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Des élections européennes entre crise et insécurité sociale

 

 

Les élections européennes de 2014 ont été les premières à avoir été tenues depuis que la crise économique et financière a pris toute son ampleur et que les conséquences sont devenues apparentes.
Les élections de 2009 quant à elles avaient juste eu lieu quelques mois après la faillite de Lehman Brothers en 2008. Et à ce moment, il n’était pas encore clair quelles allaient être les réactions des classes dirigeantes européennes. Depuis, beaucoup de choses ont été clarifiées.

Tout d’abord, il est devenu évident que ces classes n’allaient pas laisser passer l’occasion d’une bonne crise pour passer à l’offensive avec leurs politiques d’austérité et de réformes structurelles. Ensuite, la crise a révélé les failles inhérentes à la monnaie unique qui ont été camouflées par le boom soutenu par le crédit massif au début des années 2000. Finalement, un certain nombre de pays a été touché sévèrement par la crise : l’Irlande, la Grèce, le Portugal, l’Espagne et Chypre.

Lehman Brothers: 6 ans après

Dans tous les cas hormis l’Espagne, des cures furent imposées (et n’oublions pas, souvent à des gouvernements récalcitrants) par ce qui allait devenir l’infâme Troïka (Union européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international). Dans le cas du pays qui a résisté à cette cure de la Troïka, l’Espagne, le gouvernement Rajoy a mis en place ses propres politiques d’austérité et de contre-réformes.

L’objectif était double : en premier lieu afin d’assurer que les pays concernés allaient rester capables de rembourser leurs dettes. En second lieu afin de conditionner ces « aides » à des politiques drastiques d’austérité et de contre-réformes néolibérales. Moins dramatiquement, mais d’un pas assuré, les mêmes politiques d’austérité et de contre-réformes ont été mises en place dans d’autres pays de l’UE. En dernier lieu, la crise a offert l’occasion pour mener d’autres attaques sur les souverainetés nationales et populaires par une série de mesures soumettant les budgets nationaux au contrôle de l’UE, la mesure la plus emblématique étant le Pacte budgétaire.

Une crise bien utile

Il faut donc prendre en compte les effets cumulés de ces éléments pour connaître le terreau sur lequel se sont déroulées les élections européennes. Tout d’abord, les effets des politiques d’austérité prolongée ont eu un impact régressif sur l’économie menant en particulier à la forte augmentation du chômage tournant en Grèce et en Espagne autour des 25 % et le double concernant les jeunes.

Ensuite, la mise en place de réformes structurelles ont conduit à des attaques massives sur la santé, l’éducation et les droits des salariés. Le sans-abrisme a cru en particulier dans les pays où la bulle immobilière a explosé.

Enfin, les politiques adoptées ont conduit à des divisions accrues en Europe. Les processus d’élargissement (2004-2007) ont fait intégrer dans l’UE des pays de l’ancien bloc soviétique. Ces derniers ont réintégré un marché mondial capitaliste dans une relation – aussi bien financière qu’industrielle – de dépendance vis-à-vis du capital occidental.

Ces réformes structurelles qui détruisent tout

Les mémorandums imposés par la Troïka et la crise de l’eurozone ont conduit à de nouvelles différentiations et à un gouffre entre le Nord et le Sud. Cela n’a pas uniquement affecté les pays d’Europe du sud déjà mentionnés mais aussi, avec moins d’acuité, l’Italie et la France. Les grands bénéficiaires de la crise et de l’euro sont en effet l’Allemagne, et, dans une moindre mesure, les Pays-Bas, l’Autriche et la Finlande qui rencontreront tous, néanmoins, leurs propres problèmes.

Finalement, l’imposition d’un contrôle accru de Bruxelles et le fait que cela est perçu comme l’Allemagne imposant ses politiques à d’autres Etats-membres a refait surgir la question de la souveraineté nationale, et spécialement des droits des parlements nationaux. Il faut évidemment souligner que chacun de ces parlements nationaux a voté en faveur de sa propre neutralisation en adoptant toutes ces mesures.

