aucune dichotomie noir-blanc n’est de mise ici! Il faut sortir par le haut de ce débat. Une gauche radicale moderne se doit d’assurer une dialectique qui prend en compte la complémentarité des deux stratégies et non de leur irréductibilité.

Laissons le mot de la fin à Éric Coquerel. Dans le billet de blog cité plus haut, il écrit: «Cela nous oblige […] à politiser nos discussions, à les dégager des facilités de la polémique gratuite, et à chercher en toute occasion les équilibres à même de préserver notre unité. Cette unité qui doit être protégée comme notre plus grand acquis, car elle fut (et elle reste) aux fondements de tous nos succès des quatre années écoulées, de notre percée au premier tour de l’élection présidentielle, de la place incontournable que nous occupons sur le champ de la gauche française.» En effet, les peuples européens, qui sont confrontés à la pire crise du capitalisme depuis la Grande Dépression de 1929, ont besoin d’une gauche européenne unie – et, en France, d’un Front de gauche qui l’est tout autant!

Retour sur les élections municipales à Paris

C'est au mois de mars prochain qu'auront lieu en France les élections municipales. Pour le Front de gauche, l'enjeu est de taille, notamment dans la capitale. Et la division annoncée ne peut laisser indifférent. Une analyse de Jean-Laurent Redondo.

Retour sur les élections municipales à Paris

 

 

 

Sans aucun doute eût-il été préférable que les adhérents parisiens du Parti communiste français (PCF) aient voté pour une liste autonome du Front de gauche au premier tour des élections municipales de mars 2014. Le fait qu’ils aient voté à 57 % pour des listes communes avec le Parti socialiste dès le premier tour doit cependant être accepté comme expression démocratique de la base du PCF à Paris.
Remarquons que la discussion ne porte que sur le premier tour, alors que le système électoral français impose à la gauche de se rassembler de façon très large au deuxième tour, si elle veut s’imposer face à la droite et à l’extrême droite. Et prenons acte du fait que dans l’essentiel des villes de plus de 20.000 habitants, dont Marseille, Nice, Bordeaux, Lille, Strasbourg, Nîmes, Metz, Le Havre, ou encore Lyon – dans ce dernier cas la base du PCF a voté contre les consignes de sa direction – le Front de gauche dans son ensemble est au cœur de rassemblements à gauche de la social-démocratie.
Mais revenons un instant sur la situation créée à Paris. À décharge de la fédération de Paris du PCF, on peut invoquer les importantes concessions qu’Anne Hidalgo, candidate socialiste à la Mairie de Paris, a dû faire.
Ainsi, en cas de victoire, le PCF obtiendra substantiellement plus de postes de conseillers de Paris, de conseillers d’arrondissement et de maires adjoints. Une augmentation du nombre d’élus locaux communistes est toujours une garantie pour une plus grande prise en compte des besoins et des droits sociaux des travailleurs français. D’ailleurs au niveau programmatique, les communistes parisiens ont su imposer des objectifs ambitieux, tel que la construction de 30 % de logements sociaux à Paris à l’horizon de 2030 ou encore la gratuité des premiers m3 d’eau.

Meeting Place au Peuple à Paris, discours de… par lepartidegauche
Cependant, tous les arguments qu’on peut avancer pour justifier le choix des communistes parisiens ne contrebalancent pas les inconvénients. Objectivement, on doit constater que le changement dans les rapports de force, qui a permis au PCF de tirer son épingle du jeu, résulte de l’émergence du Front de gauche sur la scène politique française suite à la formidable campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon en 2012.
Mais le principal inconvénient de la situation créée à Paris est la dilution du message politique du Front de gauche dans la capitale française, donc aussi au niveau national. En effet, même s’il ne s’agit que d’élections municipales, celles-ci, pour des raisons évidentes, ne peuvent pas se réduire à une dimension purement locale à Paris. Au moment où la politique néolibérale du président «socialiste» François Hollande risque d’entraîner la gauche, bien au-delà de la seule social-démocratie, dans le discrédit, la confusion provoquée à Paris ne contribuera certainement pas à éclaircir les enjeux politiques. On doit donc constater avec regret qu’il ne reviendra qu’aux seules listes «À Paris, place au peuple!» constituées par le Parti de gauche derrière sa chef de file Danielle Simonnet et la majorité des composantes du Front de gauche, à défendre une authentique alternative sociale et écologique.
Sortir par le haut d’une phase difficile
Au vu des contradictions apparues à l’occasion des élections municipales, toutes les formations politiques qui constituent le Front de gauche, sont appelées à agir avec un grand sens des responsabilités afin de sortir par le haut de cette phase difficile et d’aborder de la meilleure façon possible, ensemble avec leurs alliés européens regroupés dans le Parti de la gauche européenne, les élections européennes de mai 2014. L’enjeu de ces dernières sera cette fois-ci particulièrement important, alors que l’Europe est frappée de plein fouet par la crise du capitalisme financiarisé.
Et il appartiendra au Front de gauche dans son ensemble d’apporter des solutions aux problèmes non résolus à ce jour. Mentionnons la relative stagnation de ses résultats électoraux après la séquence euphorisante des présidentielles de 2012, la nécessaire reconquête du vote populaire face à la dangereuse pénétration des idées du Front national au sein de la classe ouvrière ou encore la bonne façon de s’adresser à ces nombreux militants et sympathisants du Parti socialiste, qui, tout en devenant de plus en plus critiques avec la politique gouvernementale, ne reconnaissent pas encore une alternative de gauche crédible à leurs yeux.
Aucun repli sectaire n’aidera à résoudre ces problèmes vitaux pour la gauche radicale en France. Les solutions devront être trouvées dans une dialectique fructueuse entre d’une part l’approfondissement des réponses écosocialistes apportées à la crise systémique et d’autre part la nécessaire ouverture sur la société et l’élargissement du Front de gauche à de nouveaux milieux et couches populaires.