1

Après la victoire, quelles perspectives pour Corbyn et la gauche travailliste ?

Jeremy Corbyn aura donc été réélu dirigeant du Parti travailliste, en améliorant son score, malgré toutes les basses manœuvres de l’appareil travailliste. Une bataille de gagné, une guerre qui continue. Mais dans quelles conditions ? S’il ne fait aucun doute que l’appareil et la fraction parlementaire restent décidés à venir à bout de Corbyn, ils ne pourront pas le faire exactement comme avant sa deuxième victoire.

Corbyn a gagné une deuxième victoire grâce au soutien des nouveaux adhérents. Mais le Parti travailliste ne se résume pas à son dirigeant et aux adhérents. Il existe aussi : la fraction parlementaire et les eurodéputés ; les syndicats et associations affiliées ; l’appareil ; le congrès annuel; le réseau d’élus locaux ; l’organisation de jeunesse ; le cabinet fantôme ; et last but not least, le Comité exécutif national (NRC), qui est composé de représentants de tout ce qui précède.

Le congrès de Liverpool

Commençons par le congrès, qui a suivi directement la réélection de Corbyn. Sur le grand plan politique, c’était l’occasion pour Corbyn et son principal allié et ministre des finances dans le cabinet fantôme, John McDonnell, de faire des discours détaillant leur programme politique. On peut dire, schématiquement, qu’il y a deux aspects. D’abord un plan économique d’inspiration keynésienne : banque (publique) nationale d’investissements, projet d’investir £500 billion dans l’économie, en particulier pour relancer l’industrie, quelques nationalisations, banques régionales, soutien aux PME, coopératives. Dans son discours de clôture du congrès, Corbyn a commencé sur un ton conciliateur à l’égard de ses opposants, appelant à l’unité, reconnaissant même qu’il avait pu y avoir quelques excès du côté de ses partisans. Il s’est félicité de la vague de nouveaux adhérents (les effectifs du Labour ne sont aujourd’hui pas loin de 600,00). Evidemment, personne ne pouvait être contre cela publiquement, bien que la droite du parti regarde avec horreur cet afflux de centaines de milliers de membres qui renforce la gauche. Dans son discours, Corbyn a parlé de tout, mais s’il s’est concentré sur le volet social. Tout comme Thatcher dans les années 1980 a fait reculer les frontières de l’Etat social, Corbyn s’engage aujourd’hui à faire reculer les effets de trente ans de néolibéralisme. Résumant son programme en dix points, il a mis l’accent sur l’arrêt de la privatisation rampante dans la santé et l’éducation, la défense et le développement des services publics, l’abrogation des lois antisyndicales, les droits des salariés, la restauration des conventions collectives.

Corbyn aussi bien que McDonnell se sont pris au dogme du marché libre et tous les deux ont évoqué la perspective du socialisme. De manière générale et sans préciser les étapes qui pourraient conduire vers cet objectif. Pourtant, pendant plus de 20 ans, le mot était complètement banni du discours travailliste. Son retour permet au moins d’ouvrir un débat.

Mais un congrès n’est pas fait que de grands discours, mais aussi de petites manœuvres. Ainsi une décision a été adoptée en contrebande d’élargir le NEC en ajoutant des représentants écossais et gallois – plus exactement des représentants nommés par les dirigeants gallois et écossais, qui sont opposés à Corbyn, affaiblissant ainsi la position de la gauche au NEC. Les partisans de Corbyn n’ont pas pu empêcher cette manœuvre. Ironiquement, après la campagne menée par la droite du parti et les média sur le parti qui serait en train d’être noyauté par des « centristes » d’extrême gauche, il se trouvait malheureusement que la droite et le centre étaient mieux organisés et que la gauche, très majoritaire parmi les adhérents, ne l’était pas dans le congrès. Une leçon pour l’avenir.

Ce genre de manœuvres relève de la politique de bas étage ; mais dans le Parti travailliste la politique se fait souvent à ce niveau-là. C’est ce qu’on appelle la guerre des tranchées, et elle va se poursuivre. Parmi les différentes composantes du parti, Corbyn ne peut pas faire grand-chose avec la fraction parlementaire, les eurodéputés, les élus locaux. La droite et le centre y sont fortement installés, héritage de la période Blairiste. Pour commencer à changer les rapports de forces à ce niveau- là il faut avoir non seulement un soutien à la base, mais aussi une majorité au NEC, ce qui prendra du temps. Pour l’instant Corbyn est majoritaire à 18 contre 17. Sa position repose essentiellement sur les six membres directement élus par les adhérents (tous corbynistes) et la plupart des représentants des syndicats. Par ailleurs, il semble que l’organisation de jeunesse qui était contrôlée par la droite est en train de passer à gauche.