Seppuku

Lors des élections européennes précédentes, parmi les fédéralistes européens et les classes bavardantes, beaucoup ont déploré le niveau d’abstention et du fait que dans la plupart sinon la totalité des pays, ces élections étaient dominées davantage par les politiques nationales qu’européennes. La rengaine récurrente étant celle de l’ignorance des masses qui ne comprendraient pas l’importance de l’Europe et du bien qu’elle leur prodiguerait.

Cette fois-ci, l’abstention a atteint 57 % – dans certains pays, la participation a augmenté – et l’Europe est devenue un sujet central dans de nombreux pays. Mais pas dans le sens que les soi-disant fédéralistes (en fait des partisans d’une UE davantage centralisée) auraient préféré. L’Europe et la politique européenne sont devenus des sujets en réaction contre le genre d’Europe qu’ils ont bâtie. Il faut toujours se méfier de ses souhaits…

En effet, les questions de l’austérité, du chômage, des attaques contre le modèle social européen, de l’euro, du rôle de Bruxelles, Berlin et Francfort étaient à l’ordre du jour. Ce fut aussi le cas de la question de l’immigration, aussi bien dans sa forme non traditionnelle (immigration extra-européenne) que des nouvelles formes (migrations de l’Est vers l’Ouest facilitées par la libre-circulation des personnes au sein de l’UE).

Retour de bâton en Europe de l’Est

Mais la manière dont ces questions ont trouvé une expression dépendait de l’acuité avec laquelle la crise et l’austérité avaient touché les différents pays ainsi que des forces politiques et sociales présentes. De plus, les 28 élections étaient aussi bien nationales qu’européennes, le mélange variant ; mais il est certain que les sujets nationaux prévalaient. On ne peut expliquer les résultats catastrophiques des Libéraux-Démocrates en Grande-Bretagne ou des partis socialistes en France, en Espagne, en Irlande ou aux Pays-Bas uniquement en invoquant des considérations d’ordre européen. Toutefois, il est possible d’identifier des tendances lourdes.

Avant les élections, le parlement européen étaient dominé par deux grands blocs : la droite avec le PPE (Parti populaire européen) avec 265 sièges et les socialistes (S&D) avec 183 sièges. Ils étaient suivis par les libéraux (ALDE) avec 84 sièges, les Verts avec 55 sièges et les eurosceptiques conservateurs (ECR) avec 54 sièges. A la limite, on peut considérer ces partis, avec quelques réserves concernant l’ECR, comme défendant une Europe néolibérale et antidémocratique. En-dehors de ces partis, l’on peut trouver l’EFD (nationalistes d’extrême-droite) avec 32 sièges et une série de députés indépendants se situant pour la plupart également à l’extrême-droite. Et finalement, la gauche, représentée par le groupe GUE-NGL disposait de 35 sièges.

Voici le tableau après les élections de 2014 : PPE 214 ; S&D 189 ; ALDE 65 ; Verts 52 ; GUE 45 ; ECR 46 ; EFD 38. En plus, 41 députés indépendants ont été réélus et 61 nouveaux députés dont l’affiliation n’est pas encore clarifiée ont fait leur entrée dans l’assemblée. La constitution des groupes peut ainsi encore changer. La GUE par exemple, pourrait encore croître davantage. Toutefois, la plupart des anciens et nouveaux indépendants devraient être situés à l’extrême-droite.

Les bérézinas socialistes

Les pertes de sièges du PPE et des libéraux peuvent raisonnablement être attribuées aux gains engrangés par des parties se trouvant à leur droite. Malgré le gain de quelques sièges supplémentaires, les socialistes n’ont pas réalisé un bon résultat. Ils ne sont arrivés en tête que dans quatre pays – en Italie, où l’effet Renzi a porté le PD à 40 %, en Suède, au Portugal et en Roumanie. En France, en Espagne et aux Pays-Bas, les résultat étaient de mauvais à catastrophiques, et un peu meilleurs au Danemark, en Allemagne et ailleurs.

