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Algérie, l’autre 8 mai 1945

Ce jour là, dans toute l’Algérie, des manifestations sont organisées pour fêter la victoire des alliés mais aussi pour rendre hommage aux nombreux soldats algériens engagés dans la guerre en Europe. Marseille et Toulon ont été libéré par des régiments de tirailleurs algériens et plusieurs milliers d’entre eux trouveront la mort en France, en Allemagne ou en Italie.

La revendication nationale ayant pris de l’ampleur en Algérie pendant la guerre, le Parti du peuple Algérien donne aux défilés une forte connotation indépendantiste.
A Sétif, c’est le drapeau algérien qui met le feu aux poudres. Le préfet ayant ordonné aux forces de police de «tirer sur tous ceux qui arborent le drapeau algérien», le commissaire ne se fait pas prier: il fait tirer sur les manifestants. Le premier manifestant tué est un jeune scout, Bouzid Saâl. Pacifiques, les manifestations dégénèrent en émeutes et 102 européens sont tués. La répression de l’armée française intervient brutalement dans toute la région. Manifestants fusillés sommairement par centaines, femmes violées… L’aviation mitraille et bombarde les villages de montagne. Les navires de la marine bombardent les douars de la montagne kabyle. Et les colons, organisés en milices, participent aux massacres. Le général Tubert, membre de la commission d’enquête chargée de faire la lumière sur ces événements, avance le chiffre d’environ 1000 morts, mais les historiens s’accordent à parler de 20 000 à 30 000 victimes… De par la radicalisation que ces massacres ont engendrés, certains historiens les considèrent comme le véritable début de la guerre d’Algérie. L’écrivain algérien Kateb Yacine, lycéen à Sétif à cette époque l’exprime ainsi: «C’est en 1945 que mon humanitarisme fut confronté pour la première fois au plus atroce des spectacles. J’avais vingt ans. Le choc que je ressentis devant l’impitoyable boucherie qui provoqua la mort de plusieurs milliers de musulmans, je ne l’ai jamais oublié. Là se cimente mon nationalisme.»

Reconnaissance tardive par la France

La France n’a jamais reconnu officiellement les massacres jusqu’en mars 2005, soit plus de 40 ans après l’indépendance, quand l’ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de Verdière parla des massacres de Sétif comme d’une «tragédie inexcusable». Et c’est François Hollande qui fut le premier chef de l’État à reconnaître les massacres et de déclarer, lors d’une visite à Alger en décembre 2012: «Pendant cent trente-deux ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal. Je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien. Parmi ces souffrances, il y a les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata.»

Malgrè cette reconnaissance symbolique importante vu le contexte, la France reste enfermée dans une logique néo-coloniale vis-à-vis de ses anciennes colonies et la droite et l’extrême droite semble toujours décidée à imposer son Histoire officielle et continuer à vanter le «rôle positif de la présence française outre-mer»…




Gestion des demandes de visas pour le Luxembourg: une privatisation de plus!

Jusqu’à récemment, les ressortissants égyptiens désireux d’obtenir un visa pour le Luxembourg devaient s’adresser à l’ambassade de Belgique au Caire. Or depuis le 14 novembre 2016, la gestion des demandes a été cédée en sous-traitance à une société privée basée au Caire.

La multinationale TLScontact, spécialisée dans la gestion de «centre de contact en face à face» est chargée d’accueillir tout demandeur de visa pour la Belgique et le Luxembourg dans ses bureaux au Caire, le seul dans tout le pays. Elle est chargée de gérer toute la procédure de demande de visa et de récolter les documents demandés ainsi que les passeports et les empreintes digitales. De nombreux témoignages rapportent un service déplorable.

Le site internet, exclusivement consultable en anglais, est particulièrement difficile d’utilisation. Même pour les internautes chevronnés habitués à un anglais administratif et à ce type de procédure (enregistrement, création d’un compte etc.) le site se révèle particulièrement nébuleux pour obtenir les informations nécessaires et un rendez-vous pour déposer sa demande.

Sur place, les demandeurs se trouvent face à des employés visiblement mal formés (un comble pour le «spécialiste mondial de la gestion externalisée des services de relation clients requérant un contact en face-à-face») et qui réclament des documents supplémentaires non mentionné sur le site ou des copies supplémentaires qui sont facturées à des tarifs prohibitifs. En plus du prix de la demande  (60 euros pour un visa courte durée), la société réclame 450 livres égyptiennes (environ 25 euros!) pour ses frais administratifs. Dans un pays ravagé par une crise économique et financière, se sont des sommes conséquentes, en plus des trajets effectués pour déposer la demande (Alexandrie est à 3h de train, Assouan à plus de 10h). Et à chaque document manquant, la seule option proposée est de revenir le déposer en personne… On comprend alors la rage et le désespoir des personnes présentes quand il s’agit d’un document non mentionné sur le site…

Sous-traitance d’un service étatique

Le député de déi Lénk David Wagner, interpellé par cette situation, a interrogé  le ministre des affaires étrangères et de l’immigration, Jean Asselborn, via une question parlementaire. Les réponses aux quatre questions, reçues le 23 mars 2017 ne manquent pas de cynisme. Le ministre confirme bien entendu que la gestion des demandes de visas au Caire a bien été cédé par l’ambassade de Belgique à une société privée mais se défend que «la délivrance des visas se fait dans les règles déterminées par le pays représentant» et que l’option de la sous-traitance à une société privée est «prévue par l’article 43 du code communautaire des visas Schengen».

A la question soulevant la question des frais supplémentaires directement encaissé par la société, le ministre répond  que «le demandeur de visa a toutefois toujours l’alternative de faire les démarches directement au consulat». Affirmation totalement erronée, toutes les démarches se font obligatoirement dans les bureaux de cette société, le site internet de l’ambassade ne mentionne même plus aucune information concernant les visas: frais de délivrance, délais… Toutes les informations sont sur le site du sous-traitant.

Le député de déi Lénk avait aussi demandé des précisions à propos des autres pays et il apparaît que cette pratique est très répandue, de la part des représentations belges au Pakistan, au Nigeria, au Vietnam… mais aussi des consulats du Luxembourg en Inde et en Turquie.

