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Le travailleur en télétravail

Le confinement résultant de la pandémie du coronavirus a porté au premier plan le débat sur le télétravail. Tous les secteurs de la société sont, il semble, favorables à ce que la possibilité de travailler à la distance puisse être élargie de façon considérable, voir universelle et même permanente. Or, une universalisation (ou presque), surtout en permanence (ou presque), du télétravail pose plusieurs questions : dématérialisation du lieu de travail, creusement de la fosse toujours existante entre employeurs et ouvriers, et risques d’abandon de la perspective universelle de certains services publiques.

 

Dématérialisation du lieu de travail

 

La dématérialisation du lieu de travail apporte deux conséquences immédiates à la fois dans le champ des relations de travail et des mécanismes de concentration de capital.

Le contact social directe est nécessaire pour permettre aux travailleurs d’une même société de se rendre compte, de façon collective, des problèmes de travail. Si un groupe de collègues existant devenues sépares physiquement par le télétravail peut toujours arriver à garder une liaison sociale, le même n’est pas vrai pour les nouveaux arrivés à un « local de travail » – ceux-ci se trouveront isolés et sans capacité collective de prise de conscience et d’action postérieure face à des problèmes parvenus en fonction de leur situation de travailleur. Le télétravail va augmenter l’isolation et, donc, la fragilité de chaque travailleur face au patronat.

Sans un lieu de travail, et dans un modèle économique où les frais fixes ont un poids considérable dans leur comptabilité, les entreprises iront voir, pour un même travail produit, une augmentation significative dans sa marge de profit. Ceci se fait aussi en vertu d’une réduction de services achetés pour le fonctionnement/manutention des lieux de travail. Cette réduction a une conséquence directe dans la quantité de travail, et par la suite dans les travailleurs, fourni par les prestataires de services impactant négativement l’ensemble de la masse salariale. Une masse salariale plus basse engendre une augmentation de la concentration du capital.

 

Creusement de la fosse toujours existante entre employeurs et ouvriers

 

Les conditions de travail parmi la classe salariée sont déjà assez diverses. Due à sa nature, une grande partie des salariés ne peuvent pas faire leur travail à partir de la maison. Ils doivent se rendre à leur local de travail, voire plusieurs locaux de travail. Pour ces travailleurs les journées seront forcément plus longues, éloignés davantage de leur foyer et leur famille, y compris les enfants scolarisés.

L’avancement du télétravail va exposer d’avantage ces différences. Certains, déjà avec des emplois normalement mieux payés, auront le temps de suivre les activités scolaires de leurs enfants et de s’en occuper avec des activités extracurriculaires. Tandis que pour les autres, il continuerait d’avoir des journées avec des amplitudes, entre la sortie de la maison tôt le matin et le retour le soir, de 10, 12, voir même 14 heures ou plus (tel est le cas de pas mal de travailleurs des secteurs du nettoyage et des transports). Pour ceux-ci, il ne reste qu’à déposer leurs enfants à la maison relais et, pratiquement, ne les voir qu’à la fin de semaine sans avoir vraiment l’occasion de se renseigner et d’accompagner leur parcours scolaire et les difficultés qui peuvent y parvenir.

Cette situation aura comme résultat de renforcer les inégalités entre classes économiques et, par conséquence, sociales. L’héritage de la condition sociale sera davantage aggravé, condamnant les enfants de classes plus basses à une plus grande probabilité d’échec scolaire et, plus tard dans leur vie professionnelle, économique.

 

Risques d’abandon de la perspective universelle de certains services publiques

 

Avec la diminution de personnes en besoin de certains services publiques (transports, maison relais, etc.) le comportement naturel du marché (cette entité mythologique qui semble avoir une vie et volonté propre) sera de réduire l’offre. Cette réduction aggravera encore plus les difficultés qu’ont une partie des travailleurs de se déplacer. Si, par exemple, pas mal de zones où les emplois existent sont déjà insuffisamment desservies par des transports publics, la perspective est que le service se détériorera.