Les deux « extrêmes », comme les centristes aiment à les présenter, ont réalisé des gains lors de ces élections. Mais malheureusement pas dans une mesure équivalente. Les informations dominantes de ces élections étaient la percée dans un certain nombre de pays par les forces à la droite de la droite traditionnelle. Elles sont arrivées premières en France (25% pour le Front national), au Danemark (26,5% pour le Parti populaire danois) et en Grande-Bretagne (26,8% pour UKIP).

Elles ont également réalisé de bons résultats en Suède, en Autriche, en Allemagne, en Hongrie et en Grèce. En Bulgarie, le vote d’extrême-droite pour Ataka a certes chuté, mais avec une nouvelle coalition nationaliste d’extrême-droite « Bulgarie sans censure » qui a engrangé 10,66%, l’extrême-droite y a totalisé presque 17%. En Flandre, le Vlaams Belang a perdu plus de la moitié de ses votes, mais ce fut à l’avantage de la droite nationaliste NVA qui a fait 27%.

De la droite de la droite traditionnelle…

Une des grandes surprises furent les résultats médiocres du PVV de Geert Wilders aux Pays-Bas qui sont passés de 17 à à peine 14%. Une des explications pourrait être que Wilders a négligé son discours traditionnellement anti-immigrés et islamophobe en faveur d’une attaque féroce contre l’UE, allant jusqu’à la décrire d’« Etat nazi », ce qui fut même un peu trop pour les Néerlandais plutôt eurosceptiques. Le terme « à la droite de la droite traditionnelle » semble être le plus approprié pour décrire l’arc des forces concernées.

Elles vont en effet de nationaux-conservateurs de droite (UKIP, Alternative für Deutschland et « Droit et Justice » en Pologne) à des néonazis confirmés (Aube dorée en Grèce, Jobbik en Hongrie et le NPD en Allemagne) en passant par des formations comme le Front national en France et le FPOe en Autriche. Il est incorrect de décrire ces partis simplement comme des partis fascistes, mais ils sont également plus que de simples nationalistes de droite. Le FN a toujours compté en son sein des tendances fascistes, pas uniquement aux marges, mais également à des postes-clés pas si éloignés de Marine Le Pen.

…aux forces ouvertement fascistes

Mais qu’il y a-t-il en commun entre un Nigel Farage avec sa pinte de bière, son costume-cravate et les troupes d’assaut en herbe de Jobbik et Aube dorée ? Il est clair que les électeurs de ces partis partagent un certain nombre de préoccupations de beaucoup d’autres électeurs, y compris à gauche : le chômage et l’insécurité de l’emploi, les conditions de vie décroissantes et la défiance envers l’UE. Mais aussi des thèmes propres à ces partis : la loi, l’ordre et l’immigration. Ces partis y répondent ouvertement par des réponses nationalo-centrées, racistes et xénophobes. Nous reviendrons là-dessus.

L’autre information importante était le progrès, dans certains pays plus que dans d’autres, de la gauche – la vraie gauche, celle qui lutte contre l’austérité et le démantèlement de l’Etat social, pour une Europe de la solidarité et de la coopération. Cela a mené la GUE-NGL de 34 à environ 50 eurodéputés. La plupart d’entre eux viennent de partis membres ou sympathisants du Parti de la gauche européenne (PGE).

Pendant la campagne, certains partis en-dehors du PGE (mais membres de la GUE-NGL) ont soutenu la candidature à la présidence de la Commission européenne d’Alexis Tsipras, parmi lesquels le Parti de gauche de Suède et le Parti socialiste néerlandais. Tsipras lui-même a fait preuve d’une étonnante énergie, parcourant l’Europe pour soutenir les campagnes dans les différents pays. Le plus important, c’était probablement son leadership de la campagne de la gauche unie en Italie. Bien que les résultats définitifs étaient légèrement en-deçà des espoirs de la gauche en général et du PGE en particulier, la GUE-NGL sera le cinquième groupe, juste derrière les Verts et de l’ALDE.