Ayant également soulevé la nature sensible des données récoltées, le ministre répond que «l’encryptage et la transmission de données sensibles font l’objet de contrôles réguliers notamment par des missions d’évaluations effectuées inopinément par la commission européenne»… Quel aberration! On imagine en effet tout à fait la commission européenne régulièrement envoyer ses fonctionnaires au Caire ou à Mumbai effectuer des missions de contrôles dans les bureaux de ces nombreuses société privées…

L’éternelle question de la sous-traitance de services étatiques est encore une fois posée ici dans cette affaire. On imagine les juteux contrats obtenus par une multinationale comme TLScontact auprès des différentes ambassades, et les revenus conséquents pour rendre leur «service administratif». Le ministre dis lui -même qu’il s’agit d’offrir «une meilleure couverture consulaire» et de «traiter les dossiers dans un délai plus raisonnable». Visiblement ce n’est absolument pas le cas au Caire, et en plus de rendre le coût de la demande encore plus onéreux, c’est avant tout la société sous-traitante qui est gagnante… Engager du personnel supplémentaire dans les consulats et organiser le service pour offrir un accueil digne aux demandeurs de visa dans les pays concernés est une solution certainement bien moins coûteuse et respectueuse des exigences minimales d’accueil des demandeurs et de protection des données. Mais c’est bien tout le contraire de la ligne politique de la «forteresse Europe» qui laisse régulièrement mourir des milliers de migrants en méditerranée…




En Égypte, un anniversaire sur fond de crise économique

Tout juste six ans après le soulèvement révolutionnaire du 25 janvier 2011 qui a conduit à la chute de Hosni Moubarak, l’Égypte, toujours dirigée d’une main de fer par le président Abdel Fatah Al Sissi, s’enfonce dans une grave crise économique et financière.

Depuis la destitution par l’armée en juillet 2013 de Mohamed Morsi, président élu issu des frères musulmans, et de la répression sanglante qui a suivi (on dénombre plusieurs centaines de tués par balles lors de la dispersion des sit-in de protestation an Caire en août 2013), c’est le maréchal Al Sissi qui a troqué son uniforme militaire contre le costume-cravate de président. Omniprésent, celui-ci se présente comme le garant de la sécurité et l’artisan de la relance économique du pays, bien mal-en-point suite à la crise économique mondiale de 2008 et les conséquences du «printemps arabe».


En janvier 2011 le slogan «Pain, liberté, justice sociale» scandé par les manifestants dans les rues d’Égypte lors du soulèvement révolutionnaire cristallisait bien la situation du pays: un régime politique dictatorial verrouillé et une situation sociale catastrophique avec un chômage de masse chez les jeunes, un accès au logement très difficile, des salaires de misère, une éducation publique moribonde et un système de santé de plus en plus catastrophique pour la majorité de la population. Et c’est d’ailleurs un mouvement de grève massif dans tout le pays qui a fini par pousser Hosni Moubarak à démissionner: les militaires qui ont assuré la transition par la suite, avant l’élection de Morsi en été 2012, ont bien compris la nature des événements. C’était un réel mouvement révolutionnaire, large et bien déterminé qui était prêt à remettre en cause non seulement un régime politique dictatorial en place depuis 3 décennies, mais aussi le système de production même. Al Sissi, qui était déjà à ce moment membre du conseil suprême des forces armées qui a assuré la transition, a bien retenu les leçons de cette période trouble. Il est devenu en quelque mois le chef de file de la contre-révolution et de la revanche des forces de l’ancien régime, police et armée en tête.


Une répression généralisée

Bien qu’initialement orientée à l’encontre des frères musulmans, la répression du régime s’est très vite étendue à toute forme d’opposition. Les arrestations et les disparitions forcées se comptent par centaines. Cas le plus médiatisé en Europe, la disparition et l’assassinat de Giulio Regeni est en effet un indicateur interpellant. L’enlèvement, la torture et le meurtre il y a tout juste un an de cet étudiant italien à l’université américaine du Caire, probablement par la police égyptienne (l’enquête est toujours en cours et a causé un refroidissement temporaire des relations diplomatiques entre l’Italie et l’Égypte) montre bien le niveau d’impunité dont dispose maintenant les forces de police. En plus des disparitions, on ne compte plus les tués par balles par des officiers, les tortures dans les commissariats ou les arrestations d’opposants.


Un arsenal législatif s’est aussi mis en place rapidement. Une des premières lois votées par le parlement après l’arrivée de Sissi au pouvoir restreint fortement le droit de manifester, et conditionne toute manifestation à une autorisation du ministère de l’intérieur. De nombreux égyptiens et égyptiennes ont ainsi été emprisonnés, y compris de nombreux mineurs.
Une autre loi s’attaque aux ONG et vise à réduire le peu de liberté qu’elles ont encore. En prétextant mettre fin à l’ingérence étrangère via le financement de différentes ONG, cette loi très controversée vise en fait à faire taire toute forme de résistance au régime. L’ONG « AL Nadeem », qui fournit une aide psychologique aux victimes de la torture, a par exemple reçu la visite de fonctionnaires du ministère de la santé venu fermer le centre prétextant une absence d’autorisations. Leur comptes en banque ont été gelés temporairement et une membre fondatrice, le Dr. Aïda Saif Al Dawla empêchée à l’aéroport du Caire de quitter le pays pour se rendre à un congrès à Tunis.


Dans le Sinaï, c’est une vrai guerre qui se déroule entre le régime et des milices djihadistes de mieux en mieux armées et nombreuses. L’oppression et l’humiliation des habitants du nord de la péninsule, en grande partie des bédouins, déjà sous l’ère Moubarak sous prétexte de lutte contre les plantations de marijuana, ne fait qu’alimenter l’insurrection. Et la proximité de la frontière avec Gaza, fermée la plupart du temps, ne fait qu’empirer la situation: maisons rasées pour détruire les tunnels reliant Gaza à l’Égypte, déplacement de population… De plus, le mouvement des frères musulmans, longtemps resté à l’écart de la lutte armée, est poussé dans cette voie. En effet, le mouvement est déclaré « organisation terroriste » et la sanglante répression entamée à l’été 2013 pousse des sympathisants de plus en plus vers la lutte armée. Le « tout-répressif » dans le Sinaï permet en tous les cas à Al Sissi d’alimenter la peur du terrorisme et de justifier des dépenses militaires faramineuses: Rafales et frégates achetées à la France, sous-marin à l’Allemagne… Mais si cette violence, qui commence à se répandre ailleurs dans le pays (une explosion dans une église du Caire la veille de Noël a tué des dizaines de fidèles), lui permet de justifier sur le plan intérieur une restriction brutale des libertés, elle lui pose aussi de grosses difficultés à présenter le pays comme « attractif » aux investisseurs étrangers, dans un contexte économique catastrophique.