 

Plus besoin de 4 trains par heure dans la ligne Pétange – Esch-sur-Alzette – Gare Centrale si la quantité d’utilisateurs diminue. De la même façon, la réduction du nombre d’enfants ayant besoin des services de garderie proportionnées par les maisons relais va entamer une réduction dans les maisons relais disponibles pour un horaire allongé. Pour les travailleurs pour qui le télétravail n’est pas une option la vie deviendra de plus en plus difficile, l’accès au fameux ascenseur social de plus en plus difficile.

 

Il n’y a pas beaucoup des raisons, s’il y en a, pour que la gauche puisse se réjouir d’une extension, tout-court, de la possibilité de télétravail élargie sur simple demande. Il y a une raison présentée comme la grande raison : le confort de ceux passible de l’usufruit de cet élargissement du télétravail – l’avantage individuel face au collectif, brisant encore plus le tissue social à la bonne façon néolibérale.

 

Mario Lobo 09/06/2020

 




L’étranger

Intro :

 

Ne me dis pas que tu ne me comprends pas
quand les jours tournent au vinaigre
ne me dis pas que tu ne t’es jamais senti
une force se développer sur tes doigts
et la colère monte entre tes dents
Ne me dis pas que tu ne me comprends pas

 

Il était fin avril 1971 quand Sérgio Godinho enregistrait son premier album. Exilé en France pour échapper à l’anachronique guerre coloniale que la dictature portugaise menait en Afrique, le chanteur portugais jouissait de la compagnie des milliers de portugais eux aussi rechapés du régime fasciste mené par Marcello Caetano, héritier de António Salazar.

 

Nous pourrions dire que la première chanson de ce disque était écrite pour le Luxembourg d’aujourd’hui. Elle démarre comme ça :

 

Je t’ai vu travailler la journée entière
en train de bâtir les villes pour les autres
ramasser des pierres, gaspillant
trop de force pour si peu d’argent
je t’ai vu travailler la journée entière
trop de force pour si peu d’argent

C’est celle-ci la vie dans le secteur du bâtiment et de l’artisanat. Un secteur qui en 2018 était, selon la Chambre des Métiers, constitué 85% d’étrangers. Plus que la moitié de cette masse humaine habite au-delà des frontières du pays. C’est-à-dire que moins d’un sur 6 travailleurs de ce secteur a le droit de vote. Donc, le pouvoir d’influencer les choix des politiciens qui font les règles qu’ils sont obligés à suivre dans leur travail.

 

Parmi ces règles il y a celle communiqué par M. le premier ministre dans sa conférence de presse conjointe avec la ministre de la santé du 14 avril. Avec la solennité demandée par le moment, le chef de gouvernement communique au pays  – dans sa langue native, comme il l’a fait depuis le début de cette crise : soigneusement et exclusivement dans sa langue native – que le secteur du bâtiment et de l’artisanat allait redémarrer l’activité dès lundi 20 avril.

 

Mais Sérgio continue :

 

Quelle force est celle-là
que t’as dans tes bras
qui ne te sert qu’à obéir
quelle force est celle-là, ami
que tu mets de bien avec les autres
et de mal avec toi-même

 

Des travailleurs du secteur, 34% sont des étrangers résidents et un peu plus qu’un sur deux, 51%, sont des frontaliers. La moitié de ces frontaliers réside en France, et l’autre moitié en Allemagne et en Belgique – un peu plus en Allemagne. Il est crédible de dire que 75% de ces travailleurs ne parlent pas la langue de Dicks et Rodange. Et même considérant cette réalité, le premier ministre n’a prononcé même pas un mot dans une langue compréhensible par ceux-ci, ces presque 70.000 travailleurs (chiffres 2018).

 

La situation de la pandémie du coronavirus chez nos voisins belges semble bien incontrôlable. La Belgique présente à ce moment une moyenne journalière sur les derniers 7 jours (8 à 14 avril) de 27.1 décès par million d’habitants liés au coronavirus. L’Italie et l’Espagne dans leurs pires moments enregistraient, respectivement, 13.6 (pour le 3 avril) et 18.5 (5 avril) – la Belgique a donc, en ce moment, pratiquement autant de décès par habitant que l’Espagne et l’Italie ensemble dans leurs pires moments.

