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Le Luxembourg, terre d’accueil… très sélective

Quoi de plus ennuyeux qu’un projet de loi dont, selon le gouvernement, l’objectif principal est la transposition de deux directives européennes concernant les conditions d’entrée et de séjour de travailleurs saisonniers, ainsi que des employés dans le cadre d’un transfert temporaire intragroupe? Si avec une telle affiche la nouvelle réforme de la loi sur l’immigration[1] n’est pas susceptible de réveiller un chat qui dort, il se pourrait bien que telle est justement la volonté du gouvernement.

Car derrière cette transposition insipide se cachent des changements législatifs qui sont loin d’être anodins. En effet, l’occasion a été saisie pour glisser en toute discrétion dans ce projet de loi des éléments supplémentaires qui émanent d’une volonté politique purement nationale: un nouveau type de visa pour les riches, la prolongation de la durée de rétention pour les demandeurs d’asile déboutés et, plus surprenant, des dispositions qui comptent faire du Luxembourg une terre d’accueil privilégiée pour des multinationales forcées de fuir leur pays d’origine. En  somme des initiatives qui ont le potentiel de provoquer une polémique et sur lesquelles le gouvernement a tout intérêt d’éviter un large débat public.

Le visa en or

En 2009, le Ministre de l’économie Jeannot Krecké (LSAP) rencontra dans un club de jazz à Moscou l’homme d’affaires russe Vitaly Malkin pour conclure un marché: l’oligarque, impliqué à l’époque dans des cas de blanchissement d’argent, devait introduire le ministre luxembourgeois auprès de son homologue russe, le Ministre des Finances Alexeï Kudrin. En contrepartie, Jeannot Krecké s’engageait à accorder à l’épouse de Malkin un titre de séjour au Grand-Duché.

Si cet épisode, révélé en 2013 par l’hebdomadaire d’Lëtzebuerger Land, semble quelque peu lugubre, il n’avait rien d’illégal ni d’inhabituel. Le ministre pouvait s’appuyer sur l’article 78 de la loi sur l’immigration qui lui permet « d’accorder une autorisation de séjour pour raisons privées ». Cet article, toujours en vigueur, donne ainsi au Ministre toute latitude à accorder le droit de séjour à qui bon lui semble et, à en croire la réponse à une question parlementaire[2] du député David Wagner (déi Lénk), il a été utilisé à la discrétion du gouvernement des centaines de fois depuis 2011.

Si la majorité DP-LSAP-déi Gréng s’apprête aujourd’hui à réformer la loi de l’immigration, ce n’est pas pour abroger cet article 78, qui invite inévitablement à des marchandages douteux. Il restera bien en place de manière plus ou moins inchangée. Au contraire, le gouvernement s’apprête à élargir encore davantage les possibilités pour les personnes fortunées en introduisant un nouveau «titre de séjour pour investisseurs».

Afin d’obtenir ce «visa en or», il suffit d’investir au Luxembourg la somme d’au moins 500.000 euros dans une entreprise, 3 millions d’euros dans une structure d’investissement ou 20 millions d’euros sous forme de dépôt. Il s’agit ni plus ni moins d’une invitation aux oligarques du monde entier à venir habiter au Luxembourg, à profiter du secret bancaire et à contribuer, un tant soit peu, à la flambée des prix immobiliers.

Des familles en rétention pendant 7 jours

L’introduction de ce nouveau titre de séjour pour investisseurs est d’autant plus discutable que de l’autre côté de la hiérarchie sociale, les conditions sont considérablement durcies avec le même projet de loi. Jusqu’à présent, une famille avec des enfants, dont la demande d’asile a été refusée, pouvait être mise  en détention au maximum pendant 3 jours avant d’être expulsée. Ce délai est maintenant étendu à 7 jours.

Si la détention dans un centre fermé est déjà difficile à accepter pour un adulte qui n’a commis aucun crime, elle s’avère particulièrement traumatisante pour des enfants, alors que ceux-ci ont déjà dû endurer de véritables calvaires pour en arriver jusque-là. L’UNHCR juge que la détention de mineurs en centre de rétention est contraire à la Convention internationale des Droits de l’Enfant, voilà pourquoi cette institution de l’ONU fait campagne afin de faire cesser cette pratique. Avec ce projet de loi, le Luxembourg part en sens inverse.

Le gouvernement justifie cette mesure avec des arguments exclusivement bureaucratiques, considérant que l’ancienne limite «entraîne des contraintes au niveau de l’organisation des retours de familles». Des problèmes logistiques qu’on résout donc en empruntant la voie qui présente le moins de résistance, c’est-à-dire en amputant simplement les droits de ceux qui ne peuvent pas se défendre.

Droit d’asile pour les entreprises

S’il existe aujourd’hui des millions de déplacés de par le monde qui cherchent refuge, on entend rarement parler de multinationales qui soient obligées de fuir leur pays d’origine. Mais cela n’empêche pas le gouvernement de préparer déjà cette éventualité en mettant en place un cadre législatif approprié pour ériger le Luxembourg comme terre d’accueil privilégiée pour les entreprises victimes d’une catastrophe.

Comme l’expliquent les auteurs du projet de loi, «un établissement financier ou autre» qui subit un sinistre, peut être confronté à des pertes financières ou de revenus. Ils poursuivent en disant que «face à la montée de risques géopolitiques, de risques informatiques, mais aussi de risques naturels (tremblements de terre, tsunami, feu, …), les établissements se doivent donc de mettre en place des plans et systèmes de continuité d’activité» avant de conclure que «le Luxembourg a tous les atouts pour devenir une terre d’accueil par excellence pour ce type de site». Ainsi la loi sur l’immigration est adaptée afin «d’assurer aux établissements publics ou privés de pays tiers que leurs agents pourront, en l’occurrence d’un sinistre, se rendre sans délai sur le site de continuité d’activité situé le cas échéant sur le territoire luxembourgeois».

S’il n’est pas détaillé en quoi consiste concrètement un tel «site de continuité», il faut probablement s’imaginer des bureaux avec une infrastructure informatique contenant un «back-up» des systèmes de l’entreprise et qui restent plus ou moins inutilisés, jusqu’à ce que la maison-mère soit frappée par un sinistre. De quoi interpeller aussi le Conseil d’Etat qui s’interroge «sur l’intérêt à voir aménager de telles constructions qui auront pour finalité de rester d’abord des structures destinées à n’être utilisées qu’en cas de transfert (…)».

Ainsi le Ministre Jean Asselborn, qui justifia un jour la présence de sociétés boîte-aux-lettres au Luxembourg par le manque de place pour accueillir de vrais bureaux, a déposé un projet de loi qui prépare le terrain pour la création de bureaux largement inutilisés. Une idée qui semble tellement farfelue, qu’on ne peut s’empêcher de soupçonner des motifs autrement plus sophistiqués derrière cette initiative…
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[1]                      Projet de loi 6992

[2]                      Question écrite n°2569