Crise financière et économique

Plusieurs facteurs sont à prendre en compte pour expliquer la situation économique désastreuse. La chute des revenus du tourisme depuis le départ de Moubarak est conjuguée à une baisse des revenus du canal de Suez. La baisse du commerce mondial suite au ralentissement économique en Chine en est une raison, mais l’ouverture d’une nouvelle voie de passage via l’arctique (en raison de la fonte des glaces) est également non-négligeable. Dans un contexte au Proche-Orient extrêmement tendu avec la crise syrienne, l’Égypte s’est retrouvée avec un manque important de devises en 2016.
Face à l’explosion du marché noir et face aux exigences du FMI pour octroyer un prêt de 12 milliards de dollars, le gouvernement a décidé de libéraliser le taux de change et de fortement réduire les subsides sur l’énergie. Résultat: une perte de valeur de plus de 50 % de la livre égyptienne par rapport au dollar et une inflation galopante. Énormément de secteurs de l’économie son dépendant de matières premières achetées sur le marché mondial en dollar, et de nombreux produits de base comme le sucre ou le blé sont en bonne partie importée. Les prix des médicaments ont aussi fortement augmenté, dans un pays où des soins de santé de qualité sont quasi inaccessible aux plus pauvres et où les infrastructures médicales se dégradent de plus en plus.


L’armée égyptienne est dans ce contexte un acteur économique de plus en plus important. Déjà propriétaire de nombreuses usines (alimentations, équipements…) elle diversifie son activité de plus en plus, en démarrant par exemple de gigantesques projets hôteliers, comme à Alexandrie où d’immenses hôtels sont construits sur le bord de mer.
Et l’inauguration en grande pompe de la deuxième voie navigable du canal de suez en 2016 et de ses futures zones franches n’apporte pas les résultats promis. L’autorité du Canal de Suez ne publie d’ailleurs plus les chiffres de ses revenus…


La classe politique et l’élite économique, complètement discréditée aux yeux de la population, maintient un train de vie indécent et les affaires de corruption font régulièrement la une des journaux. Ainsi des millions de dollars et d’euros ont été retrouvé début janvier au domicile du secrétaire général du conseil d’État. Celui-ci a été retrouvé mort dans sa cellule peu de temps après son arrestation et bien évidement avant d’avoir pu être interrogé…


Mobilisations?

Malgré tout, dans ce contexte particulièrement morose comparé à l’immense espoir suscité par le mouvement révolutionnaire de 2011, des mouvements de protestation se déclenchent régulièrement. Ainsi, en janvier 2016, suite aux coups donné par des officiers de police à deux médecins refusant de falsifier des certificats médicaux, un grand mouvement de protestation secoua la profession. Une assemblée générale au siège du syndicat des médecins au Caire rassembla des milliers de membres, beaucoup rassemblés dans la rue devant le bâtiment en scandant des slogans hostile au régime.
Quelques mois plus tard, c’est de nombreuses manifestations spontanées qui ont suivi l’annonce par le président Al Sissi de redéfinir les frontières maritimes avec l’Arabie Saoudite et de rétrocéder deux petits îlots de la mer rouge.
Et plus récemment, suite à l’attentat contre l’église au Caire la veille de Noël, de nombreux chrétiens coptes se sont rassemblés devant l’église visée par l’attaque. Ils ont expulsé les quelques journalistes vedettes venu visiter les lieux (en fait de simple marionnettes du régime distillant docilement sa propagande) et exprimé leur colère à l’encontre d’un gouvernement qui ne fait pas grand-chose pour enrayer les violences sectaires. Certains ont même osé crier «A bas le régime!» Un premier avertissement à destination du «maréchal-président»?


Sources:
http://orientxxi.info/
http://www.madamasr.com/en




Le luxembourgeois comme langue d’inclusion

Frank Jost, tu t’es à diverses reprises exprimé sur le traitement de la langue luxembourgeoise par la classe politique luxembourgeoise et tu milites pour une politique linguistique. Essayons de faire le tour des questions qui se posent et qui seront traitées maintenant à la Chambre, suite au deux pétitions qui ont fait l’actualité en automne. Interview.

Est-ce que le luxembourgeois peut servir de langue d’inclusion dans l’école fondamentale ?

Il y a deux dizaines d’années, j’avais des discussions avec des enseignants de l’école du Brill à Esch-sur-Alzette. Dans cette école une grande majorité d’enfants est issue de l’immigration surtout lusitanienne. On lui connaissait déjà une massification exceptionnelle pour une école primaire, environ 800 élèves. Le sentiment de ces enseignants était que les choses deviendraient vraiment critiques dès le moment ou la «langue de la cour de récréation» allait chavirer du luxembourgeois au portugais. Vingt ans après, la langue de la cour de récréation reste le luxembourgeois, ou disons un luxembourgeois assorti d’ingrédients «babéliens». C’est que, malgré la forte dominance d’enfants non-luxembourgeois, le luxembourgeois reste la langue du «dénominateur commun». Le luxembourgeois fait donc figure de langue d’inclusion dans le fondamental.

Est-ce que le luxembourgeois peut servir de langue d’alphabétisation dans l’enseignement fondamental?

Oui, et c’est déjà largement le cas pour l’heure. Il est cependant urgent de reconsidérer la pratique de l’enseignement de l’allemand (comme langue maternelle supposée ou présumée), qui dépasse beaucoup d’écoliers et conduit à des redoublements, souvent dans le cycle 3 . Une autre question est celle de la maîtrise nécessaire de leur langue maternelle des très jeunes enfants. Cette maîtrise est indispensable pour le développement de l’enfant, ce qui ne signifie pas que toutes ces langues maternelles de notre société multiculturelle puissent être enseignées à l’école fondamentale. D’ailleurs, il existe un réel problème de capacités de locution insuffisantes chez beaucoup d’enfants entrant au cycle 1. Il est d’origine sociétal ou social. Bien sûr que les enfants dont les deux parents ne parlent pas le luxembourgeois peuvent difficilement le parler en entrant à la «Spillschoul», d’autant plus que le précoce est sous-développé et partiel. C’est là qu’ils l’apprendront. Mais l’expression dans leur propre langue maternelle, qu’elle soit portugaise ou luxembourgeoise ou autre, est souvent sous-développée, ce qui est inquiétant.

Est-ce que le luxembourgeois peut servir de langue d’inclusion dans toutes les strates de la population?