Rouge écarlate en Grèce et en Espagne

Les succès les plus frappants étaient en Grèce et en Espagne, où le niveau de lutte et de résistance contre l’austérité et les attaques contre l’Etat social était le plus élevé. Ce sont également les pays où le degré d’auto-organisation et l’apparition de mouvements sociaux qui ont pris en main des campagnes et développé des points de vue propres concernant la santé, l’éducation, le budget et la défense des immigrés.

En Grèce, Syriza a pu confirmer que ses résultats électoraux de mai et juin 2012 n’étaient pas un feu de paille et bien plus qu’un vote protestataire. Au-delà, en dépassant largement la droite de Nea Dimokratia (26,6% pour Syriza contre 22,73 pour ND), sa crédibilité pour la tenue d’élections anticipées a augmenté. Sa performance lors des élections régionales et locales qui se sont tenues le même jour était tout aussi importante.

Par définition, ce genre d’élection est encore plus difficile pour un parti qui a grandi si rapidement. Des partis comme ND et le Pasok sont enracinés, disposent de réseaux clientélistes et de figures locales bien établies – même si ces dernières ont souvent choisi de se présenter comme candidates « indépendants » afin de se distancier de leurs partis discrédités.

Le cliéntélisme ND et Pasok résiste en Grèce

Ce degré d’implantation vaut également pour le Parti communiste de Grèce (KKE), qui a récolté 6,9% des suffrages et a remporté Patras, la troisième ville du pays – avec le soutien de Syriza, ce qui n’a pas toujours été réciproque. Syriza a remporté deux régions, y compris la plus grande, l’Attique, qui compte à elle seule un tiers de la population du pays. Syriza a failli remporter Athènes et y est parvenu dans de nombreuses villes ouvrières. Ces conquêtes sont tout autant le reflet du soutien populaire de Syriza et les moyens dont le parti se dote pour structurer davantage ce soutien.

En Espagne aussi, la gauche a connu un succès majeur. Avec 10%, Izquierda Unida a triplé son pourcentage de 2009 et a remporté six sièges. Ce succès avait été anticipé et reflété dans les sondages d’opinion qui accréditaient à IU jusqu’à 14-15%. Mais la surprise était la percéed’une nouvelle formation, Podemos, qui a remporté presque 8% et cinq sièges, dépassant parfois IU, comme à Madrid.

Podemos semble avoir tiré profit du soutien du mouvement du 15 mai et de nouveaux mouvements comme Mareas, qui ont fait campagne sur la santé, l’éducation et le budget. Il semble impératif qu’IU et Podemos collaborent et forment une sorte d’alliance. Ensemble, ils ont récolté 18% des votes contre 23% pour les sociaux-démocrates du PSOE, qui ont vu leur score s’écrouler de 16% comparé à 2009.

Podemos (y) unidos?

En Espagne, les luttes contre l’austérité et la défense de l’Etat social ne sont pas les seules luttes. S’y ajoutent aussi la question des minorités nationales, une question de la transition post-franquiste irrésolue, ainsi que la crise de la monarchie, renforcée par l’abdication de Juan Carlos le 2 juin. La question centrale récente est celle du droit de la Catalogne à l’autodétermination, voire l’indépendance, qui a été concrétisé lors du référendum en novembre et dont Madrid refuse de reconnaître la légitimité.

Lors de ces élections, la gauche catalane indépendantiste (ECR – Gauche catalane républicaine) a émergé comme étant la première force pour la première fois avec 24%. L’équivalent catalan d’IU, ICV-EUiA, qui soutient le droit à l’autodétermination, a également progressé pour atteindre 10,3%. Le PSC (socialistes) a chuté à 14,3%. La perte de soutien du PSC n’était pas qu’une réaction contre l’austérité bipartisane due aux politiques centralistes de l’Etat espagnol imposées par la direction du PSOE à Madrid, ce qui pourrait faire briser en éclats dans les mois qui viennent dans la perspective du référendum et des élections municipales, régionales et nationales. Au Pays basque, la gauche nationaliste d’EH Bildu a également réalisé une belle performance et a gagné des sièges.