 

Lors de la même conférence de presse du premier ministre, un journaliste du Tageblatt demandait s’il était prévu d’au moins mesurer la température des travailleurs avant le travail. Mme la ministre répondait qu’« il suffit qu’on prenne un paracétamol le matin pour une autre raison que ceci puisse donner des fausses indications ». Il serait, donc, suffisant qu’un travailler dissimule – même s’il ne le fait pas avec l’intention de tricher – ses symptômes pour rendre inefficace toute une stratégie. Cette stratégie de mesurer systématiquement la température continue pourtant d’être utilisé dans des pays de l’extrême orient qui semblent bien maitriser la situation. Les travailleurs ont peur, comme tout le monde. Ils sont obligés à se présenter au travail. Il n’y a pas de télétravail pour le bâtiment.

 

Ne me dis pas que tu ne me comprends pas
quand les jours tournent au vinaigre
ne me dis pas que tu ne t’es jamais senti
une force se développer sur tes doigts
et la colère monte entre tes dents
Ne me dis pas que tu ne me comprends pas

Nous obligeons des travailleurs avec des bas salaires à se présenter pour nourrir un business dont les prix de vente ont augmenté de 11% entre 2018 et 2019. Un « Guide de préconisations de sécurité sanitaire » qui fera sa parution bientôt détermine qu’un travailleur « qui vit dans le même foyer qu’une personne testée positive au Covid-19 doit se mettre en auto-quarantaine à domicile pendant 7 jours » sans donner des précisions sur la rémunération. Mais même si cette quarantaine serait considérée comme un arrêt maladie, il faudrait bien considérer la perte salariale en suivant et l’impact sur, voir la perte totale de, la prime de fin d’année. Aucun dépistage régulier de symptômes n’est prévu dans ce guide.

 

J’espère vraiment que cette décision, dont nous avons déjà compris qu’elle était prise un peu à l’aveugle – peut-être sous pression du secteur multimillionnaire de la construction – soit bien pondérée et non pas seulement une manière d’utiliser les étrangers comme cochons d’Inde pour des expérimentations de contamination.

 

Les Travailleurs du Luxembourg méritent plus.

 

Les Étrangers du Luxembourg méritent autant.

 

 

Mário LOBO 16/04/2020

(Membre élu du Conseil National pour Étrangers)

 




Le CNE et l’eugénisme associatif

Aujourd’hui, le 28 février 2020, jour par jour, il fait 2 ans que les membres actuels du CNE ont eu sa première réunion « pour le vrais », après avoir eu élu son président et vice-président dans une première réunion aillant lieu le 23 janvier précèdent. Ce 28 février, il y a deux ans, Mme le Ministre était présent à la plénière pour demander à ‘notre’ tout neuf CNE de se prononcer dans un délai de 15 jours sur le Plan d’action national d’intégration. Des 34 membres du CNE, il avait 26 qui se sont présentés.

Plus récemment, une lettre du Ministère de l’Intégration daté du 14 février a été envoyé par courrier électronique le 17 février. Cette lettre avait par destinataires les associations inscrites auprès du Département de l’Intégration, du ministère en question, en tant qu’électrices du Conseil National pour Étrangers – CNE. Il y était requis que les associations fournissent au Département ministériel « la liste des administrateurs désignes en conformité avec les statuts pour l’exercice en cours ; la liste actuelle des membres ; le plus récent rapport d’activité de votre association ». Cette requête, la missive prône, est faite en accord avec le règlement grand-ducal du 15 novembre 2011 portant détermination des modalités de désignation des représentants des étrangers au CNE. Cette demande est à remplir avant le 28 février, sachant que « [les] associations qui ne donnent pas suite à cette demande ou qui transmettent des dossiers incomplets seront rayées d’office du registre tenu auprès du Département de l’intégration ». Il commence à se dessiner un motif ici, des demandes à 15 jours.