Certainement pas. Les travailleurs immigrés adultes peu qualifiés, n’ayant pas eu accès à une langue germanique avant leur immigration, ne peuvent que très difficilement s’approprier des connaissances approfondies du luxembourgeois et n’accèdent pas à la locution. Il en va de même de la majorité des frontaliers francophones et des travailleurs intellectuels qui ne passent qu’une période assez brève dans le pays (p.ex. enseignants et chercheurs de l’université). Pour les travailleurs frontaliers, des cours appropriés peuvent conduire à des connaissances partielles suffisantes pour l’exercice de leur métier. C’est déjà le cas du personnel médical lorrain opérant dans les hôpitaux. Il faut noter aussi que le luxembourgeois, imposé à mauvais escient – là où il ne devrait pas l’être – peut servir de langue d’exclusion, ce qu’il faut empêcher à tout prix. Nous ne devons pas céder à la mauvaise volonté de ceux qui commandent leur croissant (sic) et exigent qu’on le leur serve en luxembourgeois.

Est-ce que le luxembourgeois est une langue montante ou en péril?

Les deux. Le nombre de locuteurs – facteur évidemment de poids pour déterminer les chances de survie d’une langue – qui est en forte progression milite pour sa survie. A l’inverse, l’influence des médias allemands conduit à un appauvrissement déplorable de la substance du luxembourgeois (vocabulaire, cas, sexe,…). Les jeunes Luxembourgeois «de souche» parlent souvent «däitsch op lëtzebuergesch». Ce n’est pas réactionnaire de militer pour la préservation d’une langue. Chaque année, sur les quelque 7000 langues existant sur terre, des dizaines disparaissent. C’est indéniablement une perte culturelle. Nous luttons aussi pour la biodiversité, n’est-ce-pas?  Cela ne veut pas dire qu’il faut suivre les «Volkstümler» qui exigent de parler notre langue, comme le faisaient les paysans de l’Oesling au 19e siècle. Il faut aussi considérer que chaque langue a besoin de se nourrir de mots nouveaux provenant souvent de langues voisines. Une langue qui se raidit va mourir.

Est-ce que le luxembourgeois a suffisamment de substance pour servir de langue administrative et judiciaire?

On s’imagine difficilement un remplacement de l’ensemble du langage et des textes législatifs, réglementaires et judiciaires français en luxembourgeois. Notons cependant que depuis longtemps et plus fortement depuis quelques décennies le luxembourgeois est présent dans les sphères législatives et judiciaires: débats parlementaires en luxembourgeois, débats en luxembourgeois dans les procès, code de la route populaire… en allemand et en portugais. Certaines revendications de la pétition récente pour le luxembourgeois comme langue administrative sont cependant à considérer: communication ou résumé d’un jugement civil ou pénal en luxembourgeois, le texte français faisant foi, résumé des textes de loi concernant la vie quotidienne en luxembourgeois,…

Il faudrait s’occuper d’une façon plus scientifique et plus professionnelle de l’évolution de la langue luxembourgeoise, car on peut influencer l’évolution d’une langue et la faire grandir. Le grand problème est à mon avis l’absence de politique linguistique au Luxembourg. Ce flou est d’ailleurs une des raisons pour l’essor des réactions identitaires et parfois fascisantes autour de la question de la langue. La gauche n’a pas de positions politiques non plus et laisse l’initiative à l’extrême droite. Évacuer le problème en ne parlant que du retour du nationalisme en Europe n’est pas une solution, mais un faux-semblant de position politique. La question linguistique demande une orientation politique spécifique à cette question.

Un aspect d’une telle politique linguistique concerne la valeur intrinsèque de la langue luxembourgeoise et les moyens d’augmenter sa valeur. Les «shit stormers» qu’on a pu lire sur le net en automne ne savent pas l’écrire. Est-ce que les enseignants apprennent à l’écrire correctement à l’Uni-Luxembourg?

Est-ce-que, dans l’enseignement, on peut inverser le poids traditionnel des différentes langues enseignées?

Il faut une mise en question des priorités actuelles en faveur du luxembourgeois et en défaveur de l’allemand. Le multilinguisme devrait rester intouchable, mais il faudrait redéfinir le poids respectif des différentes langues concernées. L’enseignement du français doit être réformé dans les différents ordres scolaires. Il est inadmissible que les jeunes qui ont suivi 11 ou 12 ans de français à l’école, n’osent pas le parler, ne savent pas l’écrire correctement et semblent même en partie développer une véritable haine du français. Cela nous ramène aux fluctuations germanophiles et francophiles tout au long de l’histoire de  la société luxembourgeoise au long de ces dernières 200 années. Il y a eu bien des retournements qui sont à peine analysés… mais cela dépasse le cadre de la question.

Il faut repenser l’enseignement de langues supplémentaires (au choix) dans l’enseignement secondaire. C’est déjà le cas exceptionnellement pour le chinois. Il faudrait aussi penser au portugais, qui est une langue mondiale, ne l’oublions pas. Il est parfaitement possible de repenser cela indépendamment de la valorisation du luxembourgeois.

La valorisation du luxembourgeois, n’est-ce pas une obsession chez toi qui te rapproche des populistes?

J’ai déjà partiellement répondu plus haut. Si on laisse le luxembourgeois être dévoré lentement par l’allemand, on assiste sans réaction à une perte de substance culturelle qui est déplorable. En plus de cela on rend impossible l’emploi plus systématique du luxembourgeois dans la vie publique, scolaire, administrative, puisqu’il sera trop appauvri pour servir. En disant cela, je ne suis pas du côté des populistes, mais en contradiction avec eux, puisqu’ils ne sont pas intéressés à le cultiver. Il ne faut pas croire que les organisateurs des Oktoberfeste soient intéressés à la préservation et au développement de notre langue comme objet de valeur culturel. Ils veulent s’en servir à des fins d’exclusion, alors que je pense qu’il faut le cultiver pour qu’il puisse servir à des fins d’inclusion. Nous assistons à un retour du pendule de la germanophilie, alors que l’effet des désastres du 3e Reich sur la mentalité des Luxembourgeois s’estompe. En règle générale, les périodes d’identification avec l’Allemagne étaient aussi les plus réactionnaires au Luxembourg. Je précise que mon propos ne doit nullement être compris comme mépris de la culture allemande, surtout pas de la langue allemande que je maîtrise mieux que le français.

Mais tu t’élèves contre l’interpénétration de l’allemand et du luxembourgeois, tu veux un luxembourgeois pur?

