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Les indispensables dévoilés

Cette crise sanitaire a au moins un mérite : celui de remettre sur le devant de la scène la question de l’utilité sociale et de la remise en cause de la logique marchande et – Luxembourg oblige – de son pendant financier.

L’avantage dans les crises – si l’on peut parler d’avantages dans le contexte actuel – c’est qu’elles jettent une lumière crue sur la réalité. On parle d’apocalypse, de manière évidemment abusive, dans le sens de « fin du monde ». Mais en effet, nous assistons à une apocalypse dans le sens originel du terme : il s’agit du « dévoilement ».

Dévoilement de la nature de l’Union européenne, dont la seule décision sensée de ces derniers jours a été de mettre entre parenthèses la rigueur budgétaire, donc de revenir sur un de ses piliers fondamentaux.

Dévoilement au niveau des relations internationales : tandis que l’allié états-unien tente de s’arroger le monopole de la recherche scientifique et de possibles traitements, ce sont les « pestiférés » tels que Cuba qui prêtent main forte aux pays d’Europe occidentale. Il s’agit évidemment de ne pas être naïf : l’aide de la Chine est elle aussi intéressée. Mais le propos de cet article n’est pas de s’attarder sur les considérations géopolitiques.

Dévoilement des modèles économiques : que des pays économiquement libéraux tels que le Royaume-Uni ou les Pays-Bas – modèles encensés il y a peu – choisissent « l’immunité de groupe », en dit long sur la faiblesse structurelle de leur système de soins.

 

Dévoilement aussi au Luxembourg.

 

Allons droit au but : c’est dans ce moment de crise que l’on se rend compte des métiers indispensables à la survie d’une société. Les travailleurs et travailleuses des soins et santé, évidemment. Les agents de nettoyage, les travailleurs du commerce, aussi.

Petite parenthèse : n’oublions pas non plus l’importance des fonctionnaires de l’État ou des communes. Bien que moins précaires économiquement, ils sont systématiquement confrontés, pêle-mêle, aux accusations de paresse, d’inefficacité, et, parfois même, d’inutilité. Ils prouvent actuellement que le contraire est vrai.

En revanche, d’autre activités tenaient jusqu’à présent le haut du pavé au Luxembourg : les « winners », les représentants de la « modernité » que seraient les optimisateurs fiscaux, la branche des fin-tech, bref ce qu’on ne cesse de nous vendre comme étant les représentants de ce nouveaux monde « dépoussiéré » de vieilleries comme les droits sociaux et les avancées du droit du travail.

Mais les faits sont têtus, comme le disait Lénine : qui du fiscaliste ou de l’infirmière a le plus besoin l’un de l’autre ? Qui de la caissière ou de l’avocat d’affaires a le plus besoin l’un de l’autre ? Qui applaudit-on aux balcons et aux fenêtres à 20 heures ?

La perversité de notre système économique est évidente : tandis que l’optimisateur fiscal gagne son argent en conseillant au mieux à la société de nettoyage comment éviter l’impôt, c’est la travailleuse de cette même société, sous-payée évidemment, qui se chargera de la propreté de son lieu de travail. Indirectement, mais de manière très réelle, l’optimisateur fiscal aura, quant à lui, contribué à la précarité de la travailleuse du nettoyage.

 

Pas logés à la même enseigne

 

Et alors que les gouvernements luxembourgeois successifs n’ont eu de cesse de chouchouter ces acteurs de l’évitement fiscal des très riches, ils n’ont pas eu la moindre considération envers les plus pauvres et néanmoins les plus utiles socialement.

Je pourrais ici énumérer longuement la ribambelle de projets de loi liés à la place financière auxquels nous avons dû prendre position au parlement – souvent dans l’indifférence générale – et qui faisaient la part belle aux intérêts de l’oligarchie financière.

Je pourrais également énumérer le nombre de fois où déi Lénk, aussi bien au sein de la Chambre qu’en-dehors, a pris position quant au traitement scandaleux des travailleuses du nettoyage (puisqu’il s’agit principalement de femmes), qu’il s’agisse du refus de leur octroyer le salaire minimum qualifié après dix années de service (et c’est encore bien en deçà de ce qu’elles méritent) ou du non-respect de leurs droits.

Et que dire de la lutte des salarié-e-s du Cactus, encore toute récente ? Grâce à une exceptionnelle mobilisation syndicale emmenée par l’OGBL, cette mobilisation a réussi à rencontrer la sympathie de nombreux citoyens. Mais ce succès n’est pas tombé du ciel : sans le « haut patronage d’eux-mêmes », il n’aurait pas été possible.

Et pourtant, les salarié-e-s des grandes surfaces, Cactus inclus, continuent à faire leur devoir malgré des salaires et des conditions de travail qui se situent à des années lumières de leur utilité sociale.

« Sous le haut patronage de nous-mêmes »

C’est également sous le patronage d’eux-mêmes que les personnels des soins et de santé ont dû batailler ferme dans les divers secteurs et sur plusieurs années afin d’accéder à la reconnaissance de leurs droits.

Hormis les fonctionnaires, on constate que celles et ceux qui fournissent une grande partie des métiers indispensables partagent plusieurs points communs : elles sont majoritairement des femmes, ils et elles sont sous-payé-e-s, ils et elles sont très souvent frontaliers.

A tout malheur, quelque chose est bon : la propagande des nationalistes de la langue s’est éteinte ou presque. Rappelons tout de même leur revendication principale : l’obligation, pour les salarié-e-s frontaliers et frontalières (et, pour être clair, les francophones) de maîtriser le luxembourgeois sur leur poste de travail. Hormis le fait que beaucoup d’entre elles et d’entre eux comprennent – par la force des choses – les rudiments de la langue luxembourgeoise, imaginons un instant dans quelle situation catastrophique nous nous trouverions actuellement si cette revendication avait été réalisée.

Nous nous rendons compte que, contrairement à ce que prétendent les nationalistes de la langue, les frontaliers francophones ne constituent pas une menace pour l’existence du pays, mais, qu’au contraire, ils font partie de la solution.

 

David Wagner

25/03/2020