En réponse à une question parlementaire du député Marc Baum, déi Lénk, Mme la ministre Corine Cahen informe que « un courrier sera envoyé aux associations pour prolonger de 15 jours ouvrables le délai de réponse initial ». La réponse donnée par la responsable gouvernementale pour le secteur de l’intégration nous informe aussi que la raison pour le court délai initial était due à « la nécessité de remplacer des membres démissionnaires et en raison de l’urgence invoquée par la présidence du Conseil national pour étrangers ».

Une première lecture de tout cette affaire ne nous permet pas voire rien d’étrange. Néanmoins, et avec une analyse plus fine, rapidement ressortit que la ‘chose’ n’est pas si simple.

Voyons alors par parts.

Le règlement en cause détermine quelles sont les associations ayant le droit de voter les membres de la partie élue du CNE (à savoir que des 34 membres du CNE, 22 sont élus et 12 nommées par le ministre de la tutelle, sous proposition des partenaires sociaux). Le règlement en cause établi que : sont électrices « les associations des étrangers ayant une activité sociale, culturelle ou sportive, l’association des étrangers étant celle dont soit la majorité des membres fondateurs, soit la majorité des membres actuels, sont d’une nationalité autre que luxembourgeoise » et « les associations œuvrant, à titre principal, en faveur des étrangers ».

Or, je croix de ne pas trop risquer si j’avance que le nombre d’associations qui remplissent ces deux critères dénombrent, sûrement, bien plus que cinq centaines. La question qui s’impose est : combien d’associations sont électrices du CNE ? Le 8 juillet 2017, le jour où les membres actuels du CNE ont été élus, cette liste comptait avec 55 associations. La démarche de la mise à jour des fichiers du Ministère, tombant sur une période de vacances scolaires et dans les deux semaines qui précèdent le festival des migrations ne peut avoir une conséquence autre qu’une ‘nettoyage’ de la liste d’électeurs.

Il faut aussi poser la question sur les raisons qui ont emmené les services du ministère à ne pas rendre cette démarche accessible à TOUTES les associations qui peuvent devenir électrices du CNE. Il appartient au ministère d’entretenir cette liste et, bien sûr, de promouvoir la participation aux élections du CNE. Rappelons-nous que le seule rôle du CNE n’est que « d’étudier, soit de sa propre initiative, soit à la demande du Gouvernement les problèmes concernant les étrangers et leur intégration [ ; sur] tous les projets que le Gouvernement juge utile de lui soumettre, [donner] son avis dans les délais fixés par le Gouvernement [ ;] de présenter au Gouvernement toute proposition qu’il juge utile à l’amélioration de la situation des étrangers et de leur famille [ ; et de remettre au Gouvernement] un rapport annuel sur l’intégration des étrangers au Luxembourg» Il n’appartient pas au CNE de gérer la liste des électeurs. D’ailleurs parce qu’il n’appartient même pas au CNE d’organiser sa propre élection.

Sur le fonctionnement du CNE, il faut dire que pendant toute l’année de 2019 le taux d’absentéisme des membres du CNE était de 48% (40% pour les élus, et 64% pour les nommées). Soit pour les élus, soit pour les nommées plus que la moitié des absences n’ont jamais étais justifiés (respectivement 56% et 54%). Il y a même 5 membres que ne se sont pas présentés dans aucune des réunions plénières. À ceux nous pouvons rajouter 3 démissionnaires, de la part des nommées, qui n’ont toujours pas était remplacés. Plus de la moitié des membres ne se s’ont pas présentés à plus que la moitié des réunions. Le niveau de participation entre la première et la dernière réunion de 2019 descend de 22 à 9. C’est la 4ème fois, d’affilée, que le plénière du CNE n’as pas de quorum et la réunion doit être remporté à la semaine suivante. L’argument de l’urgence est, donc, totalement incompréhensible. L’urgence est là depuis quelques mois et elle était même soulevée en plénière le 18 septembre 2019. Presque une demi-année après toute urgence est vide de sens. Aussi, il ressort du règlement mentionné ci-haut que « [la] liste des inscriptions est révisée annuellement ». A moins que cette révision n’aille pas été faite en 2018 et 2019 il devient encore moins compréhensible toute cette urgence, encore plus tout en prévoyant les possible conséquences.