Non, un «luxembourgeois pur» pourrait signifier une langue qui se raidit, devient impénétrable, ne s’enrichit plus, devient muséale et donc moribonde. Le luxembourgeois doit donc obligatoirement recevoir des mots nouveaux provenant d’autres langues et aussi de l’allemand. Ce n’est pas une raison de remplacer des mots, prononciations, formes verbales, genres luxembourgeois par de l’allemand. Je ne suis pas linguiste, je dois donc rester modeste, mais observateur. On nous impose depuis quelques années un «y» prononcé «ü», comme en allemand: «Dem Müriam sei Josü geet op d’Olümpiad». C’est d’un ridicule qui tue! Le «j» doit être prononcé «i», comme on le faisait déjà à Luxembourg-Ville sous l’influence de la garnison prussienne: «De Iang an d’Iosephine» ne sont pas encore de mode mais déjà «Iapan» et «Ieer». Le participe passé, comme «genaat», «gebutt» est remplacé par la formulation allemande; «geschwaat» survit encore, mais sera bientôt «geschwetzt». Le «Freedefeier» devient «Feierwierk», qui attirera bientôt d’«Feierwier», anciennement d’«Pompjeen». La liste est longue, surtout aussi celle du remplacement des mots luxembourgeois par leurs synonymes allemands. Faire un effort de préservation, parce que l’allemand est plus fort que le luxembourgeois et a tendance à s’imposer ne signifie pas automatiquement raidir le luxembourgeois.

 

 

 

 

 




Cinéma : «Moi, Daniel Blake» de Ken Loach

Alors que l’actualité politique n’est pas totalement réjouissante sur tous les fronts, il y a des événements récurrents qui sont de nature à nous redonner de l’espoir pour la lutte. Les films de Ken Loach, par exemple.

Son dernier opus, «Moi, Daniel Blake» a reçu la palme d’or au dernier Festival de Cannes, la deuxième de sa carrière après «Le vent se lève» en 2006, magnifique film relatant la lutte d’indépendance en Irlande au début du XXe siècle. Habitué de la Croisette – avec notamment 3 prix du jury – il a aussi été récompensé par le César du meilleur film étranger en 1996 pour son inoubliable «Land and freedom» sur la guerre d’Espagne.

Dans son discours à la cérémonie de remise de la palme d’or au mois de mai dernier, Ken Loach avait insisté sur le fait que «le monde où nous vivons est en proie à un dangereux projet d’austérité véhiculé par des idées que nous appelons néo-libéralisme et qui nous a mené au bord du gouffre» Et de rajouter qu’il faut «donner un message d’espoir et dire qu’un autre monde est possible et nécessaire».

Dans «Moi, Daniel Blake», ce sont bien les conséquences dramatiques pour les classes populaires de l’austérité et des agressions néo-libérales engagées depuis Margaret Thatcher qui sont mises en image. Daniel Blake, menuisier de 59 ans en arrêt maladie suite à une crise cardiaque, est quand même obligé de se mettre à la recherche d’un emploi par le «Job Center», sous peine de sanctions. Il y rencontre Katie, mère célibataire de 2 enfants qui se voit contrainte d’accepter un emploi à 450 km de chez elle, sous peine d’être mise en foyer d’accueil. Ils vont s’entraider face à la brutalité de ce système qui, comme le souligne Ken Loach, ne fait que «punir les pauvres».

Tout au long de sa carrière prolifique, le réalisateur britannique a constamment écrit, réalisé et produit des films et des documentaires à contre-courant, malgré les difficultés financières et la censure (comme il l’a vécu à la BBC au moment de la grève des mineurs en 1984). En traitant toujours des sujets profondément politiques très variés, comme les difficultés de familles pauvres en Grande-Bretagne en passant par la guerre en Irak ou le sort des clandestins mexicains travaillant aux USA, Ken Loach réussit à nous faire ressentir que la lutte est universelle. Avec un génie cinématographique qu’il a mis au service du vécu de ces hommes et de ces femmes, il réussit toujours à nous faire vivre ces événements pleinement et provoquer une prise de conscience qui doit nous pousser à lutter pour construire un autre monde.

À voir au ciné Utopia

Source: Ken Loach, «Défier le récit des puissants» aux éditions indigène

www.indigene-editions.fr

 




17 octobre 1961: Massacre dans les rues de Paris

Le 17 octobre 1961, moins d’un an avant l’indépendance de l’Algérie, une manifestation d’Algériens opposés au couvre-feu qui leur a été imposé est brutalement réprimée par la police à Paris. Les historiens font état d’un bilan de plusieurs dizaines de morts dont de nombreux noyés dans la Seine.

La guerre d’indépendance de l’Algérie, déclenchée le 1er novembre 1954, occupe les esprits en France depuis bientôt 7 ans au moment des événements du 17 octobre 1961. Sur le terrain, les combats continuent malgré l’indépendance qui, de plus en plus, semble inéluctable. Le 6 janvier de la même année, les Français ont approuvé par référendum le droit à l’autodétermination de l’Algérie et le coup d’état des généraux opposé à tout pourparler et toute forme d’indépendance a échoué. Le général de Gaulle a d’ailleurs déjà discrètement entamé des négociations avec le FLN pour préparer la fin de plus de 130 années de présence coloniale française en Algérie.

Pourtant, même si la violence coloniale semble concentrée en Algérie, en métropole aussi la guerre se fait entendre. Face aux exactions de la police française à l’encontre des Algériens et du FLN (notamment par les FPA, ou «forces de police auxiliaires» composées de «volontaires musulmans» nés en Algérie), ce denier répond par des opérations commandos et des attentats à l’encontre des forces de l’ordre. Maurice Papon, le préfet de police de Paris à l’époque (tristement célèbre aujourd’hui pour son rôle dans la déportation des juifs de France pendant la deuxième guerre mondiale), ne fait que jeter de l’huile sur le feu en alimentant une haine revancharde teintée de racisme. Il déclara par exemple à l’enterrement d’un brigadier «pour un coup donné, nous en porterons dix».

La préfecture de police décide, dans ce contexte, l’instauration d’un couvre-feu de fait en décrétant: «Il est conseillé de la façon la plus pressante aux travailleurs algériens de s’abstenir de circuler la nuit dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne, et plus particulièrement de 20h30 à 5h30 du matin». La mesure, clairement discriminatoire, est dénoncée par le PCF et diverses associations, mais c’est le FLN seul qui décide de passer à l’action en organisant une manifestation de protestation.