Regain rouge en Ex-Yougoslavie

Le succès le plus remarquable vient peut-être de Slovénie où la Gauche unie, une alliance entre l’Initiative pour le socialisme démocratique et deux plus petits partis a gagné 5,9% des votes, assez pour entrer au parlement national lors des élections à la fin de l’année. On assiste également à l’émergence de nouvelles forces de gauche dans d’autres pays de l’ancienne Yougoslavie, ce qui n’est pas étranger à l’expérience du socialisme yougoslave, qui, loin d’avoir été parfaite, était qualitativement très différent du reste de l’Europe orientale.

En Irlande, le Sinn Fein, qui a mené une campagne clairement anti-austérité a récolté 17%, 6 de plus qu’en 2009, et remporté trois sièges, en plus d’un autre dans le Nord. Une autre victoire significative fut en Italie où la liste conduite par Alexis Tsipras a réussi à franchir le socle des 4% et a remporté trois eurodéputés. Reste à voir en quelle mesure ce résultat pourra constituer le départ de la reconstruction de la gauche italienne, mais c’est un grand pas en avant. En Finlande, l’Alliance de gauche a remporté 9,3% et retrouvé son siège perdu en 2009.

L’espoir belge

Aux Pays-Bas, le Parti socialiste, avec ses 10%, a réussi à dépasser pour la première fois les sociaux-démocrates du PvdA dans une élection nationale. Et en Belgique, le PTB, en réunissant une partie significative de la gauche belge, a réalisé une véritable percée. Il n’a pas réussi à décrocher un siège au parlement européen, mais l’a fait pour les parlements régionaux et fédéral, dont le renouvellement a eu lieu le même jour. En Wallonie, il a atteint 5,48% des votes et obtenu des sièges dans les parlements fédéral, wallon et bruxellois.

Dans d’autres pays, les nouvelles sont moins bonnes. En République tchèque, le Parti communiste de Bohême et Moravie a perdu 3% et l’un de ses eurodéputés. Mais peut-être ne faudrait-il pas tirer trop de conclusions d’un score historiquement bas de 18%. Au Portugal, où le Parti socialiste qui se trouve dans l’opposition a progressé, les résultats combinés du Bloc de gauche et du Parti communiste portugais (PCP) a chuté de 4% par rapport à 2009. Mais le rapport de force entre les deux partis a considérablement bougé, le PCP passant de 10,66 à 12,7% et le Bloc de Gauche de 10,73 à 4,6%. La grande surprise fut la percée d’un parti vert, le Parti de la Terre, qui, avec ses 7%, a remporté 2 sièges.

Portugal: redistribution à gauche

En Allemagne, Die Linke, avec ses 7,4% a légèrement baissé par rapport à 2009 et en perdant un siège, mais a malgré tout obtenu 200.000 votes supplémentaires. En France, il est arrivé ce qui était attendu : le Front de gauche, avec ses 6,3%, n’est que légèrement au-dessus de 2009 et bien loin des 11% du premier tour de l’élection présidentielle de 2012. Pour cela, il y a une explication directe et une interrogation plus profonde.

L’explication directe se trouve dans les divergences entre le Parti communiste français et d’autres composantes du Front de gauche, en particulier du Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon, à propos des élections municipales du mois de mars, où le PCF a fait alliance avec le Parti socialistes dans de nombreuses villes. Ces divergences se sont aiguisées par la tonalité des attaques du PG. Derrière ces divergences évidentes, des problèmes plus profonds existent : la nature stérile du tête-à-tête entre le PCF et PG qui a accentué le caractère de cartel du Front de gauche.

Il n’existe pas d’affiliation individuelle, alors que la campagne de 2012 a été marquée par la mobilisation de milliers de supporters qui n’étaient affiliés à aucune des composantes du Front de gauche. Mais il reste aussi d’autres problèmes politiques : comment réunir les gens autour de revendications claires, concrètes et positives, plutôt que de constituer le front des « anti » ; comment tisser des liens avec les courants de la gauche des socialistes et des Verts. Dans une situation où le FN est à 25% et le PS au pouvoir à 14%, le Front de gauche est plus nécessaire que jamais ; mais il ne peut plus éviter certains débats et choix fondamentaux.

