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Quel financement pour la vie politique ?

La question du financement de la vie politique est primordiale à tout système démocratique. Elle participe à définir la relation qu’entretiennent l’argent et le pouvoir. Un aspect de cette relation est le financement des partis et des campagnes électorales. La représentation d’idées politiques, le développement de programmes politiques, la conquête de mandats électoraux, tout ça porte un certain coût. Comment garantir l’égalité afin d’éviter qu’un nouveau cens censitaire apparaisse ? Comment limiter les abus et la corruption ? Comment limiter l’influence d’intérêt privé ?

Indéniablement, l’argent est nécessaire pour le fonctionnement de la démocratie, que ce soit le financement des campagnes, la professionnalisation des partis politiques ou encore la rémunération des élu·e·s.  La majorité des Etats européens a opté pour un système combinant une régulation et limitation des financements privés ainsi qu’un financement public conditionné aux résultats électoraux.

Aux Etats-Unis il n’y a quasiment pas de limites sur le financement privé des campagnes électorales et des partis politiques. Le droit de soutenir financièrement tel parti ou tel·le candidat·e y est considéré comme faisant partie intégrante de la liberté d’expression, ne pouvant ainsi pas être limité. En France les dons de personnes physiques sont limités à 7’500 euros par an. Les entreprises, associations et organisations n’ont pas le droit de soutenir financièrement un parti ou groupement politique, ce qui est aussi le cas au Luxembourg. Ces deux pays bénéficient néanmoins d’un financement public. D’autres pays comme l’Italie ont, ces dernières années, quasiment supprimé le financement public.

 

Le financement public au Luxembourg

 

Au Luxembourg l’Etat finance la vie publique par deux moyens. D’un côté il y a les dotations annuelles que les partis politiques se voient attribuer, ce qui représente un peu plus de 2,6 millions d’euros par an. Ces dotations ont été augmentées en 2020. D’un autre côté il y le remboursement des campagnes électorales nationales et européennes. En 2018 l’Etat a remboursé un peu plus de 1,5 million d’euros pour la campagne législatives. Ces dotations publiques ne peuvent pas dépasser 75% du budget total d’un parti politique. Concernant les dons, seulement ceux provenant de personnes physiques sont autorisés mais aucune limite, aucun montant maximal n’est imposé. Les seules contraintes sont l’interdiction des dons anonymes et l’obligation des partis de communiquer tout don supérieur à 250 euros.

 

  Financement publique Dons privés Cotisation
ADR 221’960 5’673 12’243
CSV 1’381’910 118’368 125’617
DP 793’739 61’615 79’255
Gréng 632’064 32’095 49’478
déi Lénk 270’208 20’166 32’086
LSAP 698’332 10’061 117’457
Piraten 143’584 37’731 951

 

Le tableau ci-joint indique les recettes des partis politiques en 2018, année de campagne législative. D’autres sources de revenues peuvent exister. Ce tableau ne montre que les partis qui ont obtenu des sièges. En effet le remboursement des campagnes électorales au Luxembourg est conditionné au pourcentage des suffrages obtenus où il faut un minimum de 2% des suffrages exprimées. La présentation de quatre listes complètes pour les élections nationales et une liste complète pour les européennes ainsi que, depuis 2016, d’une certaine parité homme-femme sont aussi des critères prises en compte dans ce remboursement. Finalement, plus le parti dispose d’élu·e·s à la chambre, plus son financement sera élevé.

 

Pour un financement public mais citoyen

 

Dans son livre Le prix de la démocratie Julia Cagé met en valeur comment, dans le système actuel de financement de la vie publique, le principe démocratique d’une voix égale une voix a disparu au détriment du principe d’un euros égale une voix. L’autrice démontre qu’il y a une corrélation entre la somme dépensée lors des campagnes électorales et les résultats des élections. Si les dons de personnes physiques sont limités en France, ce qui n’est pas le cas au Luxembourg, les personnes aisées auront toujours plus de facilité à financer les partis représentant leurs opinions politiques que les personnes disposant d’un plus petit capital. Paradoxalement les réductions d’impôts dont peuvent bénéficier les personnes (il faut déjà être imposable) font que leur don leur coutera encore moins et sera donc en partie financé par de l’argent publique. La collectivité participe donc au financement des préférences politiques de certain·e·s à travers la déduction d’impôts.

Pour sortir de cette impasse, l’autrice propose plusieurs pistes, dont la suppression des réductions d’impôts associées aux dons politiques et la forte limitation de leur montant. Son idée phare, qu’elle appelle les « bons pour l’égalité démocratique », consiste à donner annuellement un montant fixe à chaque citoyen·ne qu’il ou elle pourra attribuer soit au parti de son choix, soit dans une caisse commune bénéficiant aux partis émergeants. Chaque citoyen·ne, quel que soit son revenu, dispose du même montant. Julia Cagé propose de fixer ce montant à 7 euros pour la France, ce qui représente le montant du financement public actuel divisé par le nombre d’habitant·e·s. Au Luxembourg, en 2018, ce montant était de 6,88 euros par résident·e. Si on enlève le remboursement de la campagne électoral ce montant était de 4,33 par résident·e.

Le paysage démocratique luxembourgeois se distingue des autres. Le taux de personnes bénéficiant du droit de vote se situe autour des 40%. Ceci est principalement dû aux taux de personnes de nationalité étrangère qui résident dans le pays. Si le vote n’est pas l’unique manière de participer à la vie politique, de s’exprimer et d’agir, il occupe néanmoins une place centrale dans notre système.

Introduire au Luxembourg un système participatif et démocratique du financement des partis, permettrait de palier à ce déficit démocratique. Cela devrait nécessairement passer par le statut de résident qui n’est pas rattachée à la nationalité, contrairement au vote. Cela permettrait aussi à la politique d’être plus réactive. Le financement actuel fige la vie politique nationale pour une durée de cinq ans. Si cette rigidité comporte certains avantages, elle permet aussi aux partis et représentants politiques de ne pas réagir aux tendances plus actuelles. Qui aurait cru il y a deux ans que le mouvement écologique gagnerait tellement en ampleur ? Et pourtant la réaction politique n’a pas été à la hauteur. Un financement comme celui proposé par Julia Cagé permettrait d’introduire un certain degré de fluidité dans la politique tout en, dans le cas luxembourgeois, permettant une autre participation politique plus ouverte et plus inclusive.

 

Julien Jimmy Muller 06/05/2020