Manifestation réprimée

La fédération de France du FLN, dans une note annexée à son appel à manifester, précise clairement: «interdiction de prendre une arme avec soi, quelle qu’elle soit», «Ne répondre à aucune provocation d’où qu’elle vienne» et «le boycottage du couvre-feu raciste doit se dérouler pacifiquement, avec dignité et tout le calme absolu». Les travailleurs algériens de la région parisienne, dont beaucoup vivent dans des bidonvilles (notamment à Nanterre) se mobilisent massivement. C’est l’occasion pour non seulement s’opposer à ce couvre-feu mais aussi exprimer un désir profond et longtemps bafoué de dignité.

C’est ainsi par milliers qu’ils tentent de se rassembler vers 21h, par un temps pluvieux, à différents endroits du centre de la capitale. Avec l’interdiction de la manifestation décrétée par la préfecture de police, les policiers, CRS et FPA déclenchent une répression immédiate, impitoyable et féroce.

Ainsi, le journaliste de l’hebdomadaire «l’express» Jacques Derogy, présent dans les environs du cinéma le «Rex», rapporte qu’environ 2000 manifestants réussissent à se rassembler aux cris de «Algérie algérienne!» et «levez le couvre-feu!». Il assiste aux premiers tirs des policiers et témoignera avec de nombreux détails sur ces événements précis: «Les policiers casqués, pistolet et mitraillette au poing, chargent une première fois devant le cinéma le Rex (…) quand claquent les premières détonations. J’ignore s’il s’agit de grenades ou de coups de feu, mais en traversant la chaussée, je vois tirer d’un car de la préfecture en direction de la terrasse du café-tabac du Gymnase.(…)

Des gens courent en tous sens en hurlant. Dans le désordre qui règne sur le trottoir, j’aperçois sept corps allongés à la terrasse du café, parmi des chaussures, des bérets, des chapeaux et des vêtements, au milieu de flaques d’eau et de sang.(…). A trois mètres, autour d’une table du bistrot, cinq autres corps sont entassés les uns sur les autres. Deux d’entre eux râlent doucement. – Ils l’avaient bien cherché, dit quelqu’un.».

Ailleurs dans Paris, d’autres rassemblements on pu se former, notamment dans le quartier latin où les CRS chargent et frappent brutalement les protestataires. Selon de nombreux témoignages, des manifestants se jettent dans la Seine du pont Saint-Michel pour échapper aux coups, d’autres sont jetés à l’eau par les policiers et, ne sachant pas nager, meurent noyés. Des corps sont vus dériver sur la Seine, et on retrouvera dans les jours suivants dans les rubriques «faits divers» des journaux quelques lignes comme «Les cadavres de trois Algériens ont été repêchés au pont de Bezon. La police a ouvert une enquête»…

Les milliers de manifestants n’ayant pu se rassembler pour défiler sont arrêtés, et transportés dans des lieux de détention provisoire: le Palais des sports, au stade Pierre de Coubertin, dans la cour de la Préfecture de police où le témoignage d’un syndicaliste policier évoque des «traitements indéfendables» subis par les détenus. D’autres témoignages parleront de «visions d’horreur» dans ces différents lieux de détention.

Crimes coloniaux

La préfecture de police publie un communiqué mentionnant «des coups de feu tirés contre les forces de l’ordre qui ont riposté» et un bilan de «deux morts et plusieurs blessés algériens». Même si ce communiqué a été d’abord repris par les grands médias, de nombreux témoignages et réactions sur cette soirée sanglante ont par la suite été publiés. Selon l’historien Benjamin Stora, c’est un bilan de plusieurs dizaines de victimes («entre 50 et 120») qui doit être retenu.

Longtemps ignorée par les pouvoirs publics, la violence des événements de 1961 reste un traumatisme pour les familles des victimes qui ont gardé un profond sentiment d’injustice pendant de longues décennies. A part une plaque commémorative fleurie chaque année posée par la mairie de Paris sur le quai Saint-Michel, face à la Seine, ces familles ont dû attendre que le président François Hollande, suite à une forte campagne publique, publie un communiqué le 17 octobre 2012: «Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes».

La République française, qui aime se présenter en championne des droits de l’homme a bien du mal à reconnaître l’étendue de ses crimes coloniaux. On pense bien entendu aux massacres de Sétif, de Guelma et de Kheratta du 8 mai 45, où la répression de grandes manifestations pour l’indépendance de l’Algérie a fait plusieurs milliers de morts. C’est seulement après 70 ans qu’un représentant du gouvernement (le secrétaire d’État français chargé des Anciens Combattants, Jean-Marc Todeschini) a exprimé «la reconnaissance par la France des souffrances endurées».

A propos des événements sanglants d’octobre 1961, nous terminerons en laissant la parole au grand écrivain algérien Kateb Yacine( 1929-1989), avec son poème «La gueule du loup, 17 octobre 1961»

Peuple français, tu as tout vu
Oui, tout vu de tes propres yeux.
Tu as vu notre sang couler
Tu as vu la police
Assommer les manifestants
Et les jeter dans la Seine.
La Seine rougissante
N’a pas cessé les jours suivants
De vomir à la face
Du peuple de la Commune
Ces corps martyrisés
Qui rappelaient aux Parisiens
Leurs propres révolutions
Leur propre résistance.
Peuple français, tu as tout vu,
Oui, tout vu de tes propres yeux,
Et maintenant vas-tu parler?
Et maintenant vas-tu te taire?




Cinéma: «3000 nuits», le calvaire d’une jeune femme palestinienne dans une prison israélienne

1980, Naplouse, Cisjordanie occupée. Une jeune Palestinienne est arrêtée par l’armée israélienne. Condamnée à tort à 8 années de prison, elle donnera naissance à son fils derrière les barreaux. Centré sur le vécu de femmes emprisonnées, le film dénonce un des outils utilisés par Israël pour briser la résistance à l’occupation de la Palestine: l’enfermement.

Tourné en 2015, réalisé par Mai Masri, le film est dans la programmation du festival du film arabe de Fameck/Val de Fensch. Il a été projeté à la cinémathèque de la ville de Luxembourg le 5 octobre, en collaboration avec le Comité pour une Paix Juste au Proche-Orient (CPJPO).

