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La face cachée de la visite du Premier ministre en Israël (et Palestine)

Communiqué du Comité pour une Paix-Juste au Proche-Orient (28 septembre 2016)

 Par Michel Legrand

Le voyage en Israël du Premier ministre Xavier Bettel les 11 et 12 septembre 2016 et son passage éclair en Palestine le 13 septembre suscitent bien des questions, autant par les propos tenus que par les silences criants. Peut-on faire des affaires avec un État qui en occupe un autre comme si de rien n´était ?

De toutes les rencontres organisées, aucune ne s’est faite avec une organisation des droits humains. Et pourtant nombreuses sont les ONG israéliennes engagées contre l’occupation (B’tselem, New Profile, Breaking the Silence, etc.). Pas un mot non plus sur les droits humains. Bien conforme à l’image d’un Luxembourg avant tout financier? Le Nation Branding ne semble pas être passé par là.

Le Premier ministre israélien B. Netanyahu doit être ravi: l’entreprise de normalisation se poursuit, les relations commerciales s’intensifient, l’occupation ne vaut même pas d’être mentionnée lors de la conférence de presse des deux premiers ministres.

Faut-il donc le rappeler: Israël n’est pas un État comme un autre, c’est une puissance occupante, qui n’a jamais été gouvernée aussi à droite (extrême-droite) au cours de son histoire.

«Négociations bilatérales sans conditions»

Nous avons été particulièrement choqués du glissement sémantique dans le discours de Xavier Bettel. Il soutient des négociations bilatérales sans conditions. Ce qui n’est ni plus ni moins que se rallier au point de vue de l´occupant. En effet, B.Netanyahu tient à un tête-à-tête qui lui permet d’affirmer sa domination et il exige de négocier sans conditions, car les conditions en question sont un moratoire sur la colonisation, inacceptable pour le gouvernement israélien actuel.

Ce voyage interroge donc la (in)cohérence des politiques du gouvernement luxembourgeois. Il s´inscrit également dans le cadre d’une politique européenne qui mise sur le tout sécuritaire et prend son inspiration dans le modèle israélien. Est-il éthique de vouloir apprendre d´un État occupant et de son complexe militaro-industriel, qui «expérimentent» sur les Palestiniens le know-how qu’ils vendent à l’Europe?

Coopération inter-universitaire

La convention entre l’Université du Luxembourg et l´Université hébraïque de Jérusalem qui a été signée lors de ce voyage n’interroge pas moins, car les universités israéliennes contribuent elles aussi à la course à l´armement et à l’industrie de l´occupation en général. L’Université hébraïque de Jérusalem est directement complice de l’occupation et de la colonisation israéliennes de la Palestine de plusieurs manières au moins:

– une partie du campus universitaire se trouve sur le territoire palestinien occupé;
– des liens institutionnalisés avec l´armée israélienne : l´université chapeaute tous les collèges militaires israéliens et assure la formation des soldats en sciences et technologies. Par ailleurs, elle abrite une base militaire sur son territoire;
– l’Université hébraïque dissuade les étudiants internationaux de visiter Jérusalem-Est;
– elle discrimine de manière institutionnalisée nombre d’étudiants arabes.

Dès lors, à travers ses liens profonds avec l’armée israélienne, cette université est directement complice des violations du Droit international et des Droits humains, y compris celles qui ont été perpétrées au cours des trois dernières attaques israéliennes contre Gaza dont on sait le caractère meurtrier qu’elles ont pris et les condamnations internationales dont elles ont été l’objet.

La plupart des autres universités israéliennes sont également liées de près ou de loin à l’armée israélienne et aux recherches à caractère et usages militaires à son profit: le Technion Institute of Technoloy, l’Université de Haïfa et, surtout, l’Université Bar Ilan, experte dans tous les domaines militaires et qui organise les formations académiques spécialisées, entre autres pour le Shin Bet . Conclure aujourd’hui de tels accords de coopération inter-universitaire, c’est nier la violence subie par la population palestinienne et ignorer les violations du droit international.

G4S, société de sécurité tristement célèbre

G4S est l’une des plus grandes multinationales assurant la sécurité de bâtiments et d’autres services liés à la sécurité. G4S est largement présente et active dans les prisons israéliennes, les centres de détention administrative, les centres d’interrogation des Palestiniens arrêtés et emprisonnés. Elle est impliquée aussi dans plusieurs des centres israéliens connus pour le recours à la torture (les centres de Al-Moskobiyeh et de Al-Jalameh), y compris la torture de femmes et d’enfants.

S’il faut le rappeler, G4S est partout présente au Luxembourg: ses services sont utilisés, non seulement par de nombreux particuliers, mais également par plusieurs ministères, des communes, des institutions culturelles et, last but not least, par … la Cour de Justice de l’Union européenne! Incohérence, quand tu nous tiens!

Relations politiques et économiques rapprochées?

Le déséquilibre est si profond entre Israël et l’Autorité palestinienne que l’équidistance dont se revendique le Premier ministre ne peut trouver un petit début de réalité que dans des relations tout aussi rapprochées avec la partie palestinienne, relations qui devraient passer a minima par la visite d’une délégation économique luxembourgeoise à Ramallah et des accords de coopération avec des universités palestiniennes.

Nous appelons également le gouvernement luxembourgeois à cesser au Luxembourg sa coopération avec des entreprises qui profitent de l’occupation, telles que G4S, ou qui sont actives dans l’armement, telles que Elbit; nous l’appelons à conditionner sa coopération économique et commerciale avec Israël aux respects des droits de l’homme, à suspendre la participation de l’Université du Luxembourg au projet Flysec et à évaluer les accords de celle-ci avec les universités israéliennes au regard des implications directes et indirectes de celles-ci dans l’occupation.

A défaut, nous risquons, dans 70 ans, de devoir présenter à la Palestine nos excuses pour notre complicité d’aujourd’hui dans son occupation et ses souffrances.

Michel Legrand
Membre du CA du CPJPO