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Corbyn gagne une bataille, la guerre continue

Samedi dernier, le 24 septembre, Jeremy Corbyn a été réélu triomphalement comme dirigeant du Parti travailliste, un an après le choc de sa première victoire en septembre 2015.

Cette victoire a été fêtée joyeusement par la grande majorité des membres et sympathisants du parti et saluée par les forces de gauche en Europe, y compris déi Lénk. Il n’est pas inutile de considérer les circonstances de cette deuxième élection et la façon dont Corbyn a gagné.

Depuis sa première victoire en 2015, Corbyn a été en butte au harcèlement, à des attaques constantes, ouvertement et en sous-main, de la part de la grande majorité de la fraction parlementaire, toujours sur les positions droitières de la période de « New Labour » sous Tony Blair et Gordon Brown. Suite à la victoire du Brexit le 23 juin, c’était l’offensive sur toute la ligne, visant à mettre la pression pour que Corbyn démissionne. Sans succès. Il fallait donc trouver quelqu’un pour se présenter contre lui et provoquer une nouvelle élection. Après quelques faux départs, c’est le fade Owen Smith qui a porté les couleurs des anti-Corbyn.

Tout en ayant été élu comme dirigeant, Corbyn n’a jamais disposé d’une majorité au puissant Comité exécutif national (NEC,) qui dirige le parti entre les congrès (et même parfois pendant…). Encore moins a-t-il contrôlé l’appareil du parti. Cette situation a laissé la voie ouverte à tous les coups bas, visant à exclure le maximum des partisans de Corbyn du scrutin. En premier lieu le NEC a décidé que seuls ceux et celles qui étaient membres du parti avant janvier 2016 pouvaient voter.

D’un seul coup, 128,000 membres du parti étaient privés du droit de vote. Une tentative de faire annuler cette décision par les tribunaux a échoué. Ensuite l’appareil du parti s’est attelé à la tâche. D’abord tous les membres qui avaient pu appartenir à des partis autres que Labour ont été rayés. Ensuite des apparatchiks ont passé des semaines à chercher sur les réseaux sociaux toute expression d’opinion qui aurait pu être considérée comme dérogatoire, insultant, etc., afin d’en rayer les auteurs. Il semble même que le fait de traiter quelqu’un de « Blairiste » était une raison suffisante. C’était en quelque sorte l’hommage du vice à la vertu. Traiter quelqu’un de partisan de l’ancien premier ministre est devenu diffamatoire…

Il faut se rendre compte de l’ampleur de la purge, qui a aussi concerné les deux autres catégories de votants, les sympathisants inscrits et les syndicalistes affiliés. Avec les 128 000 mentionnés ci-dessus, ce sont environ 250 000 personnes qui voulaient voter et en ont été empêchées. Environ 67,000 inscrits n’ont pas reçu de bulletin – un « problème d’informatique », d’après l’appareil…

Malgré toutes ces tentatives de réduire l’électorat, Corbyn a non seulement gagné mais amélioré son score par rapport à 2015 : 62% contre 59%, 63 000 voix de plus. Par ailleurs, cette fois-ci il a gagné dans les trois catégories, passant parmi les membres de 49,5 % à 59%. En comptant les votants potentiels qui en ont été empêchés, et en supposant que la grande majorité aurait voté pour Corbyn, on peut estimer son vrai score à au moins 70%.

Corbyn a été majoritaire dans toutes les régions et toutes les catégories sociales, avec trois exceptions : ceux qui ont adhéré avant 2015, les 18-24 ans (ce qui est surprenant) , et l’Ecosse, où les restes très affaiblis du parti sont l’une des dernières redoutes du Blairisme.

La guerre continue…

Il ne faut pas sous-estimer la portée de cette deuxième victoire. Mais également, il faut être conscient que les adversaires de Corbyn et de son nouveau cours n’ont pas désarmé. Au contraire. La victoire de Corbyn était annoncée au début du congrès du parti, samedi 24. Dimanche soir a vu deux meetings, le premier organisé par Progress, le courant de la droite Blairiste, le deuxième par Labour First, qui rassemble les « centristes » tout aussi hostiles à Corbyn. La grande majorité de députés travaillistes ont participé à l’un ou l’autre de ces meetings et les ténors sont montés à la tribune pour réaffirmer leur opposition à Corbyn et sa politique.

Il ne faut pas se laisser bercer par les discours sur l’unité. Du côté de Corbyn, cela veut dire « laissez-moi agir, accepter le verdict des adhérents ». Du côté de ses adversaires dans la fraction parlementaire, cela veut dire « si vous voulez l’unité, il faut nous donner des gages, par exemple en adoptant un discours plus « consensuel » et en nous laissant élire le cabinet fantôme ». La guerre continue et tout monde s’y prépare.

Il y a eu des joutes oratoires entre partisans et adversaires de Corbyn pendant le congrès, et quelques votes importants. On y reviendra. Mais aussi des discours majeurs de Corbyn et de son principal allié John MacDonnell, ministre fantôme des finances. Lutte contre les inégalités, refus de l’austérité, augmentation du salaire minimum, défense et extension du secteur public, intervention de l’Etat dans l’économie – « Etat entrepreneurial » selon l’expression de MacDonnell – programme de logement. Pas un programme anticapitaliste bien sûr, même si Corbyn et MacDonnell ont tous les deux parlé de socialisme, un mot resté tabou pendant 25 ans dans les congrès travaillistes. Mais ce sont des mesures qui amélioreraient la situation des couches populaires et même des couches moyennes et qui peuvent en appeler d’autres. Il y aurait des batailles internes dans le Parti travailliste dans les prochains mois, pas sans importance d’ailleurs. Mais pour Corbyn et ses alliés la priorité est de transformer le parti pour qu’il redevienne un parti de masse (presque 600 ,000 adhérents), une force de frappe pour mener des campagnes contre la droite conservatrice au pouvoir et pour des politiques alternatives.

Murray Smith