8 années de prison

Le film s’ouvre par un plan dans une jeep de l’armée israélienne. La nuit, par un temps pluvieux, Layal, la protagoniste (Maisa Abd Elhadi), est emmenée les yeux bandés, avec d’autres prisonniers palestiniens dans un centre de détention. Déjà l’univers sombre, clos et peu éclairé qu’on retrouvera tout au long du film. Accusée de complicité avec un jeune «terroriste», elle subit un interrogatoire musclé avant d’être enfermée dans le département des femmes d’une prison israélienne de haute sécurité. Rapidement jugée par un tribunal militaire, elle est condamnée à 8 ans de prison, sans preuves. D’abord mise en cellule avec des prisonnières de droit commun israéliennes, elle se retrouve plus tard entourée de Palestiniennes. Toutes sont de près ou de loin impliquées dans la lutte contre l’occupation. Enceinte en entrant en prison, Layal décide de ne pas avorter malgré les pressions de l’administration pénitentiaire et accouche d’un petit garçon. Deux ans plus tard, en 1982, au moment de l’invasion du Liban par l’armée israélienne et les massacres dans les camps palestiniens de Sabra et Chatilla, son fils lui est retiré et confié à sa famille.

En plus de l’enfermement, chantage, humiliations et mauvais traitements sont le quotidien des détenues palestinienne. A côté de  l’arbitraire et de la brutalité des gardiennes de prison, Layal est aussi confrontée au racisme ordinaire de la société israélienne: ainsi, après l’accouchement, une détenue israélienne lui lance : «encore un petit terroriste! ».

Barreaux, clôtures, barbelés

La cinéaste filme à merveille  cet univers clos et restitue très bien le ressenti des prisonnières face à l’injustice et l’enfermement: gros plans sur les barreaux, les clôtures, les barbelés… De nombreuses scènes sont filmées en jouant sur la lumière; celle-ci représente tour à tour l’espoir (le soleil qui éclaire la cellule à travers les barreaux), le temps qui passe (l’ombre des barreaux qui se déplace sur les murs de la cellule) ou la terreur avec l’éclairage sombre de la cellule d’isolement ou les projecteurs de la salle de torture. Layal prénommera d’ailleurs son fils Nour («Lumière» en arabe).

En plus de cette mise en lumière très réussie, le film compte aussi de nombreuses actrices de talent. En plus de Layal et de ses codétenues, les gardiennes de prison et la directrice jouent à la perfection leur rôle de représentantes de la force d’occupation, écrasant toute résistance, notamment pendant la grève et la mutinerie.

La prison, une arme de l’occupation

Israël a toujours utilisé l’enfermement comme un moyen pour étouffer toute contestation de l’occupation de la Palestine. On estime à plus de 700 000 les détenus palestiniens à avoir été enfermés dans les prisons israéliennes depuis 1967, hommes, femmes et enfants. En effet, de nombreux mineurs sont détenus, souvent pour de simples jets de pierres. La détention administrative (pouvant aller jusqu’à 6 mois, et renouvelable sans restriction) est très souvent utilisée pour enfermer des résistants palestiniens sans jugement. Les familles de prisonniers sont aussi confrontées à des représailles systématiques: destruction ou mise sous scellés des habitations, intimidations, chantages divers pour pousser à collaborer avec l’occupant…

Évoquée dans le film, la résistance palestinienne n’a souvent comme seul moyen de libérer des prisonniers que de procéder à des échanges. Ainsi, en 1982, ce sont plus de 4000 prisonniers et prisonnières  qui ont été échangés contre 6 soldats israéliens capturés au Liban. Layal n’aura pas la chance de profiter de ces accords, contrairement à plusieurs codétenues. Elle achèvera sa peine jusqu’au bout et passera 3000 nuits en prison.




Retour sur les privatisations en Grèce

A défaut d’avoir préparé une réelle alternative à l’Euro et à l’austérité sans fin, Athènes a fini par capituler devant les exigences de ses « partenaires » européens en juillet 2015. En plus d’une perte totale de souveraineté sur ses décisions budgétaires et fiscales, le plan imposé au pays prévoit le plus vaste programme de privatisations jamais imposé à un pays de l’Union Européenne.

Des dix-neuf privatisations engagées (gaz, électricité, entreprises publiques…) deux sont particulièrement emblématiques et cristallisent l’absurdité de telles solutions : le port du Pirée et   quatorze aéroports régionaux, notamment ceux des îles de Rhodes, de Corfou et de Santorin.

 

Le port du Pirée, le plus grand de Grèce, a été entièrement acquis par l’entreprise d’État chinoise Cosco. Elle gérait déjà depuis 2008 deux des trois terminaux à conteneurs et s’est retrouvée seul destinataire de l’appel d’offre. Elle a donc quasiment pu imposer son propre prix de rachat, mais aussi plusieurs conditions favorables. Ainsi, depuis 2008, la Cosco reversait à la société du port du Pirée (OLP, à l’époque encore sous contrôle majoritaire de l’État) 35 millions d’euros par an pour l’exploitation des deux terminaux à conteneurs. Selon les termes de l’accord signé l’année passée, c’est aujourd’hui les deux tiers de cette somme qui seront versés au propriétaire majoritaire de l’OLP, qui se trouve être… la Cosco ! Retour à l’envoyeur…

 

Le cas des quatorze aéroports régionaux privatisés est encore plus éloquent en terme d’opacité. C’est la société allemande Fraport qui a acquis les droits d’exploitation et d’extension de ces aéroports pour une durée de quarante ans, avec une option pour cinquante années supplémentaires. En plus des 1,23 milliards d’euros versés à la signature du contrat, Fraport s’engage à verser à l’État grec annuellement 200 millions en droit de concession et en impôts, soit 8 milliards d’euros sur 40 ans.

Mais les aéroports sont déjà bénéficiaires et dégagent un bénéfice annuel de 150 millions d’euros, soit 6 milliards sur 40 ans. Et selon le directeur financier de Fraport, la croissance du trafic aérien vers ces îles touristiques très prisées devrait rapporter 100 millions d’euros de gains supplémentaires par an, soit 2 milliards d’euros de bénéfices nets pour le groupe sur la durée totale du contrat… Sans compter que les projets d’extension et « d’optimisation considérable des surfaces commerciales » vont « générer rapidement des bénéfices supplémentaires », toujours selon le directeur financier de Fraport.

 

La procédure de privatisation, menée par l’agence grecque chargée des privatisations (Taiped), à laquelle ont participé trois candidats, s’est-elle conclue en faveur de Fraport « grâce à la qualité de son dossier », comme l’affirme le patron du groupe, M. Stefan Schule ?