(*réunion en deuxième convocation)

Les raisons pour ce taux d’absentéisme croissant sont plusieurs et divisibles entre endogènes et exogènes. La total anarchie avec les dates et horaires des réunions sera une des plus importantes. A titre d’exemple, nous pouvons mentionner, à la fois l’incapacité interne de tenir avec les décisions concernant les horaires et la cadence des dates pour les réunions, mais aussi l’impossibilité des certaines dates vu l’indisponibilité du secrétaire mis au service du CNE par le ministère de l’intégration. Un fonctionnaire ministériel est un être humain et a aussi une vie personnelle – c’est justement aussi pour cela que les ministères ont plusieurs fonctionnaires.

Le modèle du Conseil National pour Étrangers avec une majorité de membres étrangers était une conquête après plusieurs années de lutte par les associations des étrangers du Luxembourg. Ce modèle est désormais en risque. Avec une élection parvenue en juillet après un appel à candidatures et inscriptions pour la liste d’électeurs faite de façon assez discrète cette dernière démarche aura, sûrement, comme résultat, de rayer des ‘cahiers électorales du CNE’ les associations des étrangers du Luxembourg. Il aura, presque, aucune autre que celles « œuvrant, à titre principal, en faveur des étrangers » malgré le fait que son corpus associatif n’aille pas « [la] majorité des membres actuels [avec] d’une nationalité autre que luxembourgeoise ».

Empêchés pour des décennies d’avoir accès au vote pour les élections législatives, les étrangers n’ont que le CNE pour faire valoir sa voix auprès des autorités au Grand-Duché du Luxembourg. Maintenant la démarche est de continuer à vider la légitimité de ce Conseil. Comme des écuyers jetés par terre derrière la chaise du maitre après les avoir servis toute la journée, les étrangers, politiquement, n’ont qu’à attendre les miettes qui peuvent tomber de la grande table.

Le GDP per capita du Luxembourg était, en 2018, de presque 100.000€ par personne. Le budget du CNE est de 20.000€ pour l’année de 2020 : 0,0001% du total du budget d’état pour 2020. Pour le gouvernement, la voix de chaque étranger résident ne vaut que 7 centimes de l’euro.




Quel futur pour le Conseil National des Etrangers?

La loi

Le Conseil National pour Étrangers (CNE) a été créé en 1993 par la loi portant sur l’intégration des étrangers. La loi, révisée en 2008, établit que le CNE « est un organe consultatif chargé d’étudier, soit de sa propre initiative, soit à la demande du Gouvernement les problèmes concernant les étrangers et leur intégration ». Cette formulation est la même dans la loi de 1993 et dans celle de 2008.

Allant un peu hors de thème, cette formulation est, dans son contenu, la même qui a créé le Conseil Economique et Social : le CES « est un organe consultatif qui étudie à la demande du Gouvernement ou de sa propre initiative les problèmes économiques, sociaux et financiers intéressant plusieurs secteurs économiques ou l’ensemble de l’économie nationale ».

Mais la similarité se termine ici. Prenons les dotations budgétaires. Le CNE a été attribué un total de quinze mille euros (15.000€), tandis que le CES se voit attribuer plus d’un million d’euros (1.107.443€). C’est une relation de 1 à 74. Sans vouloir comparer ni la taille ni la complexité de l’activité des deux organisations, l’écart entre les deux valeurs démontre l’importance que le gouvernement (qui propose le budget) et la chambre (que l’approuve), ainsi que les partis y présents, attribuent au CNE.