Se tourner vers l’extérieur

La bataille interne est nécessaire. Mais il faut qu’elle se combine avec une guerre de mouvement, tournée vers l’extérieur. Corbyn a maintenant une certaine marge de manoeuvre. La droite a échoué à le faire démissionner à la suite du référendum sur le Brexit. Elle a échoué à faire élire Owen Smith à sa place. Elle a échoué avec sa tentative de faire élire le cabinet fantôme par la fraction, ce qui aurait lié les mains de Corbyn. Quand celui-ci a refait son cabinet après le congrès il a certes inclus des députés qui n’étaient pas tous ses partisans. Mais presque tous les postes clefs sont allés à ses fidèles. A côté de McDonnell aux finances, il y a maintenant Diane Abbott (une femme noire) à l’intérieur. La droite de la fraction parlementaire semble avoir renoncé pour le moment à l’idée de faire un groupe à part. Et une poursuite de la campagne de sabotage de l’année dernière risque de provoquer un fort rejet parmi les adhérents.

Au Parlement et sur le terrain, le Parti travailliste doit combattre les mesures régressives du gouvernement May. Et tout comme Cameron a été forcé de reculer sur certaines questions, May peut être battue, par exemple sur son projet de réintroduire la sélection dans l’éducation. En même temps il faut populariser le programme de Corbyn, surtout que les élections législatives, qui doivent se tenir en 2020, peuvent très bien être avancées.

Dans un article cette semaine, McDonnell affirme que la domination de l’idéologie du marché libre est révolue en Grande-Bretagne, ce qui a de quoi surprendre. Il se base sur le discours de Theresa May au congrès du Parti conservateur. Ce qui a fait les gros titres après ce congrès, surtout en Europe, c’est son discours sur l’immigration, régressif et répressif, qu’il faut effectivement combattre. Mais elle a aussi mis l’accent sur le rôle positif de l’Etat, notamment dans l’économie, et certains commentateurs estiment que dans le cadre du Brexit, elle pourrait chercher à réorienter l’économie britannique en mettant plus l’accent sur l’industrie et moins sur la finance. McDonnell va sans doute un peu vite en besogne mais il n’invente pas.

De manière générale, la vie politique en Grande-Bretagne sera dominée par le Brexit pendant deux ans au moins. Corbyn avait mené campagne pour rester dans l’UE, mais il l’a fait d’une manière critique. Il poursuit sur ce chemin. Le mois dernier, il a déclaré : « Il y a des directives et des contraintes liées au marché unique, tels les règlements concernant les aides d’Etat et les obligations à privatiser et libéraliser les services publics, que nous ne voudrions pas voir incluses dans des rapports [avec l’UE] post-Brexit » (Guardian, 7 septembre). Voilà un discours qui peut s’adresser à ceux qui ont voté pour le Brexit comme à ceux qui ont voté contre. Cela risque de poser quelques problèmes avec la droite de son parti, qui a un discours européaniste complètement acritique, ne se distinguant pas de celui des Conservateurs et des Libéraux-démocrates.

Pourtant, aujourd’hui à la Chambre des Communes, le Parti travailliste, uni pour l’occasion, a forcé, conjointement avec certains députés conservateurs, Theresa May à accepter un débat sur le Brexit qu’elle souhaitait éviter. Les travaillistes ont posé pas moins de 170 questions à la Première ministre. C’est évidemment extrêmement positif. May et ses ministres cherchent à tout ficeler hors du scrutin public, invoquant le secret des négociations. Ce qu’il faut, au contraire, c’est un grand débat public sur quel pays, quelle société après le Brexit. May répète depuis le référendum, « Brexit means Brexit » (« Le Brexit, cela signifie le Brexit »). C’est un peu court, pour ne pas dire creux. Le Parti travailliste de Corbyn doit se montrer capable de lui donner un contenu concret qui peut répondre aux attentes des couches populaires.