Le Front de gauche à la croisée des chemins

Revenons à l’aspect des élections qui a retenu le plus d’attention : la poussée de la droite nationaliste. Certains résultats sont clairement le résultat des politiques nationales. C’est le cas en France, où non seulement le PS au pouvoir est de plus en plus discrédité, mais aussi le parti de la droite traditionnelle, l’UMP, s’embourbe dans des guerres intestines et est miné par des scandales à répétition. Mais le résultat est aussi une succession du succès de Marine Le Pen à la présidentielle de 2012. Le FN est une constante de la politique française depuis 1984, avec des hauts et des bas, mais il se trouve sur une pente ascendante depuis que Marine Le Pen a repris le parti en 2011 et a commencé à changer l’image du parti.

On pourrait expliquer les résultats des autres partis par des situations nationales. Mais il y a une dimension européenne à leurs gains. Face à la crise de l’Europe et la crise en général, ces différentes formations montrent une réaction nationaliste, qu’il s’agisse de la réaffirmation de la centralité de la nation, de la sortie de l’euro ou de la sortie de l’UE tout court. La question est : quelle est la solution nationale proposée ? Le rejet de l’UE, du moins dans sa forme actuelle, n’est qu’un aspect pour les électeurs et sans aucun doute pas le plus important, même en Grande-Bretagne.

UKIP: pas seulement l’UE

Ce qui compte pour ces électeurs, c’est l’immigration, le chômage et l’insécurité. La réponse de la droite radicale est une réaffirmation de la nation mais dans son aspect exclusif, ethnique, qui en exclut les Musulmans, les Roms et tous les non-Européens en général. Les Européens de l’Est sont acceptées en petites doses et à condition qu’ils ne prennent pas « nos » emplois et qu’ils s’intègrent. En plus de la nation, il y a la réaffirmation de l’autorité de l’Etat. Pas uniquement en tant que garant de la loi et de l’ordre, mais aussi en tant qu’acteur économique qui reprendra ses pouvoir à Bruxelles et les utilisera au bénéfice de ses citoyens.

Il ne faudrait pas penser qu’ils soient en faveur de l’autarcie nationale. D’une manière générale, ils sont pour une Europe des nations, basée non sur la solidarité mais la compétition, sur les rapports de force et une hiérarchie où le plus fort domine.

Où cela va-t-il mener ? D’un point de vue réaliste, aucun de ces partis ne semble pouvoir prendre le pouvoir à lui seul. Mais ils peuvent jouer un rôle politique. Il est évident que sur l’immigration et sur d’autres questions, ils exercent une pression droitière sur le centre-droit. D’un point de vue superficiel, il y a une contradiction entre eux et les orientations des gouvernements européens, en y incluant le centre-droit, qui sont en faveur de la mondialisation en général et de l’Europe en particulier.

Mais regardons de plus près. Pendant une longue période, environ depuis la moitié des années 80, la période de la présidence de Jacques Delors, les institutions européennes étaient dominées par les « fédéralistes », qui croyaient sincèrement à l’ « union toujours plus étroite » évoquée dans le Traité de Rome. Mais tout le monde a remarqué le déplacement lors de ces dernières années vers l’intergouvernemental, caractérisé par le glissement des pouvoirs de la Commission vers le Conseil, constitué les chefs d’Etat et de gouvernement. Cela a été accentué fortement depuis le déclenchement de la crise.

Du fédéralisme à l’intergouvernemental

Autant pour la question fondamentale. Nous pourrions discuter de l’existence d’un peuple européen, s’il verra le jour où même s’il est souhaitable. Ce qui est plus important, c’est l’inexistence d’une classe capitaliste européenne, mais de 28, chacune avec son Etat-nation. Et ce de là que viennent les marchandages. Ainsi, lorsque la Grand-Bretagne envisage de quitter l’UE sous certaines conditions, elle agit d’une manière pragmatique. Elle ne fait pas partie de l’eurozone, elle n’en a pas l’intention, elle peut être marginalisée, des décisions la touchant peuvent être prises, en particulier le rôle de Londres comme centre financier.