Le CNE aujourd’hui

Le CNE, dans sa composition actuelle, comprend 22 membres élus (3 nationaux portugais, 2 français, 1 italien, 1 belge, 1 allemand, 1 britannique, 1 néerlandais, 5 membres d’autres pays de l’UE, 7 membres du reste du monde) et 1 représentant des réfugiés, 1 du SYVICOL, 4 des organisations patronales (actuellement un de chacune des suivantes : Union Luxembourgeoise des Entreprises Luxembourgeoise, Confédération Luxembourgeoise du Commerce, Association des Banques et Banquiers Luxembourgeois, et Chambre des Métiers), 4 des organisations syndicales les plus représentatives (dans ce CNE : 1 LCGB, 2 OGBL et 1 CGPF) et deux représentants de la société civile. Tous ses membres ont le droit de vote. Chacun de ses membres à un suppléant « personnel » – c.à.d. si un des élus portugais abandonne le CNE et se fait remplacer par son suppléant il ne reste personne pour remplacer celui-ci, amputant ainsi le Conseil d’un membre avec un possible impacte négatif dans son quorum.

Lors de sa réponse à la question parlementaire 3312 par Marc Angel, le 10 octobre 2017, Mme le Ministre Corinne Cahen annonce qu’elle « envisage de saisir le CNE (…) d’un travail de réflexion sur les éventuels changements à prévoir ». Le 1erfévrier 2018, en réponse à David Wagner (QP 3547) Mme le Ministre renforce sa volonté de saisir « le CNE d’une réflexion sur ses missions et sur son mode de fonctionnement ». Dans la même réponse il est annoncé que « le CNE a été doté d’un budget de fonctionnement ». Plus tard, après avoir été questionnée par Mme Martine Hansen (QP 3929), Mme Cahen confirme que « [lors] de la réunion plénière du 28 février 2018, à laquelle [elle a] assisté, [Mme le ministre a] demandé au CNE de mener une réflexion sur ses missions et sur son mode de fonctionnement ». Mme le Ministre rajoute que « ces réflexions sont actuellement en cours », sachant qu’il faut plus qu’une affirmation politique pour produire un fait.

Les enjeux

Le CNE demeure le seul organe dédié à défendre les intérêts des étrangers au Luxembourg. N’ayant pas accès à la Chambre des Députés, les étrangers ne peuvent compter que sur le CNE pour faire valoir sa voix au niveau institutionnel. Cela dit, il faut noter que la Constitution luxembourgeoise nous établit que « [la] Chambre des Députés représente le pays », et, par conséquence, tous ses citoyens. Ce n’est donc pas du ressort du CNE de représenter les étrangers.

Le rôle du CNE est d’aviser le gouvernement dès que saisi mais aussi de « présenter (…) toute proposition qu’il juge utile à l’amélioration de la situation des étrangers et de leur famille ». Il en ressort que ne les représentant pas, rôle exclusif de la Chambre, le CNE doit quand même rester lié aux étrangers. Il est « un organe consultatif essentiel pour accompagner le Gouvernement dans ses réflexions et ses efforts pour ses doter d’instruments afin de faciliter l’intégration des ressortissants étrangers dans la société luxembourgeoise » (Mme Cahen, réponse QP 3547).

Sans considérer le CNE, la défense des intérêts des étrangers se fait, de façon plus ou moins atomisé, par ses organisations civiques. La comptabilisation de tous les « associations des étrangers régulièrement constituées et ayant une activité sociale, culturelle ou sportive ainsi que des associations œuvrant, à titre principal, en faveur des étrangers » est une tâche impossible, mais nous pouvons, avec toute sécurité, les estimer à quelques centaines. La représentation des intérêts des étrangers au-delà de la Chambre, comme pour n’importe quel groupe social, se fait, spontanément, par sa liberté d’association et d’organisation. Promouvoir le CNE comme un représentant des étrangers c’est mettre en question, d’abord la Constitution luxembourgeoise et, par conséquence, la Chambre, mais aussi le droit fondamental dont « [t]oute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques », et à aspirer à ce que ce droit soit conséquent.

