1

To be or not to be – L’Europe à la croisée des chemins 1.

Le Coronavirus frappe indistinctement tous les pays européens et une grave récession menace à la fin de la crise sanitaire. Malgré cela, on est loin d’une action collective européenne et d’une prise en charge mutuelle de la dette des pays déjà particulièrement éprouvés avant la pandémie. Le refus de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Autriche et de la Finlande de lancer un emprunt commun à toute la zone euro , enfonce le clou et risque de faire éclater l’Union. Le présent article réfléchit sur les préceptes actuels de l’Union européenne, passe en revue ses moyens d’intervention financiers et plaide pour un revirement solidaire.

 

Contrairement aux belles paroles qui aiment présenter l’Union européenne comme un phare de la Paix, de la dignité humaine et de l’État de droit, les traités européens respirent essentiellement une idéologie basée sur le profit individuel, la concurrence et la loi du plus fort. Ils ne laissent guère de répit aux pays et à leurs citoyen-ne-s qui sont dans le pétrin.
La façon dont la population grecque a été traitée récemment a été révélatrice à cet égard.

Rétrospectivement parlant, l’Acte unique européen de 1986, le Traité de l’Union économique et monétaire, signé à Maastricht de 1992 et le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de 2012 ont fait de l’Union européenne le fer de lance du neolibéralisme, focalisé sur les marchés – financiers surtout – et de l’anéantissement des systèmes de solidarité nationale, sans y substituer une solidarité européenne.
Les éléments essentiels de cette construction ont été:

 

  • la privatisation et/ou la la subordination des services publics à des critères économiques,
  • l’instauration des “critères de convergence” de 3% de déficit budgétaire et de 60% de dette publique maximales par rapport au PIB, et
  • la mise en place d’une Banque centrale totalement indépendante, seule chargée d’émettre l’euro et de définir les grandes orientations de la politique monétaire.

 

Suite à la crise financière de 2008, la politique d’austérité déjà présente auparavant a encore été accentuée et les pays du Sud de l’Union marginalisés davantage encore. La Grèce, littéralement sacrifiée sur l’autel de l’intransigeance et de l’égoïsme dressé par l’Allemagne, devait servir d’exemple pour ceux qui oseraient méconnaître les règles du jeu du système de l’Union économique et monétaire. Le fait est que ce système est perçu comme défaillant par un nombre croissant de citoyennes et de citoyens et que l’idée européenne se trouve fondamentalement discréditée.

 

Le refus des “Coronabonds

 

Au moment où surgit la crise du Coronavirus, seize des 27 des pays de l’Union européenne dépassent les 60 % d’endettement par rapport au PIB et cinq d’entre eux se situent au-dessus de 100 %. L’ensemble de la dette publique des pays de la zone euro se situe actuellement à 10.400 milliards, soit 85% du PIB de la zone.

L’Italie, poids lourd économique, affichait fin janvier dernier 134 % de dettes par rapport au PIB. Début mars, ce pays devait payer 2,6 % d’intérêts de plus que l’Allemagne pour financer sa dette, ce qui correspond à un doublement de ce taux en un mois. L’Espagne se trouve dans une situation comparable.

Devant la grave récession qui s’annonce, l’Italie et l’Espagne ont demandé lors du sommet européen des 26 et 27 mars que l’Eurogroupe (l’instance des ministres des Finances des pays ayant adopté l’Euro) , “présente des propositions dans un délai de deux semaines (…) permettant de renforcer la réponse par de nouvelles actions”. Parmi ces “nouvelles actions”, le lancement d’un emprunt commun à toute la zone euro a été mis en avant par neuf dirigeants européens, dont le président du conseil italien, le président français et le premier ministre luxembourgeois. Cette proposition des “Coronabonds” s’est pourtant heurtée au refus abrupt de la chancelière allemande et des premier ministres néérlandais et finlandais, qui persistent à refuser la solidarité européenne. Ils continuent de miser sur des mesures strictement nationales et se contentent de signaler que depuis la réunion des ministres des Finances du 23 mars, il est permis aux Etats de l’Union de ne plus respecter, pour une durée indéterminée, le plafond des 3% de déficit public. Et ils ont réaffirmé leur “préférence pour le MES”, le Mécanisme européen de stabilité, qui fait figure de fonds de secours en cas de crise de la zone euro.

 

L’aide du Mécanisme Européen de Stabilité (MES), assortie de conditions sévères

 

Le MES a été mis en place en 2012 lors de la crise de l’euro pour pallier à l’interdiction (!) incluse dans le traité de Maastricht qu’un État membre aide un autre à rembourser ses dettes ou que la Banque Centrale Européenne achète des titres publics d’un Etat à l’émission. Le MES, qui a son siège à Luxembourg, est une organisation intergouvernementale, dotée à l’heure actuelle d’une capacité d’intervention de 410 milliards d’euros, soit 3,4 % du PIB de la zone euro. Le but est d’aider les pays qui n’arrivent plus à financer leur dette, à obtenir de l’argent sur les marchés financiers à des taux supportables. Mais puisque cette aide est soumise à des conditions sévères, à l’instar de la mise sous tutelle de la Grèce, peu de pays en font usage, ce qui fait que 80% de la capacité d’emprunt du MES ne sont pas utilisés actuellement. Pour exclure toute idée d’esprit solidaire, il a d’ailleurs été précisé dans le traité MES qu’aucun pays de l’Union, membre du MES, ne peut être tenu responsable d’obligations du MES.

Quant à la voie du fonds de secours, proposée à l’occasion du sommet européen du 26/27 mars et permettant d’octroyer une ligne de crédit de précaution à un ou plusieurs pays, voire à l’ensemble des pays de la zone euro, il s’agit là d’une possibilité, inutilisée jusqu’ici, d’accorder des crédits en urgence, toujours sous conditions exigées par le traité.

 

Guy Foetz 05/04/2020