 

On peut en douter. Tout d’abord, il est plus qu’interpellant de voir un État vendre des entreprises largement bénéficiaires. La procédure envisagée jusqu’en 2013 par le gouvernement grec consistait à mettre en vente des lots d’aéroports regroupant des installations bénéficiaires et déficitaires, afin d’inciter l’acquéreur à investir et améliorer les aéroports dans des îles reculées et moins fréquentées. Mais la « troïka » (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international) s’y est fermement opposée, obligeant le gouvernement grec à brader les aéroports hautement bénéficiaires. L’Allemagne, très influente au sein de la troïka, n’est pas étrangère à cette situation : la Taiped a choisi comme « conseillère technique » dans ce dossier la Lufthansa, elle-même actionnaire à 8,45 % de Fraport… Le conflit d’intérêt est ici flagrant. Et c’est même un pillage à peine dissimulé qui est opéré ici : Fraport appartient majoritairement au Land de Hesse et à la ville de Francfort, ce qui ramène les profits, accumulés grâce à la vente des biens publics grecs, dans les caisses publiques en Allemagne, elle-même créancière de la Grèce…

 

De plus, Fraport est déjà bien connue aux États-Unis par sa gestion des aéroports : salaires très bas, pas d’assurance-maladie, pas de sécurité à l’emploi… Dans le dossier grec, elle s’est assurée d’avoir le maximum de liberté pour maximiser ses profits, souvent aux frais de l’État grec. Celui-ci s’engage par exemple à indemniser les travailleurs licenciés, ceux victimes d’accidents de travail, même si la responsabilité de Fraport ne fait aucun doute. L’État mettra aussi la main à la poche pour les expertises environnementales nécessaires en cas de travaux d’extension d’un aéroport, et versera des indemnités de retard en cas de découvertes archéologiques malencontreuses…

 

Les salariés des services de l’aviation civile ont, eux, bien compris la monstruosité de cette gigantesque braderie. Ils se sont mis en grève entre les 20 et 25 juin de cette année pour protester contre la dégradation de leurs conditions de travail et la possible vente de 23 autres aéroports. La privatisation conclue l’année passée, en plus de priver l’État de revenus stables à long terme, pose aussi la question de la dette du pays. Vendre à des prédateurs internationaux à  prix bradé les joyaux économiques du pays n’apporte aucune solution à la crise actuelle. C’est plutôt la stratégie inverse qui porte ses fruits. On se souviendra qu’il y a tout juste 60 ans, en juillet 1956, le président égyptien Gamal Abd al Nasser décida de nationaliser le canal de Suez, pour entamer le développement du pays et pour sortir le pays de l’endettement sans fin utilisé par Londres pour maintenir sa domination coloniale.




Egypte : escalade de la répression à l’encontre des journalistes

Depuis la prise de pouvoir du maréchal Abdel Fatah Al-Sissi il y a trois ans exactement, le 30 juin 2013, les acquis de la révolution du 25 janvier 2011 ont systématiquement été remis en cause. Un des plus importants, le droit de manifester, est la cible privilégiée du régime. En plus d’avoir fait passer une loi restreignant fortement le droit de manifester, arrestations arbitraires, jugements de civils par des tribunaux militaires, tortures dans les commissariats, disparitions et meurtres sont devenus des pratiques courantes.

C’est dans ce contexte que la répression à l’encontre des journalistes a pris ces derniers mois des tournures inquiétantes. Au soir du 1er mai, le siège du syndicat des journalistes au centre du Caire est pris d’assaut par les forces de sécurité. Celles-ci viennent arrêter deux journalistes qui s’y étaient réfugiés la veille. Amr Badr et Mahmoud Sakka, tous deux critiques à l’égard du régime, travaillaient pour le site d’information « Yanair.net » (« janvier.net ») et sont accusés d’avoir appelé à manifester le 25 avril. Cette journée de mobilisation, coïncidant avec l’anniversaire de la libération du Sinaï, avait pour but de protester contre la rétrocession à l’Arabie saoudite de deux îles égyptiennes de la mer Rouge (Tiran et Sanafir), situées à l’entrée du golfe d’Aqaba. Un mois plus tard, ce sont trois dirigeants du syndicat des journalistes qui sont poursuivis pour avoir abrité des fugitifs : le président du syndicat Yehia Kalash, le secrétaire général Gamal Abdel-Reheem et son adjoint Khaled El-Balshy. Et enfin, le 29 juin, c’est une célèbre présentatrice libanaise de la chaine privée ONTv qui est expulsée d’Egypte le jour même de la fin de son contrat. Elle présentait une des rares émissions donnant encore la parole aux figures de l’opposition en Egypte.

Il peut pourtant paraître surprenant que le régime s’attaque avec autant d’acharnement au syndicat des journalistes et à la presse en général. En effet, depuis le coup d’Etat du 30 juin 2013 et la répression féroce à l’encontre des Frères musulmans (plusieurs centaines de morts lors de la dispersion de leur sit-in au Caire le 14 août de la même année), une grande partie de la presse s’est rangée derrière le régime et son appel à l’unité nationale dans la lutte contre le terrorisme. De nombreux journaux se sont séparés de leurs journalistes trop critiques et la censure (ou l’autocensure) devient une pratique de plus en plus utilisée. Dans l’affaire des deux îles de la mer Rouge, c’est le rédacteur en chef du quotidien gouvernemental « Al-ahram » qui a été contraint de retirer un article trop critique et de le publier sur sa page facebook. On se souviendra aussi que lors de la signature du contrat de vente de l’avion de chasse Rafale entre l’Egypte et la France en 2015 (plus de 5 milliards d’euros), très peu d’articles critiques avaient été publiés. Et comble de l’absurdité, le syndicat des journalistes avait invité le président Al-Sissi aux festivités prévues pour les 75 ans de sa création…

L’escalade actuelle de la violence du régime à l’encontre du syndicat des journalistes semble donc plutôt être une attaque concertée contre un symbole de la liberté de manifester, en plein centre de la capitale. C’est en effet devant le bâtiment du syndicat que se sont rassemblées le 15 avril les manifestations spontanées d’opposants à la rétrocession des deux îles. Lors de l’appel à manifester du 25 avril, le régime avait anticipé la situation et bloqué toutes les rues adjacentes au bâtiment du syndicat et organisé un rassemblement de manifestants pro-régime brandissant des portraits du « maréchal-président » et des drapeaux saoudiens. Et les forces de police se souviennent certainement des nombreuses manifestations d’opposants à Moubarak sur les marches devant le bâtiment…

Le régime semble donc s’attaquer à la liberté d’expression en général et à la moindre opposition dans de nombreux pans de la société. Le syndicat des médecins, des avocats, des habitants des quartiers populaires protestant contre les violences policières, les étudiants…, tous sont confrontés à la répression de la part d’un pouvoir contre-révolutionnaire cherchant à colmater les brèches de démocratie ouvertes par la révolution de janvier 2011.

Article publié par Léon Gaki