Le futur

En ce qui concerne la réflexion sur le fonctionnement du CNE, il y a quelques avant-propos à tenir en compte, notamment sur quel est le rôle du CNE, sa composition, qui l’élit et comment l’élire.

Le Conseil National pour Étrangers doit être un confédérateur des enjeux des étrangers organisés de façon volontaire et autonome dans ces mouvements civiques, et les faire valoir auprès du gouvernement dans le cadre des institutions gouvernementales du Grand-Duché.

L’exigence de ne pas avoir la nationalité luxembourgeoise pour être élu au CNE était introduite avec la loi de 1993 – qui a aussi ‘converti’ le Conseil National de l’Immigration en Conseil National pour Étrangers. Cette conversion est explicitée, dans l’exposé de motifs du projet de loi débouchant dans la loi de 1993 sur l’intégration des étrangers, dans un chapitre intitulée « Amélioration des voies consultatives pour étrangers ». Il est subjacent le désir de donner une voie pour la défense des intérêts de ceux qui n’ont pas d’autre façon de s’exprimer officiellement auprès du gouvernement. Revenir en arrière sur ce point serait une décision à l’encontre de la réalité migratoire et frontalière au Luxembourg. Il faut creuser plus profondément dans cette direction et aller jusqu’au point de prévoir que des frontaliers puissent aussi être présents au CNE.

Dans le même texte mentionné au paragraphe antérieur nous pouvons lire que « le service d’immigration a (…) peu de contacts avec les associations d’étrangers ». Ce constat a été à l’origine du choix de charger ces associations avec l’élection des ressortissants étrangers siégeant au CNE. Ceux présents dans la 1èreRencontre entre le CNE et les associations le 24 novembre 2018 ont peut entendre, entre autres, des plaintes sur la difficulté d’accès des associations des étrangers aux institutions officielles. Cette plainte est, d’ailleurs, bien connue par tous ceux immergés dans le monde associatif des étrangers. La solution, comme suggéré plus haut, de voir dans le CNE (aussi) une sorte de confédération des enjeux des étrangers est en ligne avec le souhait « d’une revalorisation de la vie associative des étrangers » et « [d]’établir, par ce biais, un contact entre [le CNE] et les associations d’étrangers ».

L’argument contre le suffrage direct

Parmi les idées qui sont récemment devenues publiques sur le futur du CNE il y a une qui attire beaucoup d’attention : l’élection par suffrage universel des étrangers. L’idée d’un suffrage universel parmi les étrangers (certains y rajoutent ceux inscrits sur les listes électorales aux communales) est intéressante. Ça donnerait une vraie représentativité aux étrangers. Sauf que, cette pratique (1) serait contraire à l’esprit de tout le processus créateur du CNE et (2) aiderait à promouvoir le déficit démocratique au Luxembourg : c’est pour la chambre que les étrangers doivent voter pour se faire représenter et non pas pour un organe qui n’a qu’un rôle consultatif et est, visiblement, méprisé par la structure administrative et politique à laquelle il est attaché.

Mais, supposons que oui, que l’élection du CNE se fasse désormais par le vote universel des étrangers. La question qui s’impose est : qui seront alors les candidats ? Dans le modèle actuel tout résident étranger peut se porter candidat. Avec le suffrage universel un candidat désirant d’être élu, ce qui semble être tout à fait un désir normal, devrait conduire une campagne électorale dans tout le pays. La division du territoire en circonscriptions ne serait jamais compatible avec un organe si petit que le CNE.

Qui alors peut se permettre cette extravagance ? Les seuls candidats possibles seront ceux sortis des rangs des partis ou des syndicats. Une candidature nationale nécessite une campagne nationale, avec les coûts et la complexité associés. Or, il est de fait que les partis ont déjà leur représentation à la Chambre des Députés et les syndicats à la Chambre des Salariés. Un suffrage universel est le déni du principe fondamental du CNE : donner une voix aux enjeux de ceux qui n’en ont pas d’autre façon.

Le résultat final serait d’avoir un CNE dont le débat ne serait plus qu’une chambre de résonance du parlement national.