La véritable bombe à retardement ne se trouve pas à Londres mais au sein de l’eurozone. L’euro bénéficie à l’Allemagne au détriment des autres pays. Ceci est la source de conflits potentiels et d’instabilité. Le plus bizarre, c’est ce que c’est l’Atlernative für Deutschland qui l’a bien compris, et qui entend désamorcer cette bombe en faisant sortir l’Allemagne de l’euro. Mais cela ne risque pas d’arriver de sitôt. Qu’arrivera-t-il si la France et/ou l’Italie pensaient qu’afin de défendre leurs intérêts nationaux, il leur faudrait défier les règles de l’eurozone ?

Eurozone: bombe à retardement

La distance entre la droite extrême et le reste de la droite n’est pas si insurmontable que cela. L’austérité peut bien aller et venir, mais les attaques contre l’Etat social, contre les droits des travailleurs vont continuer, ainsi que la chute des conditions de vie et l’augmentation de l’insécurité économique qui nécessiteront des formes de gouvernement plus autoritaires. Elles pourront prendre des formes plus « technocratiques », mais il est également envisageable qu’elles se basent sur des gouvernements démocratiquement élus d’alliance entre la droite et l’extrême droite.

Il est évidemment important de combattre la montée de ces forces, mais pour cela, les slogans anti-fascistes sont plus qu’insuffisants. Il faut les combattre concrètement, en opposant des arguments politiques aux leurs. Et parfois, face à des formations réellement fascistes et néo-nazies, il faut aussi les combattre physiquement.

Mais au-delà de tout, il faut offrir une alternative claire et crédible aux solutions qu’ils proposent, une alternative qui est anticapitaliste, démocratique et internationaliste. En réponse aux conceptions de nation ethniques, xénophobes et exclusive, il faut opposer une conception de la nation politique et inclusive : tous ceux qui vivent dans un pays en sont des citoyens.

Nation ethnique et exclusive vs. nation politique et inculsive

A l’heure actuelle, la gauche fait des progrès, mais de manière inégale, et pour chaque progression comme en Grèce ou en Espagne, il y a des cas de stagnation relative et même de reculs. Parfois, cela est dû à des facteurs objectifs, parfois à des erreurs politiques, et cela ne peut alors qu’être résolu dans des situations nationales concrètes. Mais il faut une vision globale, une vision alternative de l’Europe.

Cela ne veut pas dire qu’à chaque fois que l’extrême droite met en avant des solutions nationalistes, nous devrions répondre que la seule solution serait européenne. Cela est vrai à un certain niveau : l’avenir des peuples et nations d’Europe se trouve dans la solidarité et la coopération économique et sociale, et non pas dans la compétition entre nations. La manière de le concrétiser, c’est de mettre en avant des propositions pour le développement économique et la réindustrialisation accompagnées d’harmonisations de revenus et de droits vers le haut.

Les formes et articulations politiques entre les niveaux nationaux et européen restent à définir. C’est un grand pas en avant que le PGE parle désormais de refondation de l’Europe, en soulignant la rupture avec l’UE existante. Se contenter de dire qu’il faut une Europe plus sociale, plus démocratique et plus écologique aurait été largement insuffisant. De telles déclarations sont à un pouce du centre-gauche et parfois même du centre-droit.

Le changement de l’Europe passera par les Etats-nations

Surtout, il faut éviter de donner l’impression que rien ne serait possible au niveau national. En termes pratiques, la voie pour changer l’Europe passera par des changements aux niveaux nationaux : les Etats-nations sont les entités politiques fondamentales au sein desquels la politique se déroule. Concrètement, cela veut dire que si la gauche accède au pouvoir à un niveau national et entame la mise en place de politiques qui rompent avec le capitalisme néolibéral, mais qui ne seront durables qu’à condition que d’autres pays suivent la même voie.

La seule alternative serait un changement hautement hypothétique dans tous les pays de l’Union et ceci se heurte à la réalité que l’UE en tant qu’entité politique est largement artificielle et n’est pas reconnue en tant que telle par la plupart des Européens.