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L’axe de l’évasion fiscale

On se souvient de l’affaire LUXLEAKS il y a quelques années ? Non ? Bon pour toutes celles et tous ceux qui ont la mémoire courte, voici un petit historique de cette affaire qui a non seulement bousculé le petit Grand-Duché mais aussi l’Union Européenne et au-delà le monde du fric entier.

 

Le 5 novembre 2014, l’International Consortium of Investigative Journalists, rend publique une enquête menée en collaboration avec une quarantaine de journaux, dont Le Monde, The Guardian, la Süddeutsche Zeitung, l’Asahi Shinbun et le Soir pour ne citer que ces quelques journaux réputés. L’action de l’ICIJ est musclée, en tout 28 000 pages d’accords fiscaux sont dans la suite divulguées et analysées. La totalité de ces accords fiscaux sont mis en œuvre par le cabinet Price Waterhouse Coopers. Un cabinet fort connu au Luxembourg. Un cabinet qui offre toute une panoplie de services, allant d’accélérateur de business, passant par la certification de conformité aux normes environnementales, la fiscalité et la stratégie de marché.

 

Un cabinet all in one qui offre ces services à tous ceux qui peuvent se payer leurs services. Et il y avait pas mal de clients au Luxembourg à ce qu’il paraît. Les documents cités détaillent 548 accords fiscaux avec l’approbation de l’administration luxembourgeoise des impôts. 548 accords qui ont permis l’exil fiscale de 343 entreprises. Un mois plus tard, de nouvelles informations fiscales d’une trentaine d’entreprises multinationale sont divulguées. Parmi lesquelles Disney et Koch Industries. Juste pour la mémoire, Koch Industries est une des plus grosses entreprises des États-Unis, son fondateur pèse 34 milliards de dollars et Koch Industries est depuis 2016 le seul actionnaire de Guardian Industries.

 

Les 548 accords fiscaux rendu publique ne représentent que la pointe de l’iceberg et qu’une partie des demandes validées annuellement par l’administration fiscale luxembourgeoise. Un gros indicateur qu’il s’agit de pratiques d’optimisation fiscale menées à l’échelle industrielle.

 

Mais l’histoire des optimisations fiscales est beaucoup plus longue. Déjà à partir des années 1990, le Luxembourg a commencé à attirer des filiales de sociétés étrangères. La diversification de l’économie luxembourgeoise et l’orientation vers la finance ont forcément menés à ces pratiques. Avec une législation taillé sur mesure et adaptée aux besoins des multinationales. En effet, les Tax Rulings, approuvés par l’administration fiscale, permettent aux multinationales de bénéficier de taux d’imposition très avantageux. Bien que le taux officiel d’imposition au Luxembourg soit de 17 %, les Tax Rulings atteignent souvent un niveau d’imposition inférieur à 1 %.

En contrepartie, les multinationales mettent en place des constructions financières intragroupe permettant de transférer leurs revenus vers la filiale luxembourgeoise très peu imposée.

 

 

Aides d’état illégales !?

 

 

Faut-il encore préciser que ces mécanismes d’optimisations fiscale profitent principalement aux multinationales ? Et faut-il en outre préciser que tout cela mène à une évasion fiscale énorme au détriment de tous ces pays qui ne pratiquent pas ou dans une moindre envergure l’optimisation fiscale ? Le comble dans toute cette histoire : tout cela était et reste légal.

 

Et pourtant, cette affaire déchaîne une tempête politique. La Commission européenne se voit forcé de lancer plusieurs enquêtes pour aides d’État illégales. Les premières décisions tombent en octobre 2015. Les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg sont condamnés. Le Luxembourg devrait se faire rembourser 20 à 30 millions d’euros par Fiat. Il n’y a plus question de Tax Ruling mais « d’excess profit ruling ». L’Irlande qui a offert à Apple un taux d’imposition de moins d’1 % est condamnée à récupérer pas moins de 13 milliards d’euros du géant américain.

 

En parallèle, la Commission européenne travaille à une proposition pour mieux protéger les lanceurs d’alerte. En effet, le 23 octobre 2019, le Parlement européen et le Conseil ont adopté une directive sur la protection des personnes signalant des violations du droit européen. Les nouvelles règles devraient s’appliquer à partir du 17 décembre 2021.

 

L’article 25 de la directive précise que « les ‘États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables aux droits des auteurs de signalement que celles prévues par la présente directive ». Et le Luxembourg dans tout ça ? La transposition devrait aller plus loin. Pourtant elle risque d’être vague et molle. Malgré l’apaisement de la part de notre Ministre de la Justice. En même temps, les divers modèles d’évasion fiscale sont maintenus et peaufinés. Business as usual. Comme le révèle un rapport de Tax Justice Network publié il y a quelques semaines.

 

En effet, Le TJN pointe du doigt un « axe de l’évasion fiscale » qui se constitue des suspects habituels, notamment du Royaume-Uni, de la Suisse, du Luxembourg et desnt Pays-Bas. Ces quatre pays collectent des impôts sur des profits réalisés par les entreprises ailleurs en Europe. Le système est méthodique, dévastateur et….légal.

 

  

Gagnants et perdants

 

 

De cette façon, les États membres de l’Union européenne perdent plus de 27 milliards de dollars. Chaque année ! Les grosses multinationales américaines déclarent tous leurs chiffres d’affaires dans des pays où l’impôt sur les sociétés est ridiculement faible. Les quatre états cités qui forment l’axe de l’évasion fiscale, ont concentré 115 milliards de dollars de profits d’entreprises américaines en 2017. Et la moitié des risques d’évasions fiscales des entreprises à l’échelle mondiale en 2019.

 

Dans tout cela, le Luxembourg détient la palme : 12 milliards de dollars d’impôts payés par des entreprises américaines s’échappent chaque année des pays européens pour venir se réfugier dans le Grand-Duché. Suivi par les Pays-Bas avec 10 milliards de dollars déplacés vers le pays des tulipes écrivent les investigateurs de Tax Justice Network. Les grands groupes concernés sont Starbucks, Nike, Uber ou encore Foot Locker mais aussi des groupes français comme Accor, Décathlon, Renault, Danone ou Publicis sont concernés.

 

Selon les auteurs de l’étude publiée le 28 avril 2020, l’Union européenne compte aussi des victimes.

En premier lieu la France, qui a perdu près de 7 milliards de dollars d’impôts sur les sociétés américaines en raison de ce phénomène d’évasion fiscale. Un premier levier pour mettre en garde les entreprises fraudeuses aurait pu être l’interdiction aux entreprises liées à un ou plusieurs paradis fiscaux de bénéficier des aides versées par l’État en marge de la pandémie du coronavirus. Malheureusement ceci n’a pas été le cas.

 

Et le jeu se poursuit. Le Tax Justice Network propose dans ce contexte trois mesures pour mieux lutter contre ces pratiques dévastatrices : l’introduction d’un taux commun d’imposition des sociétés, un taux européen exceptionnel de 50% voir 75 % durant la crise Covid-19, ou encore la mise en place d’un registre en matière fiscale, pays par pays afin d’obtenir plus de transparence. Un impôt Covid-19 sur les grosses fortunes pourrait compléter le schéma. Battons le fer tant qu’il est chaud.

 

Jean-Claude Thümmel 01/07/2020